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GERTRUDE LA GRANDE


1744, a discuté de près, et non sans quelque rigueur, toute une liste de textes diffieiles ; il conclut qu’on n’en peut rien tirer ni pour ni contre l’exactitude de toutes les révolutions. Corneille de la Pierre, In Canl., vin, 6, cite sainte Gertrude, mais parce et cum grano salis ubi res exigit, et note que ses révélations mulla conlineanl sijmbolica idcoque symbolice interpretanda. Quand on les replace dans leur contexte, les expressions les plus capables de dérouter apparaissent susceptibles d’une interprétation bénigne. Par exemple, an est d’abord surpris d’entendre la sainte s’adresser au Sauveur et lui demander de prier pour elle sa mère. 1. V, c. xxxiv. En réalité, c’est une façon de marquer l’amour de Kotre-Seigneur pour Marie et la prière que Jésus offre à sa mère pour Gertrude est un ordre véritable. Il ne semble pas qu’une seule de ces difficultés soit inexplicable.

En tout cas, c’est bien à tort que V. Preger, Geschichle der Mysti !  :, t. i, p. 126-130, a essayé de faire de sainte Gertrude une aïeule du protestantisme : il ne prononce pas ce gros mot, mais la manière dont il parle de l’assujettissement à la loi cédant la place à une liberté toujours sensiblement plus grande, de l’effacement de l’ascèse monastique devant la joie et la confiance, et de tout ce qu’il appelle « l’effort de l’esprit de Gertrude vers une illumination croissante, » ne laisse pas de doute sur sa pensée. Or, la liberté d’esprit de la moniale d’Helfta est éminemment orthodoxe. Elle proclame volontiers les mérites des saints, les mérites des croyants ; mais, objecte Preger, quand il s’agit d’elle-même, elle n’entre pas dans ce jeu, elle ne met en avant que son indignité et la grâce divine. Et il note qu’en matière de reliques Jésus lui dit : « Les plus précieuses reliques sont mes paroles ; » qu’ayant su qu’on prêchait des indulgences de plusieurs années, elle désira avoir des richesses afin de les offrir pour gagner ces indulgences et, par ce moyen, de racheter ses péchés, et Jésus de lui dire : « Je t’accorde, de mon autorité souveraine, le pardon de tous tes péchés, » 1. III, c. xi. Tout cela c’est le langage très catholique des saints, c’est l’humilité, c’est l’affirmation de l’efficacité du désir et de l’amour, l’affirmation de la puissance miséricordieuse du Sauveur. Tout cela, et bien d’autres détails, c’est le fait d’un enfant « qui se sent libre dans la maison du Père ; » oui assurément, mais cette liberté est si peu d’essence protestante que le P. Faber, d’une part, déclare, avec tous les auteurs spirituels, que, sans la liberté d’esprit on travaillerait en vain à la perfection, qu' « il n’y a rien de comparable à la gloire d’une âme libre sinon l’adorable magnificence de Dieu, » Progrès de l'âme dans la vie spirituelle, trad. F. de Bernhardt, 3e édit., Paris, 1857, p. 62 ; cf. tout le c. iv, p. 49-62, et, d’autre part, désigne sainte Gertrude comme « un bel exemple » de cet esprit de liberté qui est l' « esprit de la religion catholique. » Tout pour Jésus, trad. F. de Bernhardt, 17e édit., Paris, 1867, p. 325, 326. Entre divers traits qui servent « à faire voir de quelle délicieuse liberté d’esprit elle jouissait, » il mentionne l’habitude — que Preger, p. 127-128, allègue à l’appui de sa thèse — de ne pas s’abstenir de communier parce qu’elle était imparfaite ou n’avait pu accomplir tous ses exercices ordinaires, se reposant sur la condescendance infinie de Dieu et ne s’inquiétant que de recevoir l’eucharistie dans un cœur brûlant d’amour. Et il conclut, p. 329 : « Oh ! plût à Dieu qu’elle revînt dans l'Église pour être ce qu’elle fut dans les siècles passés, le docteur et le prophète de la vie intérieure ! » Cf. p. 172-85.

