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HERACLEON


cosmos et de toute la nature inférieure. Saint Jean avait beau l’attribuer au Verbe, quand il dit : rcavTa Z : ' aJT&S è-'Éveto. xat "/'"pU ocÙtoC » ÈyÉvETO ouos ev, Joa., i, 3, Héracléon de sa propre autorité complétait ce texte par ces mots significatifs : iwv sv tgj /.ôatiio xat T7j z- ::3E'., soustrayant ainsi au Verbe la création du cosmos. L’expression 81' aùtou se rapporte bien au Verbe, mais Héracléon l’expliquait ainsi : c’est le Verbe qui est la cause de cette création, mais c’est le démiurge qui l’opère : o-jy ôk lit' aXXou svepyouvToç aùio ; i-oui ô Aoyoç, àXk ' a-j-od èvepyoO’vTo ; stepoç ârot’si ; de telle sorte que le démiurge avait servi d’instrument au Verbe. Mais alors, observait Origène, In Joa., t. il, 8, P. G., t. xiv, col. 137, il faudrait dire : 8tà toù 6T)u.iO’joyoû zàvTa ysyovévai utzo toù' Aoyou et non 8tà toû AÔyou : j~o toù ST, iiioupyo3.

2. Les anges et les démons. - — Héracléon a cru à la f able du commerce de certains anges avec les filles des hommes et s’est demandé si ces anges seraient sauvés. In Joa., t. xiii, 59, col. 516. Il a cru aussi que la nature des démons différait de celle des anges et était essentiellement mauvaise. D’après saint Jean, le diable « n’est pas demeuré dans la vérité, parce qu’il n’y a pas de vérité en lui » , Joa., viii, 44 ; c’est donc, concluait Héracléon, que sa nature, contraire à la vérité, était faite d’ignorance, de mensonge et d’erreur. Bien à tort, remarquait Origène, car si le diable est mauvais par nature, il n’a ni liberté ni responsabilité, et il mérite d'être plaint plutôt que d'être blâmé. In Joa., t. xx, 22, col. 640.

3. Le Sauveur. - — D’après la gnose valentinienne, Jésus est né de la Vierge Marie, Sià Mapîaç, non iv. Mapcaç. Le texte évangélique porte : Ilvêujxa "Ayiov è-e/ejjETa : et :  ! aé, "/.at ouvafjuç ' Y<{n’crcou è5Ciaxtâaeieroi.Luc., i, 35. Mais, pour les valentiniens, ce Ilvêu ; xa n’est autre que Soçt’a, et cet c Y<]h<ttoç n’est autre que le oV, [xioupyo' ;  ; de telie sorte que Jésus relève à la fois du plérome et du démiurge : c’est à l’Esprit-Saint, dénommé Verbe de la Sagesse, qu’il doit sa nature supérieure, mais c’est au démiurge qu’il doit son corps. Et ce corps n’est ni hylique, ni pneumatique, au dire d’Héracléon, mais psychique ; c’est en lui qu’au jour du baptême l’Esprit, Verbe de la Sagesse, est descendu sous forme de colombe, et c’est lui que ce même Esprit a ressuscité d’entre les morts. Philosoph., VI, 35, p. 295-296.

Ce Jésus, ainsi formé, est désigné parfois dans l'Évangile sous le nom de Fils de l’homme, ô uîô ; tou àvBpcojtou ; mais Héracléon distingue arbitrairement deux Fils de l’homme, celui qui sème et celui qui moissonne. In Joa., t. xiii, 48, col. 487. Il est venu sauver l’humanité ; il sauve même, comme nous l’avons vu, les enfants que le démiurge ne peut pas sauver lui-même.

Au grand scandale d’Origène, Héracléon interprète mal ce passage : « Est-ce qu’il va se tuer lui-même, puisqu’il dit : Où je vais, vous ne pouvez venir ? » Joa., viii, 22. Il prétend, en effet, que les juifs, en parlant ainsi, se montraient supérieurs au Sauveur, puisqu’ils croyaient aller, eux, à Dieu dans le repos éternel, tandis que Jésus parlait d’aller, par le suicide, à la mort et à la corruption. In Joa., t. xix, 3, col. 561.

4. Le salut.

Tout en reconnaissant à Jésus un rôle éminent dans le salut des hommes, Héracléon restait fidèle a l’explication gnostique de la rédemption et à la distinction de l’humanité en trois classes : celle des hyliques, des psychiques et des pneumatiques.

Les hyliques étaient ceux en qui domine l'élément matériel et qui, mauvais par essence, sont incapables d’immortalité et ne sauraient bénéficier en rien de la

li mption. Tels sont les fils du diable, qui ont même nature que le diable, et difïèrent ainsi des psychiques et des pneumatiques. In Joa., t. xx, 18, 20, col. 616,

625. Dans cette catégorie, si étrangement exclue du salut, Héracléon, comme les autres gnostiques, devait ranger les païens.

