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HIPPOLYTE (SAINT)


monothéiste transmise à l’Église par Israël. C’est contre cette apparente antinomie que se heurtait la perspicacité des docteurs, qui voulaient épuiser jusqu’au bout en cette délicate matière les droits de la raison humaine. A l’époque d’Hippolyte deux doctrines se trouvent en présence. La première accentuait d’une manière dangereuse pour la distinction des personnes l’unité divine. La seconde, celle de notre auteur, semblait porter atteinte à cette même unité, pour mieux sauvegarder la distinction des personnes. Si l’on pense qu’à cette époque la terminologie, plus tard classique en la matière, est à peine ébauchée, que les différents termes d’essence, de substance, d’hypostase, de personne n’ont point encore été soigneusement délimités, on comprendra que la bonne foi de plusieurs des combattants soit hors de cause, alors même que leurs expressions s’éloignent considérablement de ce qui sera plus tard l’orthodoxie.

Telle pourtant qu’elle est rapportée dans les Philosophoumena, 1. X, 6-10, la doctrine de Noët et de ses disciples devait paraître suspecte même aux esprits les moins sagaces et les moins prévenus. Selon eux, le Père et le Fils s’identifient complètement, tov ocutov uîôv elvai Xéyet xaî rcaTÉpa. Avant que le Père ne s’incarnât, il s’appelait à juste titre le Père ; mais quand il lui plut de naître parmi nous, il devint le Fils, Yevvï]8etç ô ufôç èyÉveto auxo ; éautou. Il y a donc identité absolue entre le Père et le Fils, seuls les noms les différencient. C’est le Père qui a souffert sur la croix (d’où le nom de patripassiens donnés par nous aux docteurs de cette école) ; celui qui a été percé de clous, c’est bien le Dieu de l’univers, le Père, t)âoi ; xaxanaYÉvxa toutov tov twv SXiov 6eov /.aï rcaxÉpa sivai Xeyouctiv.

A en croire Hippolyte, dont le témoignage ici est manifestement entaché de partialité, Calliste, alors qu’il n’était que diacre de Zéphyrin, aurait partagé plus ou moins expressément les idées de l’école patripassienne. Devenu pape, il aurait sans doute excommunié Sabellius, un des maîtres les plus en vue de l’école ; mais la profession dé foi que lui prête Hippolyte est loin de corriger complètement l’erreur du modalisme. Nous la rapportons ici, moins pour la discuter, que pour faire saisir, par antithèse, la doctrine que lui oppose Hippolyte. « Le même Verbe, aurait dit Calliste, est identique au Fils, identique au Père ; ce sont là deux noms différents, mais ils s’appliquent à un esprit unique, indivisible. On ne peut donc dire : autre chose est le Père, autre chose est le Fils, oûx aXXo EÏvai uïTEpa, aXXo 5è uldv, ils ne sont qu’une seule et même chose, êv 8s v.ai tô aùtô CiTtàp/etv ; tout est plein de l’esprit divin, le monde supérieur et le monde inférieur. L’esprit incarné dans la Vierge n’est pas autre que le Père, mais il est identique avec lui. C’est ainsi qu’il est écrit : « Ne crois-tu pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ? » Ce que l’on voit, c’est-à-dire l’homme, c’est le Fils, mais l’esprit contenu dans le Fils, c’est le Père : tô pv PXetcôjævov otceo ètrriv av8pcùltoç, toûto eïvcct tov uîôv, tô 6e èv tw ulû ytopTieèv riveima, toûto slvat tov Ttaxâpa. Car, dit-il, je ne dirais pas deux dieux, le Père et le Fils, mais un seul. Le Père qui est en lui s’étant adjoint la chair, l’a divinisée en se l’unissant et l’a faite un avec lui. Ainsi le Père et le Fils s’appellent un seul Dieu, et ce Dieu étant une seule personne ne peut être deux. Ainsi le Père a souffert en même temps que le Fils (a compati au Fils, crv|j.7 ; E710v6Evai : m uîÛ), car il ne veut pas dire que le Père a souffert (c’est-à-dire il ne veut pas être patripassien) et qu’il est une seule personne (avec le Fils) pour échapper au blasphème contre le Père. »

Il n’est pas discutable que cette doctrine soit nettement modaliste. Franzelin, qui voulait en défendre l’orthodoxie, a été obligé pour y réussir de remplacer par des points la phrase la plus compromettante : « Ce que l’on voit, c’est-à-dire l’homme, c’est le Fils, mais l’Esprit qui est contenu dans le Fils, c’est le Père. » De Deo trino secundum personas, Rome, 1869, p. 149 150. M. d’Alès n’est pas plus heureux quand il écrit : « Donc Hippolyte échoue dans sa tentative pour trouver Calliste en défaut. En voulant le convaincre d’hérésie, il n’a réussi qu’à mettre dans sa bouche une série de propositions très acceptables. La première, il est vrai, fait exception. » La théologie de saint Hippolyte, p. 15. Cette doctrine est proprement la même que celle combattue par Tertullien à la fin de son traité Contre Praxéas, et que Franzelin estime, à juste titre, hérétique. Que Calliste l’ait proposée, c’est une autre affaire, et il faudrait être bien partial pour accepter d’emblée cette accusation unique, venue d’un adversaire acharné. Voir t. ii, col. 1337-1338.