III. Influence.

De son vivant, sainte Gertrude exerça une notable influence. Après sa mort, et pour longtemps, ses révélations demeurèrent à demi cachées ; on n’en connaît que deux exemplaires

manuscrits. Probablement elles furent dans les mains d’Eckart. Cf. E. Ledos, Sainte Gertrude, p. iii, note. Au commencement du xvie siècle (1505), un dominicain en publia une traduction allemande. L’honneur d’avoir procuré leur diffusion appartient au chartreux Jean Lansperge. Il en prépara la première édition latine, qui fut publiée par l'éditeur de Denys le Chartreux, Thierry Loher, également chartreux (1536), avec ce titre : Insinuationes divinse pietalis. Lansperge, si dévot au Sacré-Cœur, cf. dom C.-M. Boutrais, Un précurseur de la B. Marguerite-Marie Alacoque au XVIe siècle. Lansperge le Chartreux : et la dévotion au Sacré-Cœur, Grenoble, 1878, p. 55-62, n’avait pu qu'être gagné par la doctrine gertrudienne ; non content d’en être le propagateur, il en fut l’apologiste. Son contemporain, Louis de Blois (Blosius), le pieux abbé bénédictin de Lessies, en Hainaut († 1566), contribua aussi beaucoup à la gloire de Gertrude. Il s’en inspire souvent. En particulier, son Monile spirituale divinis revelationibus tanquam preeclaris quibusdam gemmis exornalum est composé en bonne partie d’extraits des écrits de la sainte qu’il appelle familièrement de son petit nom, à l’allemande, Gertrudis sive Trutha, c. i, dans ses Opéra, édit. A. de Winghe, Anvers, 1632, p. 587, et se termine par un appendice (sur les quatre saintes Brigitte, Catherine de Sienne, Mechtilde de Hackeborn, Gertrude) où notre sainte est magnifiquement louée, p. 619-620. Louis de Blois, dans sa dédicace d’un autre ouvrage, l' Instilulio spirilualis, p. 295 ; cf. p. 621, traite d’homines superbi et animales ceux qui condamnent les révélations de sainte Gertrude et disent que les écrits de ce genre sont des songes de bonnes femmes. Il y eut, en effet, des contempteurs de cette littérature mystique, surtout parmi les protestants. Le prémontré C. Oudin, Supplementum de scriploribus vel scriplis ecclesiaslicis a Bellarmino omissis, Paris, 1728 (la l re édition est de 1686), p. 454, qualifie les œuvres de sainte Gertrude à'opus devolioni mulicrum aptissimum. Dans son Commentarius de scriptoribus Ecclesiæ anliquis, composé quand il eut passé au protestantisme, il accentue cette note dédaigneuse, Leipzig, , 1722, t. iii, p. 237 : Opus devolioni mulierum cerebro laborantium aptissimum. Ni le protestantisme, ni le jansénisme ne pouvaient apprécier équitablement des révélations aussi opposées à leurs principes. On s’est même demandé si Bossuet, en critiquant la spiritualité d’un Taulère ou d’un Buysbroeck, n’aurait pas « mis en défiance à l'égard d’auteurs beaucoup plus sûrs, telle que sainte Gertrude, mais qui appartenaient au même pays. » A. Lepître, dans L’université catholique, t. xxv, p. 226. Quoi qu’il en soit, malgré les contradictions, la fortune de sainte Gertrude continua de grandir, grâce à des éditions nouvelles du texte latin des révélations et à une série de traductions en langues française, italienne, espagnole, allemande ; en outre, toute une légion d’apologistes prit sa défense. Voir les principaux noms dans une note de l'éditeur de Louis de Blois, p. 621-622. Son culte fut autorisé par le Saint-Siège, d’abord (1606) pour les moniales de Saint-Jean-1'Évangéliste à Lecce, puis pour diverses maisons religieuses, et enfin (1674) pour tout l’ordre de saint Benoît. En 1678, son nom fut inscrit dans le martyrologe. En 1738, Clément XII étendit son culte à l'Église universelle. Cf. Benoît XIV, De servorum Dci bealificaiione, 1. I, c. xli, § 11. Dans ces actes officiels apparaît et est consacrée en quelque sorte l’appellation de sainte Gertrude la Grande. Cf. Benoît XIV, op. cit., 1. I, c. xli, n. 39 ; 1. IV, part. II, c. xviii, n. 16 : Sanctse Gertrudis quæ dicitur la Magna. A quelle époque remonte l'épithète ? Il est difficile de le dire ; manifestement elle vise l’excellence de la doctrine gertrudienne.