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HILAIRE (SAINT)


inferrent… Passas quidem est Dominas Jésus, dum cœditur, dum suspenditur, dum crucifigitur, dum moritur ; sed in corpus Domini irruens passio, née non fuit passio, nec lamen naturam passionis exseruit, dum et pœnali ministerio desœvit, et virtus corporis sine sensu pœnæ vim pœnæ in se desasvientis excepit, n. 23, col. 361 sq.

Abstraction faite de ce que les mots : virtus corporis, peuvent signifier, ce qui ressort nettement de ce passage, c’est la distinction et l’opposition entre deux séries d’affections : d’un côté, la passion physique ou organique, la peine entendue dans le même sens, l’une et l’autre considérées sous leur aspect agressif, impetus passionis, vis pœnse, pcenale ministerium ; de l’autre côté, la douleur comme contre-coup de la passion physique, la peine sentie ou ressentie et, par suite, la passion et la peine agissant suivant leur nature ou leur propriété, dolor passionis, sensus pœnæ, naturam passionis exscrens passio. De ces deux séries d’affections, la première est admise en Jésus-Christ, la seconde est rejetée : habens ad patiendum quidem corpus, et passus est ;, sed naturam non habens ad dolendum, n. 23, cꝟ. 35, col. 361 sq., 371. Et cela, en vertu de la perfection propre à la nature humaine de l’Homme-Dieu, et tout d’abord à son âme qui pénètre et régit son corps comme force immanente : Si dominici corporis sota ista natura sil, ut sua virtute, sua anima feratur in humidis, et insistât in liquidis, etexstructatranscurrat quid per naturam humani corporis conceplam ex Spiritu carnem judicamus ? Ibid., col. 363.

Qu’il n’y ait pas là, pour saint Hilaire, une idée secondaire et lancée en passant, mais une idée délibérément admise et jugée importante, le soin et l’insistance qu’il met à développer sa pensée l’indiquent suffisamment ; car il la reprend sous diverses formes au cours du même livre, surtout quand il établit, n. 44, col. 378, un rapprochement entre Jésus-Christ pendant sa Passion et certains martyrs qui, dominant la faiblesse de leur nature par le saint enthousiasme de la foi et de l’espérance, cessaient de sentir leurs souffrances et, au milieu des tourments, se réjouissaient : sui quoque sensus ac spiritus corpus efficitur ut pati se desinat sentire quod patitur. Fait d’où le saint docteur tire un argument a fortiori : El quid nobis de natura dominici corporis, et descendenlis de cœlo filii hominis adhuc sermo sit ?

Même doctrine dans les autres écrits d’avant ou d’après l’exil. Dans le commentaire sur saint Matthieu, xxxii, 7, col. 1069, Notre-Seigneurnous est présenté priant pour ses disciples, afin qu’ils boivent le calice d’amertume comme il le boit lui-même, sine spei diffulentia, sine sensu dploris, sine metu mortis. La distinction entre la passion et la douleur, entre la peine et le sentiment de la peine, se retrouve expressément dans le commentaire sur les Psaumes : Et quanquam passio illa non fueril conditionis etgeneris, quia indemutabilem Dci naturam nulla vis injuriosse perturbalionis offenderet, lamen susccpta voluntarie est, offïcio quidem ipsa satisfaclura pœnali, non lamen pœnæ. sensu lœsura patientem… Suscipiens naturales ingruentium in se passionem (quibus dolorem palientibus necesse est infcrri) virtutes, ipse lamen a naturæ suæ virtute non exciditutdoleret. In ps. Lin, 12, col. 344. De même : Suscepil ergo infirmilales, quia homo nascitur ; et putatur dolere quia patitur, caret vero doloribus ipse, quia Deus est. El cum habitat in nobis, cumquc inflrmilates noslras suscipit, et cum susceplis infirmitalibus non dolet. In ps. cxxxviii, 3, col. 794.

