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HERMÈS


nément la foi vive, la foi opérant par la charité, et qu’il nomme pour sa part la foi efficace. Voici d’ailleurs en quelsjtermes il la décrit : « La seule vraiment théologique, quijnous élève au-dessus des choses terrestres, qui suit la volonté parfaite et le libre désir d’aimer Dieu et qui nous met en possession du domaine parfait de la loi et de l’esprit sur la chair. » — Seule la foi efficace, est libre, seule également elle est surnaturelle, elle requiert la grâce. L’assertion est d’ailleurs conforme à la théorie de la grâce admise par Hermès et ses partisans. Selon les théologiens catholiques, la grâce nécessaire à la foi doit affecter tout particulièrement l’intelligence, puisque l’acte de foi est proprement une adhésion de notre esprit et que dans l’intelligence est engendrée et se répand la certitude surnaturelle. Elle n’affecte que la volonté et nullement l’intelligence, au dire des hermésiens.

Comme Hermès a recommandé la méthode du doute et son usage constant, comme il confond d’autre part science et foi, on est curieux de savoir quelle peut bien être, à ses yeux, la règle de la foi catholique. En plus d’un ?passage, il est vrai, il nomme l’enseignement infaillible de l’Église. Cependant il ne fait aucun cas de l’autorité de l’Église et de la tradition, quand il aborde l’étude détaillée des dogmes. N’exige-t-il pas que la raison, avant de les admettre et comme moyen sûr de les reconnaître, les évoque l’un après l’autre à son tribunal ? A la raison il appartient de décider en dernier ressort, par une démonstration rigoureuse, s’ils sont contenus dans les sources propres de la foi, à savoir dans la parole de Dieu écrite ou traditionnelle. Ce n’est point tout son rôle. Même quand il est établi qu’une vérité est certainement révélée, la raison ne peut ni ne doit lui donner son assentiment, sinon après s’être assurée, par un examen interne de cette vérité, qu’elle n’implique point contradiction. Autant proclamer que la raison humaine, en matière de foi, est la principale ou même l’unique règle.

Hermès a erré sur de nombreux points de la dogmatique spéciale. Il ne pouvait en être autrement, étant donné sa méthode, sa règle de foi et les principes kantiens de sa philosophie. Parmi les erreurs que condamne le bref de Grégoire XVI nous ne parcourrons que les principales.

4° Dieu : existence, essence et attributs. — Hermès a traité de Dieu en philosophe et en théologien, c’est-à-dire qu’il a eu recours, pour établir son existence et ses attributs, aux démonstrations de la raison spéculative, aux jugements de la raison pratique et au donné révélé. Dans V Introduction philosophique, il déclare ne toucher aux attributs que dans la mesure où l’exigeait l’apologétique chrétienne. Il en traite plus à fond dans sa Dogmatique. Au jugement de Hermès, l’unique preuve certaine que Dieu existe est la nécessité tenue par la raison théorique d’une cause première qui rende compte de l’existence des êtres contingents. Inopérants sont les autres arguments ; tel, en particulier, l’argument qu’on tire de l’ordre du monde, cet ordre pouvant être l’effet du hasard. Il ne sert même de rien d’en grouper plusieurs sous prétexte de les renforcer les uns par les autres. On ne réussit par là qu’à les rendre tous suspects. On ne peut non plus demander à la raison pratique de prouver l’existence de Dieu : tous les arguments qui se fondent sur l’obligation morale, la nécessité d’un législateur et d’une sanction, sont sans valeur. Du moment que l’obligation de respecter en soi la dignité humaine explique tout le devoir, la raison pratique ou morale est à elle-même sa loi et sa sanction ; elle n’a pas besoin de Dieu. Non moins étrange est la doctrine hermésienne sur l’essence et les attributs divins. La raison théorique établit que Dieu est une substance existant par elle-même.unique, éternelle, personnelle, distincte de tout ce qui change

dans le monde, d’une puissance, d’une science et d’une bonté incompréhensibles. Mais elle ne peut démontrer que Dieu diffère d’une substance immuable qui ferait partie du monde, tout en restant étrangère aux changements dont le monde est le théâtre, ni davantage que Dieu est un pur esprit ou que ses attributs, notamment sa puissance, sa science, sa sainteté, sa bonté n’ont pas de limites. Autant de vérités dont la révélation seule nous donne la certitude.

