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HILDEGARDE (SAINTE’2476

mesure de déchiffrer « race à elle l’énigme des temps futurs et de la fin du monde. Constatons seulement que, à la différence de tant d’écrivains de tous les âges et spécialement du sien, Hildegarde ne crut pas à l’imminence de l’arrivée de l’Antéchrist. Dies mœroris et tristilias nondum adsunt, dit-elle. Liber divinorum operum, pari. III, vis. x, n. 15, P. L., t. cxcvii, col. 1017. Cf. Gebenon, dans Pitra, p. 484, 488. Que si elle dit ailleurs, Scivias, 1. III, visio xi, P. L., t. cxcvii, col. 716, que l’Antéchrist in brcvissimo tempore veniet, elle signifie par là que, l’incarnation ayant eu lieu au sixième âge du monde, qui correspond à la partie du jour qui s’écoule de none à vêpres (depuis 3 heures du soir jusqu’à 6 heures), et conc lorsque le monde courait déjà à son déclin, le septième âge est venu, celui qui correspond à la chute du jour, le dernier de la vie de l’humanité, quelle que soit la durée de cet âge, connue de Dieu seul. Cf. col. 714-716. Cf. encore sa correspondance avec sainte Elisabeth de Schonau, P.L., t. cxcvii, col. 215-217.

La théologie.

Un exposé méthodique et complet

de la théologie d’Hildegarde serait d’un grand prix. Le Scivias, à lui seul, est un traité dogmatique qui passe en revue Dieu dans son unité et sa trinité, les anges, l’homme, la déchéance et le relèvement, l’Ancien Testament et le Nouveau, l’eucharistie et les sacrements. l’Église et les fins dernières. Force nous est de nous borner à des indications rapides.

Voici un aperçu des données doctrinales de la longue lettre composite Ad prsclatos Moguntinenses. Sur l’eucharistie, après avoir signalé la pratique de la communion à peu près mensuelle dans son monastère, P. L., t. cxcvii, col. 219, elle formule le dogme de la transsubstantiation et emploie le mot, col. 224. Voir t. v. col. 1291. A propos de la corruption des espèces eucharistiques par la moisissure ou de leur manducation par des animaux, elle dit : ista iamen in sacramento visibili vel sola specie exteriori sunt, virtuie et gratia ipsius sacramenti illibala et incorrupia divinitus conservala, col. 225 ; sa solution de ce problème, qui avait embarrassé tant de ses contemporains et de ses prédécesseurs, n’est pas entièrement heureuse. Elle s’exprime exactement sur le cas d’une messe où, par négligence, le vin aurait manqué dans le calice, col. 225. Si quelqu’un ne peut recevoir la communion à cause du péril de vomissement, elle veut que le prêtre mette l’eucharistie sur la tête et le cœur du malade en implorant pour lui la grâce divine, col. 227. Ailleurs, surtout dans le Scivius, 1. II, vis. vi, elle reprend ce beau sujet de l’eucharistie, non sans exagérer l’importance de l’eau, qu’elle semble égaler à celle du pain et du viii, col. 532. La communion normale des adultes qu’elle mentionne est la communion sous les deux espèces, nisi præ simplicilale accipienlis sacerdos timeat periculum ef/usionis ; s’il en est ainsi, le communiant, à l’instar des enfants, ne recevra que l’espèce du pain. Le célébrant doit employer les paroles et les vêtements qui furent en usage dans l’antiquité. Celui qui est en état de péché mortel est tenu, avant de célébrer, à confesser sa faute à un prêtre, col. 533 ; cf. col. 535. La loi du célibat s’impose à lui, quoiqu’il y ait eu de bonnes raisons pour qu’elle ne fût pas imposée aux premiers temps de l’Église, col. 543-544.

