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HILAIRE (SAINT ;


des M. Hilarius, p. 24 sq. ; Wirthmuller, op. cit., p. 61 sq.

Toutefois, une distinction est possible ; distinction qu’Hilaire n’a pas exprimée, mais que la synthèse de sa doctrine paraît suggérer. Le Verbe a pu douer sa nature humaine, corps et âme, d’une vertu ou force spéciale, limmunisant en principe contre toute infirmité, mais n’étant ni nécessairement ni toujours en acte. Dans cette hypothèse, les infirmités peuvent se dire naturelles ou surnaturelles, suivant qu’on les considère par rapport à la nature humaine du Christ, prise en elle-même, dans ses éléments constitutifs, ou par rapport à cette même nature envisagée comme unie au Verbe et possédant, à ce titre, une vertu ou force supérieure, mais d’ordre surnaturel. Telle fut, au fond, la distinction proposée, au xiie siècle, par Hunald, choisi pour arbitre par Philippe de Harvengt et le prévôt Jean : Ex natura namque humanitatis pulat (Philippus) illum conlraxisse, quod nos ex gratia credimus eum habuisse ; quomodo præter naturam et per miraculum dolu.it, qui dolendi potentiel carnali non caruit ? Epist., xxv, P. L., t. cem, col. 176, 179. Voir t. vi, col. 1016-1017.

2. En particulier, Jésus-Christ fut-il, ici-bas, soumis à la douleur ? — Question complexe et difficile, ne serait-ce qu’à cause de la multiplicité des opinions, provoquées d’ailleurs par les antilogies que présente, à première vue, l’ensemble des textes hilariens. Un exposé succinct du problème est nécessaire pour comprendre le point précis de la difficulté et sa réelle portée.

a) Le problème. — Saint Hilaire traite plus directement la question de la douleur en Jésus-Christ au livre dizième De Trinitate ; toutefois il ne l’envisage que d’une façon spéciale, en vue des ariens. Ceux-ci niaient la divinité de celui qui, dans les Écritures, est appelé Fils ; ils le regardaient comme un esprit créé qui tenait lieu d’âme en Jésus-Christ, et dès lors toutes les affections attribuées à celui-ci dans les saintes Lettres retombaient directement sur le Verbe, considéré dans sa nature propre. Aussi, pour prouver que le Verbe ou le Fils était d’une nature inférieure à celle du Dieu suprême, ils partaient des textes êvangéliques relatifs à Notre-Seigneur, où il s’agit de crainte et de douleur : comment serait-il vrai Dieu, puisqu’il nous apparaît sans cette puissance sûre d’elle-même qui bannit la crainte et sans cette incorruptibilité de l’esprit où la douleur n’a point de place ? ut quitimuitet doluil, non fuerit inea potestatis securiiate quse non timet, vel in ea spiritus incorruptionc quse non dolel. Il s’agit donc d’une crainte et d’une douleur qui atteignent l’esprit ; crainte mêlée de tristesse et de douleur anxieuse, qui va jusqu’à se trahir par de profonds gémissements, sous le coup de la peine corporelle endurée : et humanee passionis trepidaverit metu, et ad corporalis pœme congemuerit atrocitatem.De Trinitate, X, 9. col. 349 ; cf. I, 31, col. 45 sq. Idée déjà exprimée avec non moins de relief dans le commentaire sur saint Matthieu, xxxi, 1-3, col. 1066 : et ideo in eo doloris anxietas, ideo spiritus passio cum corporis passione, ideo melus mords.

Pour répondre à la difficulté, il ne suffit pas de faire appel à la distinction classique entre Jésus-Christ Dieu et Jésus-Christ homme ; c’eût été, dans l’occur-Tence, une pétition de principe, tant qu’on n’aurait pas fait d’abord admettre à l’adversaire la divinité du Verbe. Le docteur gaulois prend une autre voie ; répondant ad hominem, il s’efforce de montrer aux ariens qu’ils interprètent mal les textes évangéliques « n supposant dans Jésus-Christ des sentiments de crainte, de tristesse, de douleur qui auraient porté sur ses propres maux, blessures, souffrances et mort. C’est ainsi qu’il est amené à étudier de plus près la

