Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 6.2.djvu/599

Cette page n’a pas encore été corrigée
2429
2430
IIILAIRE (SAINT]


encore plus cette pensée, quand il dit que la connaissance de Dieu vient de Dieu seul et que, si le Fils de Dieu ne s’était pas fait homme, l’homme n’aurait pu connaître Dieu. De Trinitate, I, 18, col. 38 ; in ps. CXI. iii, 8, col. 847. Assertion dont quelques partisans de l’incarnation en toute hypothèse se sont emparés, en la rapprochant d’un autre passage, où il est question d’une loi générale de progrès qui s’impose à notre nature et la porte à désirer toujours une perfection plus grande : naturœergo nosliæ nécessitas in augmentum semper mundi lege provecla, non imprudenter projectum naturæ potioris exspeelat. De Trinitate, IX, 4, col. 283. Voir, par exemple, Watson, op. cit., p. lxi, lxxii, et su tout F. M. Risi, Sul molivo primario délia incarnazionedclVerbo, Rome, 1898, t. iii, n. 146-173, p. 124 sq. Mais y a-t-il vraiment un rapj ort objectif entre les textes du docteur gaulois et la théorie spéciale d’une incarnation indépendante, en son existence, de tout péché V La connaissance de Dieu que le Fils de Dieu avait le privilège exclusif de nous communiquer ne doit pas s’entendre d’une connaissance quelconque, comme si, en dehors de l’incarnation, Dieu eût été complètement ignoré des hommes : cette supposition est contraire à la doctrine générale de saint Hilaire, car, s’il proclame Dieu inénarrable, il nie en même temps qu’on puisse l’ignorer : ut, licel non ignorabilem, lumen inenarrabilem scias. De Trinitate, II, 7, col. 57. Il s’agit d’une connaissance surnaturelle en son objet e1 spéciale en son mode, celle que le Fils de Dieu, vivant au sein du Père et son image parfaite, peut nous donner de tout ce qui en Dieu surpasse absolument les forces propres de notre esprit ; telles, la nature et la vie intime de Dieu ; en particulier ses relations de paternité à l’égard, soit du Fils unique qu’est Jésus-Christ, soit des fils d’adoption que nous sommes. De Trinitate, III, 17, col. 85 sq. De tels textes, sous la plume de l’évêque de Poitiers comme sous celle des autres Pères, sont un pur écho des mystérieuses paroles de Jésus : « Personne ne connaît le Père si ce n’est le Fils, et celui à qui le Fils a daigné le révéler » , Matth., xi, 27 ; ou encore : « Philippe, qui m’a vii, a vu aussi le Père. » Joa., xiv, 9. L argument tiré d’une tendance générale et constante au progrès n’est pas plus eli cace. Hilaire n’invoque pas cette tendance comme exigeant ou prouvant par elle-même le fait de l’incarnation ; il l’invoque seulement, le contexte en témoigne, pour montrer que l’idée d’un Dieu naissant homme et en même temps restant ce qu’il était auparavant, n’a rien qui puisse ébranler notre espérance, puisque, < ans l’hypothèse Dieu n’est nullement diminué et que, de son côté, notre nature ne sort pas des lois qui la régissent en attendant du fait même de son union avec une nature supérieure un accroissement de perfection. Mais déjà nous touchons aux problèmes où la spéculation se mêle à la doctrine proprement dite et qui méritent un examen spécial.