Les psychiques étaient l'œuvre du démiurge ; leur ijnjyri, naturellement mortelle, ne pouvait revêtir l’immortalité qu'à la condition qu’ils deviennent les enfants de Dieu et qu’ils soient rachetés par le Sauveur. Cette parole de Jésus aux juifs : « Le père dont vous êtes issus, c’est le diable, et vous voulez accomplir les désirs de votre père, » Joa., viii, 44, est adressée, selon Héracléon, non aux hyliques, qui sont fils du diable par nature, mais à des psychiques passés volontairement sous le joug du diable ; elle explique pourquoi ces juifs étaient incapables d’entendre la parole du Sauveur et de comprendre son enseignement. Selon qu’ils s’assujettissent au diable par le seul fait de leur volonté, en s’appliquant à réaliser ses désirs, ou qu’ils se rangent parmi les enfants du Dieu suprême, les psychiques participent à l’anéantissement des hyliques ou au salut des pneumatiques. In Joa., t. xx, 20, col. 629. Tel l’enfant de l’officier de Capharnaiim : fils d’un père qui représentait le démiurge et qui ne pouvait le sauver, il dut son salut à Jésus ; son âme n'était pas immortelle ; il possédait simplement ce quelque chose de mortel et de corruptible, qui peut revêtir l’immortalité et l’incorruptibilité, à la condition d'être sauvé par Jésus. Car la parole de l'Évangile : oi ufot tfjç (BaaiXifaç èÇEXïûaovTat eiç to ctxôtoç ro'ÈÇwTEpov, Matth., viii, 12, signifie la perte des hommes qui sont les enfants du démiurge, c’est-à-dire des psychiques. In Joa., t. xiii, 55, col. 513-516.

Enfin les pneumatiques étaient ceux qui, possédant un élément divin du plérome, sont assurés de leur salut, quoi qu’ils fassent. Ceux-ci sont dans le Verbe, demeurant en lui, ne faisant qu’un avec lui, In Joa., t. ii, 15, col. 149 ; ce sont les adorateurs de Dieu en esprit et en vérité, et possédant la même essence que Dieu, T7J ; âauxrjç çutiEtùç. In Joa., t. xiii, 25, col. 416. A eux s’applique ce passage de Jésus : « S ; o ; ôfxoXo^r'^v. h ÈLiot. Luc, xii, 8. ' Ev èijlo !, remarquait Héracléon, et non pas hxi, chose bien différente ; car quiconque est avec le Sauveur ne saurait le renier : oùSeîç yâp 7 : ot£ <5v àv xjtoj àpvêÏTai ocÙto’v. Clément d’Alexandrie, Strom., IV, 9, ' P. G., t. viii, col. 1281-1283. Telle quelle la phrase dit qu’en fait il ne le renie pas ; mais la logique du système va plus loin et laisse entendre qu’en droit il ne peut le renier. Le dernier époux de la Samaritaine, celui que Jésus lui dit d’aller chercher, représente le pneumatique, qui appartient au plérome. In Joa., t. xiii, 10, col. 413. Et naturellement appartenaient à cette catégorie privilégiée tous les initiés de la gnose.

Tels sont les quelques points du système d’Héracléon qui ressortent des passages cités ou réfutés par Origène ; ils seraient apparemment plus nombreux si le commentaire d’Origène nous était parvenu intégralement ; mais ils suffisent pour montrer la relation étroite de sa doctrine avec le gnosticisme valentinien. On y voit que le premier commentateur connu des livres du Nouveau Testament recourait, tout comme les orthodoxes, mais dans un but opposé, à l’interprétation littérale et allégorique.

Éditions. — Les fragments d’Héracléon ont été réunis par Grabe, Spicilegium SS. Palram ut et héerelicorum, Oxford, 1698-1699, t. il, p. 85 sq., par Massuet, dans son édition des œuvres de saint Irénée, P. G., t. vii, col. 12911321, et par Brooke, The fragments of Héracléon, Cambridge, 1891, dans Texts and studies, t. i, n. 4.

Sources. — S. Irénée, Cont. hær., P. G., t. vu ; pseudoTertullien, De pro’scriplionilms, 49, P. L., t. ii, col. 69 ; Philosophoumena, VI, 35, édit. Cruice, Paris, 1860, p. 296 ; S. Philastrius, Hær., 41, P. L., t. xii, col. 1158-1159 ; S. Épiphane, Ihvr., xxxvi, P. G., t. xli, col. 633-642 ; Prædestinatus, 16, P. L, , t. mi, col. 592.