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HERMÈS


pure. Hermès croit flonc pouvoir passer du caractère obligatoire de la religion révélée à sa vérité objective. Si l’on demande comment il se fait que nous soyons tenus d’admettre la révélation, il distingue entre le cas du philosophe et celui des ignorants et des simples. L’obligation pour les ignorants et les simples se confond avec le devoir même d’embrasser la vérité. Ils n’y peuvent parvenir d’eux-mêmes et par leur raison propre, mais seulement par le moyen d’une révélation ; partant, cette révélation, ils sont moralement contraints de la recevoir et de l’admettre pour vraie. Quant au philosophe, la révélation ne lui est pas nécessaire comme aux autres ; il ne trouvera donc pas en soi le motif de pressant besoin qui la lui garantirait comme certaine ; c’est en dehors de lui, dans le devoir imposé aux ignorants qu’il apprendra à la reconnaître objectivement vraie. Nous acceptons que la révélation s’impose à notre assentiment, qu’elle nous oblige, à la condition toutefois qu’elle soit vraie. Hermès la déclare vraie parce qu’obligatoire, sa logique procède au rebours de la nôtre. Mais il se flatte en vain d’aboutir par le moyen de la raison pratique à une démonstration certaine de la religion révélée. A vrai dire, il n’échappe à l’écucil du scepticisme et au naufrage des croyances chrétiennes où l’entraînent les sophismes de la raison pure que par un expédient illusoire, un misérable biais : celui d’un acquiescement pratique à des vérités dont il renonce, en somme, a faire la preuve, mais qu’il s’effraie de voir disparaître. Invoquer, comme il le fait, en faveur de notre foi et comme l’argument de fond auquel tous les motifs de crédibilité emprunteraient leur force, l’ignorance et le besoin de croire du grand nombre, c’est tomber dans une grossière erreur. L’édifice entier du christianisme a mieux où s’étayer que cette base étroite et de fortune. L’apologétique hermésienne est non moins étrange que fausse. On s’en aperçoit mieux quand on examine au lieu des grandes lignes les détails de sa contexture. Rien n’est capital, selon l’apologétique traditionnelle, comme la preuve par les miracles. A la suite du Maître, les apôtres, les Pères de l’Église et tous les apologistes s’y sont référés comme à un argument certain de la vérité du christianisme. Veut-on savoir comment Hermès s’y prend pour établir que le miracle de la résurrection de Lazare, par exemple, n’est pas douteux ? Il observe avec la science incrédule qu’on ne peut connaître toutes les forces secrètes de la nature, partant qu’en présence d’un événement qui sort des lois ordinaires, il ne sera jamais possible de prononcer avec certitude s’il relève de la nature ou d’une cause surnaturelle. Devant cette difficulté qu’il estime insurmontable la raison pure ne peut que douter. Mais, que s’en suivrait-il si on ne pouvait, en aucun cas, dûment constater le miracle d’une résurrection, autrement une mort réelle suivie d’un retour véritable à la vie ? Il serait impossible de vérifier les décès ; de satisfaire à l’obligation d’enterrer les morts ; on devrait laisser sans sépulture, au risque d’infecter les airs et de ruiner la santé publique, les cadavres même en putréfaction. Cependant la raison pratique intervient, qui nous contraint au respect de cette loi de l’hygiène, et, conséquence bien inattendue 1 nous rend certains du miracle, s’il se produit. Voilà un des nombreux et plaisants tours de force par lesquels Hermès s’évertue à établir entre des faits de l’histoire qui sont à la base du christianisme, afin d’en maintenir la vérité objective, et le devoir moral, tel qu’il s’impose à chacun dans le concret à un moment précis, une connexion nécessaire. Tâche ingrate s’il en fut !

