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heureux d’avoir pour épouse une femme de cette beauté et de ce mérite ! » Pensée mauvaise pour un homme marié et père de famille ; il devait en faire pénitence. Un peu plus tard, comme il se rendait à Cumes, il fut transporté par l’Esprit de Dieu dans un endroit inaccessible ; et là il vit dans le ciel Rhoda, qui lui apprit que Dieu était irrité contre lui à cause de sa mauvaise pensée. « Prie le Seigneur, lui dit-elle, et il guérira tes péchés, ceux de ta maison et de tous les tiens. » Réfléchissant alors au moyen d’apaiser Dieu et d’assurer son salut, il eut successivement, à intervalles plus ou moins longs, la vision quatre fois répétée d’une femme, qui représentait l’Église, qui lui lut et lui confia un livre, avec l’ordre de le transcrire en double exemplaire, l’un pour Clément, qui, selon le devoir de sa charge, devait le transmettre aux villes étrangères, l’autre pour Grapta, qui devait en instruire les veuves et les orphelins. Vis., ii, 4, 3. Lui-même devait l’interpréter à Rome avec ceux qui présidaient à l’Église. Dans la suite, ce fut la visite d’un homme qu’il reçut ; celui-ci, habillé en pasteur, la besace à l’épaule et la houlette à la main, se dit chargé de lui rappeler les visions qu’il avait eues et de lui faire écrire des préceptes et des similitudes : c’était l’ange de la pénitence, Vis., v : de là le livre du Pasteur.

Tels sont les renseignements autobiographiques fournis par Hermas sur sa vie et sur l’origine de son ouvrage. Il se présente donc comme un contemporain du pape saint Clément, à la fin du I er siècle. Mais qu’y a-t-il de vrai dans tout cela ? Hermas s’est-il imaginé avoir eu ces visions ? A-t-il voulu faire croire qu’il les avait eues réellement ? N’a-t-il pas plutôt recouru à un simple artifice littéraire pour faire entendre d’une manière saisissante la leçon de morale qu’exigeait une période de relâchement ? Sa personne est restée dans une ombre discrète ; mais, en revanche, son livre a joui, dès la seconde moitié du iie siècle, d’une assez grande célébrité ; car il fut lu publiquement dans les églises, tout au moins à titre d’instruction et d’édification, et il passa même, aux yeux de quelques Pères, pour un livre inspiré. Il importe donc de savoir ce qu’en pensa l’antiquité chrétienne.

Tradition primitive chez les grecs.

Le Pasteur

a été connu, apprécié et cité par certains Pères grecs. Saint Irénée, par exemple, en a reproduit un passage, en le faisant précéder de ces mots assez significatifs : xa/.ojç sT-ev tj yf aç* ;. Cont. hser., iv, 20, 2, P. G., t. vii, col. 1032. De même Clément d’Alexandrie, qui admet la réalité et le caractère divin des révélations d’Hermas, cite fréquemment le Pasteur et le qualifie d’Écriture. Strom., i, 17, 29 ; ii, 1, 9, 12, 13 ; vi, 15, P. G., t. viii, col. 800, 928, 933, 980, 994 ; t. ix, col. 357. Mais ni saint Irénée, ni Clément d’Alexandrie ne disent formellement qu’Hermas ait été un contemporain des apôtres. Origène, au contraire, qui croit à l’inspiration du livre, identifie son auteur avec l’Hermas nommé dans l’Épître aux Romains : Puto quod Hermas iste (celui de l’Épître aux Romains) sit scriplor libri illius, qui Pastor appellatur, quee scriptura valde mihi ulilis videtur et, ut puto, divinitus inspirala. In Rom., x, 31, P. G., t. xiv, col. 1282. Il n’ignore pourtant pas que son opinion n’est pas celle de tout le monde, In Matth., xiv, 21, P. G., t. xiii, col. 1240, et que certains ont peu d’estime pour cet ouvrage. De princ, iv, 11, P. G., t. xi, col. 365. Quatre fois même, quand il en parle, il use de cette précaution oratoire : Si cui tamen placeal eum légère ou recipere. P. G., t. ii, col. 823-826. Il n’y avait donc pas unanimité chez les grecs, du temps d’Origène, sur la question de savoir s’il fallait tenir pour inspiré le livre du Pasteur, mais on s’accordait à lui reconnaître une utilité et une valeur morale de quelque importance. Au commencement du ive siècle, Eusèbe constatait qu’il était lu publiquement dans les