Quoi qu’il en soit d’ailleurs, c’est à rencontre de ces théories, patripassionisme brutal de Noët, patripassionisme mitigé attribué à tort ou à raison à Calliste, qu’Hippolyte élabore son système personnel. Il est exposé dans l’Homélie contre Noël, finale du Synlagma. et dans les deux derniers livres des Philosophoumena. Le premier texte serre de moins près la question, mais il est important à signaler comme marquant la première étape de la pensée d’Hippolyte. « 10. Dieu étant simple, sans aucun être qui lui fût contemporain, voulut créer le monde. Il le conçut, le voulut, et par sa parole il le produisit ; çÔEYS-â^evoç inoir^gv ; le monde aussitôt existe devant lui, selon sa volonté ; rien n’est coéternel à Dieu. Il n’y avait rien en dehors de lui : mais tout en étant seul, il était multiple, |j.ôvo ; (iv itoXûç t, v, car il n’était pas sans Parole, sans Sagesse, sans Puissance, sans Conseil, Ôiàoyoç, ao"Oço ;, àSvvaTOÇ, àêo’JXE’jTO ;. Tout était en lui, et lui était tout. Quand il le voulut, et comme il le voulut, au temps déterminé par lui il fit paraître, eSe’.- ;  :, sa Parole, tov Xôyov <xxizo-j, par laquelle il a tout fait. Dès qu’il veut il fait, dès qu’il projette il accomplit, dés qu’il parle il montre l’effet de sa parole, dès qu’il se met à façonner il fait éclater sa Sagesse. Car tout ce qui a été fait résulte de sa Parole et de sa Sagesse ; par sa Parole il crée, par sa Sagesse il ordonne. Il créa donc comme il le voulut, car il était Dieu. Mais comme chef, conseiller et instrument de création, il engendrait le Verbe. Ce Verbe qu’il avait en lui à l’état invisible, il le rend visible en prononçant le premier mot. C’est une lumière qui naît d’une lumière, il le tire de lui pour en faire le maître de la création. C’est son intelligence à lui ; jusque-là il n’était visible qu’à Dieu seul, invisible au monde, il le fait voir alors au monde afin qu’en le voyant, le monde puisse être sauvé. — 11. De cette façon, il y eut un autre par rapport à Dieu, xcù outoiç itapeffrato a-JT(ô ItEpov. Mais en disant autre, je ne dis pas deux Dieux ; j’entends comme une lumière produite par une lumière, comme une eau qui sort d’une source, un rayon qui s’échappe du soleil. La puissance est une ; elle vient de l’être qui est tout ; le Père est tout, xo 6e itâv Ttaxrtf, c’est de lui que vient la puissance Verbe, fijvaij.iç Xôyoç. Le Verbe est l’intelligence qui, apparaissant dans le monde, s’est montrée comme Fils de Dieu. Tout vient de lui ; lui seul procède du Père. »

C’est la doctrine classique des apologistes du iie siècle ; mais Hippolyte, dans son exposition, a soigneusement évité la formule malsonnante : le Verbe est un autre Dieu, employée par saint Justin. Dialogus cum Tryphone, 56, P. G., t. vi, col. 597. Il exprime aussi avec plus de netteté la doctrine des deux états successifs du Verbe, l’état immanent, éternel, Xdyo ; èvBiocGsto ;, et l’état extérieur, temporel, coordonné à la création du monde, Xôyoç Tcpoyopixo’ç.

Notre auteur reviendra avec plus de netteté encore sur cette distinction dans la finale des Philosophoumena, 1. X, 33, et il mettra en un relief plus fort l’évolution du Verbe en trois phases distinctes. Par là même il accentue la partie la plus contestable de sa théorie, à savoir, cette conception d’un changement dans les rapports entre le Verbe et Dieu. De tout temps le Verbe existe en Dieu, dont il est la pensée immanente. La personnalité du Verbe se dégage dans la prolation (génération) qui produit hors de Dieu cette pensée immanente Cette génération est rapidement caractérisée : « Dieu engendre premièrement de lui-même sa