douleur en Jésus-Christ : « Mais peut-être a-t-il craint les peines corporelles, et les liens des cordes qui devaient le serrer violemment, et les blessures faites par les clous qui devaient le tenir suspendu à la croix ? Voyons donc quel corps fut celui du Christ homme, pour que la douleur ait pu l’atteindre en sa chahblessée, attachée et suspendue à la coix. » De Trinitate, X, 13, col. 352. Suit immédiatement un passage curieux et d’une grande portée, où l’évêque de Poitiers explique, non pas précisément ce qu’est la douleur corporelle, mais comment ou dans quelles conditions elle existe en nous. « Telle est la nature des corps, qu’étant unis à l’âme qui les vivifie et leur communique sa faculté de sentir, ils ne sont plus une matière inerte et insensible ; touchés, ils sentent ; blessés, ils éprouvent de la douleur… Sous l’influence de l’âme qui les possède et les pénètre, ils sont, en effet, susceptibles d’impressions diverses, agréables ou pénibles. Quand donc il y a douleur dans les corps percés ou blessés, l’âme sensible qui leur est unie reçoit le sentiment de la douleur : cum igitur compuncta aul effossa corpora dolent, sensum doloris transfusa ; in eu animée sensus admitlit. Enfin, la douleur infligée au corps s’étend jusqu’à l’os ; mais, quand on coupe l’extrémité des ongles, les doigts restent insensibles, et s’il arrive qu’un membre, tombant en corruption, cesse d’être chair vive, on pourra couper ou brûler, sans qu’elle éprouve de douleur, cette chair qui n’est plus unie à l’âme. Ou encore, s’il faut, pour une raison grave, tailler dans le vif et qu’à l’aide d’un narcotique on assoupisse la vigueur de l’âme, en sorte qu’absorbée par l’action violente des sucs administrés, elle perde le souvenir et le sentiment, on peut couper les membres sans qu’ils ressentent la douleur et, quelque profonde que soit la plaie faite par la blessure, la chair demeure insensible, comme l’âme elle-même, dont le sens est comme engourdi. Ainsi c’est par le corps, uni à une âme faible, que le sens de cette dernière, faii.Ie lui aussi, est atteint par la douleur. »

Hilaire distingue, on le voit, entre l’impression douloureuse qu’éprouve le corps soumis à un mal physique et le sentiment formel de la douleur qui, par contre-coup, résulte dans l’âme unie au corps ; mais ce contre-coup n’a lieu que si l’âme unie au corps est faible et, comme telle, douée d’un sens faible. De là cette conclusion que le saint docteur tire aussitôt, n. 15, col. 363 : Si la nature humaine de Jésus-Christ, considérée dans ses éléments constitutifs, le corps et l’âme, a été soumise dans sa formation aux mêmes conditions que les nôtres, c’est chose naturelle que Jésus-Christ ait senti la douleur propre a nos corps ; mais, s’il a été lui-même l’auteur immédiat de son corps et de son âme, les impressions qui furent en lui ont dû répondre à la condition et à la perfection spéciale de son corps et de son âme, secundum anima ; corporisque naturam necesse est et passionum fuisse naturam. C’est la seconde hypothèse qui est la vraie ; en vertu de sa conception surnaturelle et de son union personnelle au Verbe divin, Jésus-Christ fut exempt, en son corps et en son âme, de l’infirmité qui s’attache aux nôtres par suite de leur origine vicieuse : animi et corporis nostri perfectus est nalus ; habuit enim corpus, sed originis suse proprium, neque ex vitiis humanæ conceplionis existais ; nec est in vitiosa hominis infirmilate, qui Christus est. De Trinitate, X, 15, 25, col. 354, 364, 366.

Ces principes une fois posés et développés, l’évêque de Poitiers en fait l’application aux souffrances endurées par le Sauveur ; il dissocie alors les deux idées de passion et de douleur : In quo (Jesu Christo), quami >is aut ictus incideret, aut vulnus descenderet, aut nodi concurrerent, aut suspensio elevaret, afferrent quidem liœc impetum passionis, non lamen dolorem passionis