3° Nature et règle de la (oi. — L’erreur, pour ainsi dire classique, de Hermès a trait à la foi. De la foi théologique il méconnaît le motif essentiel, il supprime le caractère surnaturel et libre. Voici d’ailleurs la

définition qu’il en donne : « La foi est en nous un état de certitude et de persuasion par rapport à la vérité de la chose connue, état auquel nous sommes amenés par l’assentiment nécessaire de la raison théorique ou par le consentement nécessaire de la raison pratique. » Qu’est-ce à dire ? Science et foi ne se distinguent plus comme choses d’ordre différent. Le témoignage de Dieu qui révèle cesse d’être la raison formelle pour laquelle nous croyons. Ce qui nous détermine à croire, c’est, en définitive, l’évidence naturelle ou la vérité intime des choses perçues. Toute ferme persuasion sur Dieu et les choses divines constitue proprement la foi, par opposition à la science. Ainsi, il n’est pas nécessaire pour croire de s’être démontré au préalable l’existence de Dieu, de savoir qu’il a parlé ; être certain qu’un Dieu existe, c’est avoir déjà la foi. Hermès admet sans contredit la révélation surnaturelle. Mais l’assentiment du fidèle à cette révélation n’est qu’une des variétés de la foi divine ; quant à l’autorité de Dieu révélateur, elle représente tout au plus un principe spécial de connaissance sous le contrôle de la raison. A rencontre donc de toute la théologie catholique, Hermès a méconnu la souveraineté du motif formel de la foi ; toute foi, suivant lui, est de sa nature rationnelle, en ce sens que toute foi procède d’une nécessité physique ou morale de la raison.

Le système hermésien de la foi ne garde une apparente cohésion que grâce à plusieurs confusions d’idées. Hermès a confondu certes l’assentiment donné au témoignage divin, et qui est proprement l’acte de foi, avec la connaissance préalable qui justifie aux yeux de la raison cet assentiment ; car, selon le mot de saint Thomas, la raison ne croirait pas si elle ne voyait qu’il faut croire. Ce sont là deux actes de notre intelligence, non pas de même nature et nécessairement consécutifs, mais d’ordre différent, entre lesquels s’intercale un acte de la volonté libre. La connaissance dont le propre est de rendre l’acte de foi raisonnable et prudent, et que l’apologélique ou science de la crédibilité peut revendiquer comme son fruit, s’arrête au seuil de la foi ; elle ne peut être considérée comme son fondement homogène. L’école hermésienne est conséquente avec elle-même, lorsqu’elle appelle l’autorité de Dieu révélant un motif de crédibilité. Hermès s’est mépris non moins grossièrement sur le rôle de la raison dans la foi. L’acte de foi théologique est d’ordre intellectuel ; il exige, par conséquent, l’entrée en exercice de l’intelligence humaine. Notre raison a pour fonction nou seulement de se prononcer sur la crédibilité de la révélation, mais encore de connaître les vérités révélées. Or Hermès s’imagine à tort que connaître ces vérités, c’est proprement en juger, ou les saisir dans leur évidence même. Et il pensait pouvoir concilier malgré tout cette démarche de la raison avec l’humilité de la foi chrétienne. Quoique très exigeante en matière de preuve, la raison de l’homme fait œuvre encore d’abnégation, elle se livre, toutes les fois que des vérités s’imposent à son adhésion sans perdre toute leur obscurité. Hermès a enfin confondu deux choses que les théologiens distinguent soigneusement : l’évidence de la vérité perçue en elle-même et l’évidence de la crédibilité, le vrai évident et’.'évidemment croyable. C’est pourquoi il n’a pas admis qu’on puisse démontrer la crédibilité de la foi chrétienne, en général, ou d’une vérité révélée, en particulier, sans déroger à la liberté et au mérite de la foi. Il a considéré l’assentiment prudent et raisonnable donné à la révélation surnaturelle, comme la conclusion nécessaire d’un syllogisme. Hermès a cru sauvegarder tout de même le caractère moral de la foi chrétienne par sa distinction de la foi de connaissance et de la foi du cœur. Il n’y a, selon lui, de vraiment théologique et libre que cette dernière. Elle représente la foi que les théologiens appellent commu-