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GILBERT DE LA PORREE


divins ; la seconde affirmait une différence également réelle entre l’essence divine et les personnes divines ; la troisième, que seules les trois personnes sont éternelles, et que les relations, propriétés, singularités ou unités, etc., qui sont en Dieu, ne sont pas éternelles et ne sont pas Dieu. Voir t. iv, col. 1165-1167, 11731174, 1298 ; t. i, col. 2232-2233.

La quatrième proposition condamnée portait que la nature divine ne s’est pas incarnée ; à quoi le concile de Reims opposa cet article : Credimus ipsam divinitatem, sive substantiam divinam sive natwam dicas, incarnatam esse, sed in Filio. Attribuant l’incarnation à la personne du Fils, non à la divinité, Gilbert tombe dans un « demi-nestorianisme » , dans un adoptianisme, qui aboutit à cette conclusion que les fidèles ne peuvent en conscience rendre le culte de latrie à l’enfant de Bethléem ni au crucifié du Calvaire. Cf. J. Bach, Die Dogmengeschichle des Mittelalters vom christologischen Slandpunkle, Vienne, 1875, t. il, p. 145-150, 455-460. L’autorité de Gerhoch de Reichersberg qui accuse Gilbert d’adoptianisme n’est pas de tout repos, voir 1. 1, col. 415-416 ; mais les textes de Gilbert lui-même semblent probants. Othon de Freising, Gesia Friderici imperaloris, 1. 1, c. i.v, dans Monumenta Germanise historica. Scriplores, Hanovre, 1868, t. xx, p. 380, mentionne deux autres erreurs imputées à Gilbert, à savoir que le Christ seul a mérité, et que le baptême n’est conféré qu'à ceux qui doivent être sauvés. L'étude de la doctrine de Gilbert sur le péché originel, d’après son Commentaire (inédit) sur les Épîtres de saint Paul, a permis d'établir que « le fameux maître n’a fait que reproduire, la plupart du temps presque littéralement, les vues de saint Augustin sur la question. » R.-M. Martin, dans la Revue d histoire ecclésiastique, Louvain, 1912, t. xiii, p. 684. Dans sa lettre à Matthieu, abbé de SaintFlorent de Saumur, P. L., t. clxxxviii, col. 1255-1258, Gilbert donne à deux consultations eucharistiques des conclusions qui ont été admises par d’autres théologiens et qui ne le sont plus, Un prêtre, s’apercevant, au moment de la communion, que le calice était vide, avait versé dans le calice du vin et de l’eau, et avait réitéré les paroles de la consécration non seulement sur le calice mais encore sur l’hostie consacrée ; Gilbert fut d’avis que, le Christ étant tout entier sous chaque espèce, le prêtre n’aurait pas dû consacrer de nouveau l’hostie — ce qui est vrai — et — ce qui est faux — qu’il aurait pu s’abstenir de la consécration du vin. Que la communion sous une seule espèce soit complète en elle-même et dans ses effets, comme l’ajoute Gilbert, c’est exact, au contraire, et il est intéressant de relever ce témoignage et l’usage de l'Église, que Gilbert cite en preuve, de ne communier les enfants que sous l’espèce du vin et les malades, souvent, que sous l’espèce du pain. Interrogé également sur le cas d’un condamné à mort qui demanderait la communion, Gilbert dit qu’on devrait la lui refuser propter reverentiam corporis et sanguinis Christi. Dans son Ralionale divinorum officiorum, c. liv, cxxx, cxlii, P. L., t. ccii, col. 60, 135, 151, Jean Beleth allègue l’autorité de Gilbert, qui avait été son maître.

En philosophie, Gilbert n’est ni un esprit très original ni « un esprit entier : à côté de doctrines d’un pur scolasticisme, on rencontre des illogismes et des défaillances. » Ses erreurs trinitaires ont leur point de départ dans la distinction qu’il exagère entre l’essence commune et l’essence individualisée, entre l’essence que l'être possède et qui se retrouve semblable chez d’autres êtres (subsistent ia id quo est) et la détermination individuelle qui pose 1 être dans l’existence réelle (substanlia, id quod e*t) : t il semble faire de celle-ci une partie réellement distincte de celle-là. Cédant à la même fâcheuse tendance, il considère comme des subsislentia propres dans l’individu certains attributs transcendentaux — l’unité, par exemple — qui ne sont pas réellement

distincts de l'être même. » M. de Wulf, Histoire de la philosophie médiévale, 2e édit., Louvain, 1905, p. 207. Sur la question des universaux, il ne s’est pas prononcé d’une manière ferme. Un texte ambigu de Jean de Salisbury, Metalogicus, ii, 17, P. L., t. cxcix, col. 875876, ajoute à la confusion. Aussi les historiens de la philosophie ont-ils jugé diversement sa théorie. Il paraît professer un réalisme modéré, qu’il n’a pas réussi à exprimer dans une formule décisive.

