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GILBERT DE LA PORRÉE


Les écoles de Chartres au moyen âge, Chartres, 1895, p. 164, qu’il aurait adressé à Bernard de Chartres la lettre que l’on a supposée, mais à tort, écrite par lui en 1141, lors de son dernier retour en sa patrie, et dans laquelle il manifestait le vœu de revenir auprès de son ancien maître. Nommé chancelier de l'église et, à ce titre, préposé aux écoles chartraines, Bernard le manda. Gilbert apparaît comme chanoine de Chartres dans un document de 1124, et comme chancelier dans des textes qui s'échelonnent de 1126 à 1137. Sur sa résidence de plus de douze ans à Chartres les détails précis sont rares. C’est alors qu’il écrivit la plupart de ses ouvrages sur l'Écriture sainte, la théologie et la philosophie. Il fut vite un maître en renom ; une brillante foule de disciples se groupa autour de sa chaire. Il s'éleva contre les cornificiens, paresseux ou arrivistes, qui protestaient contre la longueur du temps consacré aux études. Jean de Salisbury, Mctalogicus, i, 5, P. L., t. cxcix, col. 832, dit qu’il avait coutume de leur conseiller le métier de boulanger, « le seul qui accepte tous ceux qui n’ont pas d’autre métier ou d’autre travail, un métier très facile à exercer et propre surtoul à ceux qui cherchent plutôt leur pain que leur instruction. » Il s’occupa d’améliorer la bibliothèque. En 1140. il était au concile de Sens, où fut condamné Abélard. Celui-ci, qui avait pu le connaître à Laon auprès d’Anselme, et qui avait, le premier de tous, signalé le péril de ses théories philosophiques appliquées à la Trinité, lui prédit qu’il serait condamné à son tour. En 1141. nous trouvons Gilbert écolàtre à Paris. Il n’y resta guère ; il y eut pour élève Jean de Salisbury. En 1142, il fut nommé évéque de Poitiers.

Là, ses idées soulevèrent des contradictions. Comme il exposait, en plein synode diocésain (1146), ses doctrine trinitaires, ses deux archidiacres, Calon et Arnaud, surnommé « Qui ne rit pas » , protestèrent vivement ; bien plus, ils allèrent le dénoncer au pape Eugène III. L’affaire fut renvoyée à un concile qui se tint à Paris en 1147. Saint Bernard y prit la parole contre Gilbert, et, avec le saint, trois docteurs insignes : Adam du PetitPont, Hugues de Champfleury, et Hugues d’Amiens, archevêque de Bouen. Gilbert n’avait pas moins de souplesse intellectuelle qu’eux ; il s’expliqua si habilement et, d’autre part, l’absence de ses écrits et les affirmations contradictoires de ses adversaires et de ses partisans rendaient la question si obscure que le pape ajourna son jugement au concile de Beims (1148).

Pour l’histoire de ce concile nous avons quatre écrivains, de tendances diverses : Geoffroy d’Auxerre, qui fut secrétaire de saint Bernard, et qui assista au concile ; l’auteur (peut-être Jean de Salisbury) de YHistoria ponlificalis, également présent au concile ; Othon de Fïeïsing, et l’anonyme qui écrivit le Liber de vera philosophia. Le premier est naturellement pour saint Bernard ; les trois autres sont, avec des nuances, pour Gilbert. A rapprocher leurs textes, on est autorisé à conclure ce qui suit, cf. P. Fournier, Éludes sur Joachim de Flore et ses doctrines, Paris, 1909, p. 64-05 : 1° Une profession de foi en quatre articles, contraire à Gilberl, fut rédigée par Geoffroy d’Auxerre, au nom de quelques évêques français ; elle fut, d’abord, assez mal reçue par les cardinaux, qui y virent une tentative de saint Bernard et des Français en vue d’imposer à l'Église romaine une déclaration doctrinale. 2° Cette profession de foi fut publiée à Beims dans la salle de l’archevêché dite salle du Tau — et non dans l'église Notre-Dame, où s'était tenu le concile — après la fin du concile, en présence seulement d’un certain nombre des évêques, ce qui explique qu’elle ne figure point dans les actes conciliaires. 3° Mais elle fut pleinement sanctionnée par le pape. 4° Gilbert désavoua les propositions incriminées, en disant au pape, à l'énoncé de chacune d’elles : « Si vous croyez autrement, je le crois comme

vous. » Cette rétractation dispensa le pape d’une condamnation directe de l'évêque de Poitiers. Tout se borna à l’interdiction de lire ou de transcrire les ouvrages de Gilbert sur Boèce avant qu’ils n’eussent été corrigés par l'Église romaine.