Revenons à la lettre Ad pnelulos Moguntinenses. Elle offre des vues intéressantes sur nos premiers parents, L’état d’innocence et la chute. Ne nous arrêtons pas à cette thèse, qu’Adam et Eve péchèrent et furent expulsés du paradis terrestre le jour même de leur création, col. 222-223 ; cf. col. 530 ; Hildegarde l’a en commun avec Dante, Paradiso, xxvi, 139-112, et nombre de théologiens. Voyons plutôt la belle théorie sur la musique sacrée, le chant liturgique. D’après J.-K. Huysmans, En rouir, 5e édit., Paris, 1895, p. 429, Hildegarde définirait excellemment l’art : « une réminis cence à moitié effacée d’une condition primitive dont nous sommes déchus depuis l’Éden. » Sous cette forme, la définition n’est pas d’Hildegarde ; l’idée est bien d’elle. Avant sa faute, dit-elle, Adam partageait le chant des anges. Le péché rompit le charme, brisa les cordes ; de ces harmonies angéliques l’homme ne garda que ce souvenir vague, indéfini, que nous avons, au réveil, des images qui ont visité nos songes. Mais Dieu rendit aux prophètes quelque chose des clartés intellectuelles et des suaves harmonies qui avaient été le lot d’Adam avant l’exil. Instruits par l’Esprit de Dieu, ces prophètes ont composé des cantiques et des psaumes et fabriqué toutes sortes d’instruments de musique. A leur exemple, les sages ont inventé, par un art humain, divers genres d’instruments de musique, pour chanter au gré de l’âme essentiellement musicale, symphonialis est anima, et rappeler cet Adam in eu jus voce sonus omnis harmonise et totius musiese artis, antequam delinqueret, suavitas erat. Le démon est hostile au chant qui vient du Saint Esprit, et s’efforce de supprimer ou de troubler, dans le cœur de tout homme et aussi dans le cœur de l’Église, la confession et la beauté de la louange divine. Malheur à qui impose silence, sans de graves raisons, à ces chants de louanges 1 Consortio angelicarum laudum in cselo carebunt qui Deum in terris décore suse laudis injuste spoliaverunl, col. 221. Ce thème reparaît plus d’une fois dans les œuvres d’Hildegarde. Dieu, dit-elle, Liber vitee merilorum, part. V, c. lxxvii, dans Pitra, p. 217, doit être loué par les hommes comme il l’est par les anges, quoniam et homo in duabus partibus apparel, scilicet quod Deum laudat et quod bona opéra in se ostendit…, nam homo per laudem angelicus est, et per sancta opéra homo est. Et, part. IV, c. xlvi, De planctu et symphonia animæ, p. 171, elle a cette phrase exquise : Anima hominis sijmphoniam in se habet, et symphonizans est, unde eliam mulloties planclus educit cum symphoniam audit, quoniam de patria in exilium se mismm meminit. Ce n’est pas seulement le langage des anges, c’est encore celui des animaux que l’homme a cessé de comprendre en péchant ; les éléments ont été viciés à la suite du péché originel. Cf. Liber vitse meritorum, part. III, c. i-ii, xxiii, lxxx ; part. IV, c.lii, dans Pitra, p. 105-106, 116, 141, 173 ; Liber divinorum operum, part. III, vis. x, n. 20, P. L., t. cxcvii, col. 1022 : Subtililales diversarum naturarum creaturarum, 1. VIII, præf., col. 1337-1340.

Dans la lettre Ad prælalos Moguntinenses, enfin, il est question des hérétiques, c’est-à-dire des cathares principalement sinon exclusivement, semble-t-il, et, s’adressant aux rois et aux princes, Hildegarde dit : Populum istum ab Ecclesia, facullatibus suis privatum, expellendo, et non occidendo, e/fugate, quoniam forma Dei sunt, col. 232-233. Voir encore contre les cathares une lettre de 1163, dans Pitra, p. 348-351, et une lettre au clergé de Cologne, P. L., t. cxcvii, col. 248-253. Cf. Gebenon, dans Pitra, p. 487.

Recueillons, çà et là, quelques opinions d’Hildegarde. Les âmes de ceux qui sont morts sans baptême et sans " faute grave, mais avec des fautes légères, habitent une région ténébreuse où elles souffrent la peine de la fumée ; celles de ceux qui sont morts sans faute légère, les enfants par conséquent, sont dans les ténèbres, mais ne souffrent pas de la fumée. Liber vitse meritorum, part. VI, c. ix, dans Pitra, p. 224-225. Le feu de l’enfer n’a pas la même nature que le feu terrestre, et le feu du purgatoire de igné gehennæ accensus non est. xxxviii qusestionum soluliones, q. xxxiii, P. L., t. cxcvii, col. 1051-1052. Les âmes des élus ne jouiront d’une béatitude parfaite qu’après le jugement universel, quand elles auront été réunies à leurs corps. Liber vitse meritorum, part. I, c. xxx, l ; part. II, c. xxxvi, dans Pitra, p. 21, 29, 78-79. En attendant, ajoute-t-elle. part. V, c. lxxix, p. 217-218, terreslris paradisus