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GILBERT — GILBERT DE LA PORRÉE


professeurs de Douai de les enseigner. Ceux-ci protestèrent avec énergie. L’intendant Le Peletier suspendit alors les cours et les traitements des maîtres, et chercha quelqu’un qui acceptât la Déclaration, afin de lui donner la première chaire vacante. L'évêque d’Arras, Guy de Sèva de Rochechouart, qui était ami des jansénistes, proposa Gilbert, alors simple licencié, et le fit accepter. Le nouveau maître, devenu docteur en 1684, fut nommé vers la même date prévôt de Saint-Amé et chancelier de l’université, et fit des adeptes parmi ses élèves. En 1687, il publia, on devine dans quel esprit, son Traclalus tlicologico-canonicus de scdis apostolicse primatu, de conciliorum cecumenicorum auclorilate et infallibiliiale, de regum in lemporalibus ab omni potestate humana libertate, in-8°, Douai, 1687. Ce fut probablement vers la même date qu’il composa ses Thèses theologicse quas exponit eximius D. ac mag. nosler Jacob us Gilbert S. Th. doctor in Aima Duacena univcrsilatc.

On s'émut de ces doctrines publiquement enseignées. Cinq docteurs de Sorbonne, par ordre de Louis XIV, censurèrent ses erreurs jansénistes à propos de la grâce et déclarèrent que ce docteur ne pouvait continuer à enseigner sans préjudice grave pour l’université. L'évêque d’Arras fut obligé de ratifier ce jugement le 13 août 1687. Gilbert fut forcé de descendre de sa chaire et envoyé en exil à Saint-Quentin par l’intendant de Flandre, Dugué de Bagnols. Il persévéra malgré tout à agir dans le sens janséniste.

C’est en 1690 qu’il reçut une lettre tout à la fois singulière et flatteuse. Elle demandait à Gilbert des explications et des directions de conscience, et elle lui conseillait, en retour, de rester dans ses emplois académiques pour faire triompher le bon parti. « Gardez le silence, ajoutait-on ; confiez vos lettres, vos livres et vos papiers les plus secrets à un exprès sûr, qui les transmettra à nos amis. Vous attirerez aussi sur vous la protection de personnes très haut placées. » La lettre était signée : Antoine A. Point de doute pour Gilbert, il s’agissait du grand Antoine Arnauld, du pape janséniste. Après avoir reçu quelques communications du même genre, Gilbert se dessaisit de tous ses documents. La réponse ne se fit pas attendre ; une lettre de cachet l’exila à Saint-Flour, puis à Thiers et à Pierre-Encise, non loin de Lyon.

Gilbert ne fut pas la seule victime de ce mystificateur. Deux professeurs à la faculté de théologie, Rivette et Delaleu, et deux licenciés, Malpaix et de Ligny, reçurent en même temps et par les mêmes voies des communications analogues. Quand le maître fourbe eut rassemblé toutes les pièces à conviction, il envoya à la faculté de théologie, en juin 1691, une dénonciation en règle sous ce titre : Lettre d’un docteur de Douaij sur les affaires de son unioersilé.La cause fut portée au conseil du roi, puis à la Sorbonne (26 décembre), et bientôt après des lettres de cachet envoyèrent Delaleu au Mans, Rivette à Coutances, Malpaix à Saintes, et de Ligny à Tours, puis à Carhaix en Bretagne.

Qui fut l’auteur de ces intrigues peu loyales ? Arnauld accusa successivement le P. de Waudripont, jésuite, puis les Pères Payen, Desruelles, Beckman, Tellier et Rayer. Presque de nos jours, Sainte-Beuve imputa la Fourberie au P. Lallemant. Il paraît certain pourtant que les jésuites doivent être mis hors de cause. D’autre part, Picot accuse le théologien Honoré Tournély, professeur à Douai, d’avoir monté le coup, ce qui paraît tout aussi invraisemblable. Pour nous, nous pensons que le coupable est un étudiant ecclésiastique dont le style trahit l’origine wallonne et dont plus tard peut-être on connaîtra le nom.