Les textes qui précèdent ne contiennent pas tous les éléments du problème ; d’autres s’ajoutent qui rendent un son différent, et parfois même contraire, en sorte qu’on peut ramener le tout à quatre séries : a. Textes où la douleur est niée, par exemple, en

dehors des exemples déjà donnés : quo sensu ralionis intelligit Dominum nostrum Jesum Christum… vulnera non permittentem dolori, vulneratum dolere ? De Trinitate, X, 33, col. 370 ; non vis, impie hæreic., et transcunle palmas clavo Christus non dolueril ? Ibid., 45, col. 379 ; (3. Textes où la douleur est affirmée : qui et flevit, et doluil, De Trinitate, X, 56, col. 388 ; et dolet ipse quidem, In ps. lxviii, 1, col. 471 ; y. Textes où la douleur est en même temps niée et affirmée, ce qui suppose une diversité d’aspects : Et pro nobis dolet, non et doloris noslri dolet sensu, De Trinitate, X, 47, col. 381 ; 3. Textes, déjà cités, où la distinction et l’opposition existent entre pati et dohre. Dès lors, il est facile de comprendre combien sérieusement se pose ce problème : d’après saint Hilaire, Jésus-Christ fut-il ici-bas soumis à la douleur ?

b) Les opinions ou interprétations. — On en compte trois générales. — a. Les uns, prenant dans un sens absolu les textes exclusifs de la douleur, ont jugé que le docteur gaulois, trompé par une conception trop abstraite de la perfection due à la nature humaine du Verbe incarné, n’a réellement pas admis dans l’Homme-Dieu le sentiment de la douleur corporelle. Telle fut l’opinion de Claudien Mamert, De statu animæ, 1. II, c. ix, n. 3, P. L., t. lui, col. 754 ; il relève chez Hilaire cette assertion inexacte : nihil doloris Christum in passione sensisse. Voir t. vi, col. 1013. La même opinion fut soutenue, au moyen âge, par Bérenger et par le prévôt Jean dans sa controverse avec Philippe de Harvengt. Epist., xxii, xxiii, xxiv, P. L., t. cciii, col. 170-174 ; cf. dom Berlière, Philippe de Harvengt ? abbé de Bonne-Espérance, c. iv, dans la Revue bénédictine, Maredsous, 1892, t. ix, p. 200 sq. Au rapport de saint Bonaventure et de saint Thomas, In IV Sent, 1. III, dist. XV, q. ii, a. 3, expos, text., Guillaumed’Auvergne, évêque de Paris, partagea le même avis seulement en ce qui concerne le traité De Trinitate, car il estimait qu’il y avait eu rétractation dans un ouvrage postérieur ; opinion reprise par Petau, De incarnatione, 1. X, c. v, n. 5-6, où il identifie avec le commentaire sur les Psaumes l’ouvrage où l’auteur du De Trinitate se serait corrigé en attribuant, au moins implicitement, la douleur à l’Homme-Dieu, , notamment In ps. lx Vin, 4-5, col. 472 sq. D’autres s’en tiennent à l’interprétation rigoureuse de Claudien Mamert ; tels, pour citer quelques noms parmi beaucoup, Érasme dans la préface à son édition des œuvrer de saint Hilaire ; Baronius-Pagi, Annales, an. 563, n. 4, t. x, p. 214 ; plus récemment, Watson, op. cit. r p. lxxiii sq. ; Baltzer, Die Christologie des hl. Hilarius, p. 23-32, avec cette remarque toutefois qu’Hilaire admet le Christus dolet, en attachant à ce dernier mot l’idée de passion ou souffrance objective ; G. Bauschen, Die Lehre des hl. Hilarius von Poitiers ùberdie Leidensfàhigkcit Christi, dans Theologische Quarlalschrifl, Tubingue, 1905, t. lxxxvii, p. 424-438 ; dom Laurent Janssens, Summa theol., t. iv, p. 542 sq., concluant, p. 552 : Credimus proin mentem S. Hilarii ab < phtharlodoketarum excessu non tantopere distare.

b. A rencontre de cette première opinion s’en présente une autre qui nie l’erreur attribuée au saint docteur ; les textes incriminés doivent s’entendrede Jésus-Christ en tant que Dieu. Ce fut l’interprétation de Lnnfranc contre Bérenger, Epist., l, ad Reginaldum, P. L., t. cl, col. 545 : Virlus corporis, id est, divinilas assumens ipsum corpus, sine sensu pœnæ, quantum ad ipsam allinct, vim pœnæ, id est, in carne assumpta, desœvientis excepit. Coustant, Piœf. gen., n. 123-137, col. 63 sq., a suivi la même interprétation, non pour tous les textes, mais pour quelques-uns, comme De Trinitate, X, 23, 48, où virtus corporis est le sujet ; ces textes doivent s’expliquer par les passages correspondants des commentaires-