Gilbert fut sans doute loyal dans sa soumission, mais non sans croire qu’il avait été mal compris. Ne parlons pas de son accueil dédaigneux à une demande d’entrevue que lui adressa saint Bernard, afin d’examiner ensemble, amicalement et sans esprit de contention, les passages de saint Hilaire que Gilbert avait allégués en faveur de ses doctrines : il répondit que, si l’abbé de Clairvaux voulait discuter les textes de saint Hilaire, il devait commencer par aller à l'école et prendre des leçons de dialectique. C'était là rancune de théologien et d'évêque contre un rival qui avait triomphé, plus encore que mépris pour un moine sans lettres d’un homme « qui n’avait pas son égal dans les lettres, dit Jean de Salisbury, ayant passé soixante ans dans les études et les exercices littéraires. » Mais, au rapport de ce même Jean de Salisbury, il refit le prologue de son commentaire sur Boèce. « Il est juste et nécessaire, disait-il, de changer les expressions qui causent du scandale ; rien ne nous oblige à modifier le sens de propositions qui, sainement entendues, ne sont point contraires à la doctrine de l'Église. » La sincérité de l’obéissance n’est pas incompatible avec cet état d’esprit ; à coup sûr, ce n’est pas l’obéissance des humbles.

Gilbert mourut le 4 septembre 1154, suivi, dans sa tombe, par un concert d'éloges que lui valurent son savoir et ses vertus épiscopales. Le plus touchant fut celui de Laurent, doyen de son église. Cf. L. Delisle, Rouleaux des morts, Paris, 1866, p. 362-363.

II. Œuvres. — Les principaux ouvrages de Gilbert de la Porrée sont les Commentaires sur les ouvrages tliéologiques de Boèce ou qui portent son nom et le Liber sex principiorum. L’Histoire liltéraire de la France, Paris, 1763, t. xii, p. 475, lui attribue deux traités inédits De duabus naturis et una persona Christi et De hebdomadibus seu De dignitate theologiæ, qui ne sont en réalité que le Commentaire, celui-ci (sous un titre différent) du IIe, celui-là du IVe traité de Boèce. Cf. B. Hauréau, Histoire de la philosophie scolasliquc, Paris, 1872, t. i. p. 451-452. Le Liber sex principiorum complète l'œuvre d’Aristote, lequel, dans son Organon, n’a expliqué suffisamment que les quatre premières catégories ; il s’attache aux six dernières catégories. L’attribution à Gilbert, par l’Histoire littéraire de la France, du Liber de causis, quoique renforcée par Berthaud, Gilberl de la Porrée, évêque de Poitiers, 1892. p. 11, 129-190, et par Clerval, Les écoles de Chartres au moyen âge, p. 169, est encore discutée.

Les travaux scripturaires de Gilbert sont des Sermons sur le Cantique des cantiques, des Commentaires sur les Psaumes, Jérémie, peut-être saint Matthieu et l'Évangile de saint Jean, saint Paul, l’Apocalypse. Nous possédons de lui deux lettres. Une prose rimée sur la Trinité, qui lui fut reprochée au concile de Beims, est perdue. Il y a des chances pour que les sermons d’un Gilbert, que Pierre de Celle, Epist., clxvii, P. L., t.ccu, col. 610, met à côté de saint Bernard, d’Hugues de Saint-Victor et de Pierre (probablement Pierre le Mangeur), aient eu pour auteur Gilbert de la Porrée plutôt que Gilbert d’Auxerre, évêque de Londres, dit l’universel, dont le nom a été mis en avant par l'éditeur de Pierre de Celle.

III. Doctrines.

Des quatre propositions de Gilbert qui furent condamnées à Beims, et que rapporte Geoffroy d’Auxerre, Libcllus contra capitula Gilberti Piclaviensis episcopi, P. L., t. clxxxv, col. 617-618, la première affirmait une différence réelle entre Dieu, d’une part, et, d’autre pari, l’essence et les attributs