Quoi qu’il en soit, Gilbert, même dans son exil, continua à exercer au sein des facultés de Douai son influence malsaine. En 1702, Fénelon écrivait au duc de Chevreuse : « L’université est fort affaiblie

et fort gâtée… M. Gilbert donne les canonicats de Saint-Amé qui sont à sa nomination aux sujets les plus ardents pour le jansénisme de sorte que Douay est rempli des plus forts sujets de ce parti. Aussi toute la jeunesse s'élève-t-elle dans ces sentiments sans garder de mesure… Tout ce qui a un peu de talent et d'étude se trouve prévenu. »

En 1711, les alliés s'étant emparés de Douai, Jacques Gilbert adressa une requête aux députés Hop et Geldermalsen du conseil d'État de La Haye, disant que depuis vingt-quatre ans il est tombé en disgrâce à la cour de France, qu’il a été exilé dans diverses villes du royaume et finalement interné dans le château de Lyon ; il demandait qu'à l’occasion du changement de domination à Douai, il pût rentrer dans cette ville, où il était prévôt du chapitre de Saintvmé. Cette démarche ne paraît pas avoir eu de succès.

Gilbert mourut en 1712, et son corps repose à Pietat, près de Condom. Obscur émule des Gerberon, des Soanen et des Quesnel, il fit grand mal à l’université de Douai. Il fut, presque seul heureusement, ardent propagateur des idées jansénistes et antiinfaillibilistes quela faculté dans son ensemble répudia toujours.

D’Avrigny, S. J., Mémoires chronologiques et dogmatiques, t. iii, année 1691 ; Brou, S. J., Les jésuites de la légende, t. il, p. 32 ; Desmons, Gilbert de Clioiseul, évéque de Tournai, p. 360-301 ; Foppens, Historia et séries doctorum academiæ Duacensis, ras, de la Bibliothèque royale de Bruxelles 17592 ; J. Hild, Honoré Tournély und seine Stelluug zum Jansenismus, p. xx, 288 ; Le Glay, Cameracum christianum, p. 110 ; Mémoires sur le chapitre de Saint-Amé à Douai, p. 16 ; Th. Leuridan, Essai sur l’histoire religieuse de la Flandre wallonne, p. 326 ; Nouvelles ecclésiastiques du 24 mai 1737 ; Plouvain, Soiwenirs, p. 280, 492, 798 ; Quesnel, Mémoires importants pour servir à l’histoire de la faculté de théologie de Douai ; Bcusch, Beitrâge zur Geschiehte des Jesuilenordens, Munich, 1904, p. 69 ; L. Salembier, Hommes et choses de Flandre, Lille, 1912, p. 267 sq. ; H. Tournély, Prwlec. theolog. de gratia Christi, 1725, t. i, p. 452.

L. Salembier. 2. GILBERT Nicolas-Alain, théologien français, né à Saint-Malo en 1762, mort en 1821. Il se destina d’aboi d aux missions étrangères, mais obligé, à cause de la faiblesse de sa santé, de rentrer dans son diocèse, il devint curé de Saint-Pern. Après avoir été incarcéré quelque temps à l'époque de la Révolution, il passa en Angleterre, et s'établit à Whitby, dans le Yorkshire, où il fonda une mission. En 1815, il rentra en France, et eut le premier l’idée des missions à l’intérieur. Il évangélisa ainsi les environs de Saint-Malo, et porta son zèle dans une grande partie de la Bretagne. C’est en Angleterre qu’il exerça son activité littéraire, en publiant quelques ouvrages de controverse dont voici les titres : A vindication of Ihe doctrine of the calholic Church on the eucharist, Londres, 1800 ; An enquiry if the marks of the (rue Church are applicable lo ihe presbyterian Churches, Berwick, 1801 ; The calholic doctrine of baplism proved bij Scriplures and tradition, Berwick, 1802 ; A replu lo the falsc interprétations lhat John Wesley has put on calholic doctrine, Whitby, 1811.

Hoefer, Nouvelle bibliographie générale, Paris, 1857 ; Dictionarg o/ national biography, Londres, 1908.

A. Gatard.

3. GILBERT DE LA PORRÉE.

I. Vie. II. Œuvres. III. Doctrines. IV. Influence.

I. Vie.

Gilbert de la Porrée (Gilberlus ou Gillibertus ou Gisleberlus Porrelanus) naquit à Poitiers, vers 1076. Passionné pour l'étude, il suivit les leçons d’Hilaire, à Poitiers, de Bernard de Chartres, plus connu sous le nom de Bernard Sylvestris, à Chartres (vers 1100), puis, à Laon, des deux frères Anselme et Raoul. De là il rentra probablement à Poitiers, et y ouvrit une école. C’est à ce moment, d’après A. Clervaï.