Il serait intéressant de connaître toutes les sources de Gilbert. L'école chartraine se caractérise par des préoccupations littéraires, un alliage d’Aristote et de Platon et l'étude des sciences physiques. Il y a tout cela dam Gilbert, et, en outre, la familiarité avec les Pères latins, particulièrement saint Hilaire, cf. Philippe de Harveng, EpisL, v, P. L., t. cciii, col. 45-46, et même l’emploi des Pères grecs. A Reims, il accumula, pour sa défense, les textes patristiques : faciebat episcopus, dit Geoffroy d’Auxerre, Epislola ad Albinum cardinalem, vi, P. L., t. clxxxv, col. 591, in libris beedi Hilarii et de corpore canonum in quorumdam Grœcorum epistolis verba minus inUlligibilia. prtesertim in lanta feslinalione et in lanla ac tali multitudine, lectitari. S’il est l’auteur du Liber de causis, Gilbert fréquenta aussi les néo-platoniciens, puisque cet écrit n’est qu’un remaniement d’un ouvrage de Proclus. Quant aux sciences physiques, le Liber sex principiorum dépend de la physique péripatéticienne. « Tout ce que nous trouvons d’aristotélicien en ce que Thierry de Chartres et Gilbert de la Porrée ont dit du lieu, du mouvement du ciel, de la fixité de la terre, est inspiré du IVe livre de la Physique et des deux premiers livres du De cœlo et mundo ; il est donc permis de voir dans les traductions de Dominique Gondisalvi et de Jean Avendeath les sources d’où sont issues ces pensées péripatéticiennes. » P. Duhem, Du temps où la scolaslique latine a connu la Physique d’Aristote, dans la Revue de philosophie, Paris, 1909, t. xv, p. 178 ; cf. p. 175-176 ; et Le mouvement absolu elle mouvement relatiꝟ. 1907, t. xi, p. 557.

IV. Influence.

Gilbert de la Porrée eut des adversaires et des disciples. Son école est en train de sortir de la pénombre ou elle est restée longtemps trop inaperçue.

Parmi ses adversaires, citons, avec ceux qu’il eut au concile de Paris, ceux qui le combattirent à Reims : saint Bernard, Robert de Melun, Pierre Lombard, et probablement l’abbé Suger. Il fut attaqué violemment, en compagnie d’Abélard, de Pierre Lombard et de Pierre de Poitiers, par Gautier de SaintVictor, dans le Contra quatuor labyrinthos Franciae. Gerhoch de Reichersberg le prit à partie dans sa campagne contre l’adoptianisme. D’autres encore le réfutèrent, parfois sans le désigner par son nom : tel le pseudo-Bède (d’après Bach, op. cit., t. ii, p. 151, note, ce serait Achard de SaintVictor), In librum Boelhii de Trinitate commentarius, P. L., t. xcv, col. 393. Sur les allusions à l’enseignement de Gilbert dans les Sententise (inédites) de Gandulphe de Bologne, cf. J. de Ghellinck, Le mouvement théologique du xiie siècle, Paris, 1914, p. 186.

Les adversaires de Gilbert dénoncent un groupe de ses partisans, qui se réclament plus ou moins des doctrines condamnées au concile de Reims. Saint Bernard, In Canl., serm. lxxx, n. 9, P. L., t. clxxxiii, col. 11701171, ayant rappelé cette condamnation, ajoute : « Je ne parle pas contre l'évêque de Poitiers, car, dans ce concile, il s’est humblement soumis à la sentence des évêques, et a lui-même formellement réprouvé ces propositions et d’autres dignes de censure. Je parle pour ceux qui, contrairement à l’interdit apostolique promulgué dans cette assemblée, copient et lisent ce livre (sans doute les Commentaires de Gilbert sur Boèce), s’obstinent à suivre cet évêque en des idées qu’il a abandonnées et préfèrent en lui le maître qui enseigne