2 Le dépouillement du Christ (kénose). - — Celte notion apparaît fréquemment dans le De Trinitate et. dans VExposilio in psalmos. Habituellement exprimé par les termes équivalents d’exinanire ou evacuare, littéralement, vider, d’après la force de la formule grecque, èxévtoæv éauT(5v, ce dépouillement porte sur la « forme de Dieu » , a laquelle le Christ renonce, par opposition à la « forme de serviteur » , dont il se revêt : se ex forma Dei exinaniens et formam se vi suscipiens, De Trinitate, VIII, 45, col. 270 ; se de forma Dei évacuons, formam servi assumons. In ps, CXLiii, 7, col. 846. Parfois, par abréviation ou construction elliptique, Hilaire parle du Dieu qui s’est vidé de lui-même, ou du Christ qui s’est anéanti : ex mysterio évacuait a se Dei ; exinanîentis se humilil s. De Trinitate, IX, 14 ; X, 48, col. 293, 432. Il consi dère ce dépouillement comme nécessaire, la « forme de Dieu » n’étant pas compatible avec la « forme de serviteur » que le Christ devait prendre en s’incarnant, non convenienle sibi formas ulriusque concursu. De Trinitate, IX, 14, col. 292. Cf. l.n ps. lxviii, 25, col. 485. La mission rédemptrice achevée, la « forme de serviteur » cesse, et la « forme de Dieu » reparaît dans le Christ glorifié. Amplification originale de la doctrine de saint Paul, Phil., ii, 5 : Hoc senlite in vobis quod et in Christo Jesu, qui cum in forma Dei esset, non rapinam arbitratus est esse se œqualem Deo, sed semetipsum exinanivit, formam servi accipiens. Ce que le docteur gaulois entend par les mots : non rapinam arbitratus est, etc., il l’explique ailleurs par cette périphrase : Manens enim in forma Dei, non vi aliqua sibi ac rapina, id quod erat, pra’sumendum exislimavit, scilicet ut Deo esset œqualis. In ps. cxviii, litt. xiv, 10, col. 539 sq. Cf. De Trinitate, VIII, 45, col. 270 : non sibi rapiens esse se œqualem Deo. Ce qui donne cette interprétation du verset paulinien : « Étant dans la forme de Dieu, il n’a pas jugé devoir s’arroger de force, comme l’on ferait d’une proie, l’égalité avec Dieu ; mais il s’est vidé (de la forme de Dieu), prenant la forme de serviteur. » Interprétation semblable en substance à celle de la plupart des Pères grecs. F. Prat, La théologie de saint Paul, Paris, 1909, t. i, p. 445 sq.

Toute cette doctrine a trait à ce qu’Hilaire appelle la dispensalio, c’est-à-dire l’économie de la rédemption, ou l’ensemble des dispositions providentielles qui concernent ce mystère. Il s’en suit, pour le Verbe incarné, un état d’obscurité, d’humilité, d’infirmité, qu’entraînait sa qualité de second Adam, appelé à réparer les ruines causées par le premier. Qu’entend le saint docteur par la « forme de Dieu » , dont le Verbe. en s’incarnant, s’est dépouillé ? Cette question est d’autant plus importante que, suivant la propre remarque de l’évêque de Poitiers, les ariens abusaient de ce qui, dans l’Écriture, est dit du Fils comme homme, pour porter atteinte à sa divinité. £)e Trinitate, IX, 15, col. 293. Des théologiens protestants ont prétendu trouver dans Hilaire leur théorie de la kénose, théorie d’après laquelle le Verbe, en se faisant hemme, se serait temporairement dépouillé des attributs divins, de quelques-uns du moins, ou même de sa personnalité divine ; d’où cette description humoristique d’Aug. Sabatier, Esquisse d’une philosophie de la religion, 5e édit., Paris, 1898, p. 179 sq. : « Kénose, c’est-à-dire la théorie suivant laquelle le dieu, préexistant et éternel, se suicide en s’incarnant pour renaître progressivement et se retrouver dieu à la fin de sa vie terrestre. » Sur la théorie en général, voir F. Lichtenberger, dans Encyclopédie des sciences religieuses, t. iii, p. 152 ; Cii. Hodge, Sy. tenu tic th ologn, 1 oiu’res, 1 87 !, 1. ii, p.’31 ; q. ; F. Prat, op. cit., t. ii, p. 239 ; sur l’application à saint Hilaire : Loofs, art. Kcnosis, dans Realencyklopadie fur protestantische Théologie und Kirche, X. x, p. 254 ; J. B. Wirthmi lier, Die Lehredeshl. Hilarius von Poitiers iiber die Srlbstentàusserung Christi, préface, Ratisbonne, 1865. Qu’il suffise de signaler deux des principaux fauteurs de cette singulière théorie : Dorner, EntinicktungsgeschicMe der Lehre von der Person Christi. 2e édit., t. i, p. 1047, et G. Thomasius, Christi Person und Werke. 2e édit., Erlangen, 1857. IIe part., p. 175. Le premier s’attache à une phrase où ce verset du psalmiste : in finis sum in limo pro}undi et non est substantia, est ainsi commenté par Hilaire : Non utique substantia quæ assumpla habebatur, sed quæ se ipsam inaniens hauserat. In ps. lxviii, 4, col. 472. Prenant le mot substantia dans le sens de personnalité (constituée par la conscience de soi-même), Dorner conclut que, d’après le docteur gaulois, le Verbe s’incarnant s’est dépouillé de sa