églises et servait à l’instruction des catéchumènes, mais que certains mettaient en doute son inspiration. Dans ces conditions, il le retranche des èjvoXoyoupiva avec les HpàÇet< Ila-j/.ou, rA~o*â).-jiiiç neTpou, rE~ioTo).f, BapvâSa et les Aioa/xl -cov àitoaroXwv, H. E., iii, 3, P. G., t. xx, col. 217 ; il le range parmi les vo’Oa. H. E., ni, 25, ibid., col. 269. Plus tard saint Athanase, tout en l’excluant lui aussi du canon des Écritures, De decr. Nie. sun., 18, P. G., t. xxv, col. 456, le range parmi ceux qu’on doit lire aux catéchumènes : « Pour plus d’exactitude, écrit-il, je suis obligé de dire que nous avons d’autres livres qui ne sont point dans le canon, mais qui, selon l’institution des Pères, doivent être lus à ceux qui veulent être instruits des maximes de la foi. » Et il signale, parmi ces derniers, le Pasteur ainsi que des livres de l’Ancien Testament, tels que la Sagesse de Salomon, la Sagesse de Sirach, Eslher, Judith, Tobie, qui n’étaient pas encore reçus dans le canon des Écritures par un consentement unanime. Epist. /est., xxxix, P. G., t. xxvi, col. 1437. Il n’hésite pas, quant à lui, à s’appuyer sur le Pasleur pour réfuter les ariens qui l’exploitaient à leur profit. De incarnatione Verbi, 3, P. G., t. xxv, col. 101. Didyme l’Aveugle cite de même Vis., m, 2, 8, P. G., t. xxxix, col. 1141. L’auteur de l’Opus imperfectum in Matthœum (fin du ive siècle), xix, 28, homiî. xxxiii, P. G., t. un, col. 821, cite Sim., ix, 15. Il est à noter que, dans le Codex Sinailicus, le Pasteur se trouve avec l’Épître du pseudo-Rarnabé à la suite des livres du Nouveau Testament. Somme toute, jusqu’au ive siècle, le Pasteur d’Hermas a joui parmi les grecs d’une grande autorité, puisqu’on en faisait la lecture publique et qu’on s’en servait pour l’instruction des catéchumènes. Mais bientôt son influence décline. Il est pourtant encore cité par quelques écrivains. Et tandis que Nicéphore l’exclut de la liste des livres canoniques, l’interprète éthiopien en a fait un si grand cas qu’il le regarde comme de la main de saint Paul. Voici, en effet, ce qu’on lit en appendice dans la version éthiopienne, traduite en latin par Antoine d’Abbadie dans les Abhandlungen fur die Kunde des Morgenlandes, 1860, t. u : Finilse suntvisiones et mandata et similitudines Hermæ, qui est Paulus. 3° Tradition primitive chez les latins.

Beaucoup

moins favorable a été le jugement chez les latins. Vers 180, l’auteur du fragment de Muratori attribue formellement le Pasteur au frère du pape Pie, et refuse d’admettre son caractère inspiré : Paslorem vero nuperrime temporibus noslris, in urbe Roma, Hermas conscripsil, sedenle cathedra urbisRomse ccclesiæ Pio episcopo, fra(re cjus. El ideo legi eum quidem oportet, se publicare vero in ecclesia populo, ncque inter prophetas complctum (completos) numéro, neque inter apostolos in fine temporum potest. Tertullien, encore catholique, la traitait, il est vrai, de scriptura, De orat., 16, P. L., t. i, col. 1172 ; mais, devenu montaniste, il le qualifia de Pastor mœchorum et le repoussa comme un livre apocryphe, De pudicil., 11, 20, P.L., t. ii, col. 1000, 1021 ; sans nul doute parce que la pénitence y était accordée aux adultères, et vraisemblablement parce que le paps Zéphirin avait dû s’appuyer sur le Pasteur pour décider l’admission des adultères à la pénitence. Cf. A. d’Alès, La théologie de Tertullien, Paris, 1903, p. 228. Mais cela n’empêcha point l’auteur du De aleatoribus, c. iv, édit. Hartel, t. iii, p. 96, de le citer comme Écriture. Au commencement du ive siècle, le décret attribué au pape Pie par le pseudo-Isidore en appelait à Hermas pour réfuter les quartodecimans. Hardouin, t. i, col. 95 ; Mansi, t. i, p. 672. C’est qu’en effet on prétendait alors que la célébration de la Pâque le dimanche avait été prescrite par l’ange à Hermas. Et le Liber pontificalis, dans la notice consacrée au pape Pie, s’est fait l’écho de cette tradition : Sub hujus