Venons aux attributs que la raison pratique, à son tour, exige en Dieu. Nous verrons sans peine en certaines assertions bizarres des conséquences du principe kantien de l’autonomie de la raison morale. Puisque l’homme est à lui-même sa fin, puisqu’il ne peut être rapporté à aucun être, cet être lui fût-il infiniment supérieur, puisque le respect de sa dignité personnelle est pour lui tout le devoir, les positions respectives de Dieu et de l’homme se trouvent essentiellement modifiées. L’homme et non plus Dieu sera le centre où convergent toutes les lignes du créé ; l’homme aura presque tous les droits, et Dieu tous les devoirs ; on devra, pour apprécier les attributs moraux de Dieu et son action au dehors, les considérer du point de vue exclusif de l’homme, de ses propriétés et de son opération morale. N’est-ce pas la règle qu’a formulée Kant : « Si tu veux savoir ce que c’est que Dieu, observe ce que l’homme doit être d’après ce qui est prescrit par la raison pratique ? » On ne peut davantage méconnaître les caractères essentiels de la divinité, renverser plus complètement toute l’économie de la théologie soit naturelle, soit révélée. Voici, par exemple, comment on doit concevoir la justice en Dieu. La justice est le principe de la volonté divine qui subordonne toutes les actions de Dieu par rapport aux créatures, au droit absolu et relatif de ces créatures. Elle naît de l’estime que Dieu doit avoir, en toutes les dispositions qui la concernent, de la créature raisonnable ; elle règle sa conduite envers chacune, de manière à ne point blesser son droit ni le droit de quelque autre. Cette mesure s’étend aussi à la dispensation des moyens extérieurs et intérieurs de salut, comme la grâce, la prédication, la foi ouïes sacrements. C’est au point que, dans la répartition des dons, Dieu ne pourrait, sans injustice pour autrui, se montrer libéral envers quelqu’un au delà des bornes établies d’une manière générale. De même, Dieu est tenu rigoureusement d’observer dans la répression du mal une parfaite égalité. Il ne pourrait user d’indulgence vis-à-vis de tel ou tel, sans blesser le droit relatif qu’ont les autres à l’exemption des peines et à l’usage non restreint de leur liberté. Les justes notamment peuvent exiger que Dieu punisse les coupables selon la mesure des peines une fois établies. Si cette proportion n’était gardée, ils auraient sujet d’accuser Dieu de les avoir soumis à une loi injuste et arbitraire, en les contraignant à triompher d’eux-mêmes et de leurs passions. Dieu observe donc la justice non par un droit qui lui est propre, mais en vertu d’une obligation toute en faveur de la créature raisonnable. En Dieu aucun droit de punir le mal moral autant qu’il le mérite, ni à cause de sa malice et de son dérèglement essentiels, ni davantage pour l’atteinte qu’il porte à la sainteté divine ; en Dieu, aucun droit d’exiger de l’homme satisfaction pour les offenses qu’il en reçoit. La bonté pleine de sagesse deDieu.et non sa justice, a primitivement décrété la récompense ou la peine, a proportionné cette récompense ou cette peine à la grandeur du mérite ou de la faute. La justice n’intervient que dans l’exécution du plan divin, afin de diriger Dieu, l’inclinant à respecter le droit de la créature raisonnable. Cette doctrine, Hermès la présente comme conforme non seulement à la droite raison, mais encore aux | Écritures, et il déclare faux et arbitraire tout ce qu’ont