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HENRI

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terminaient par une croix de fer. Les principes qu’ils lui attribuent après le concile de Pise cadrent substantiellement avec le pétrobrusianisme : à son instigation, les fidèles n’entrent pas dans les églises, rejettent l’eucharistie, dénient aux prêtres les dîmes, les offrandes, la visite des malades et le respect accoutumé. Saint Bernard s’accorde avec les Actes et ajoute quelques traits, Epist., ccxli, P. L., t. clxxxii, col. 434 : « Les basiliques sont sans fidèles, les fidèles sans prêtres, les prêtres sans l’honneur qui leur est dû, et enfin les chrétiens sans Christ. Les églises sont réputées des synagogues, le sanctuaire de Dieu ne passe plus pour saint, les sacrements ne sont plus estimés sacrés, les jours de fête sont frustrés de leurs solennités. Les hommes meurent dans leurs péchés ; les âmes, hélas I sont précipitées au tribunal terrible n’étant ni réconciliées par la pénitence ni munies de la sainte communion. Les petits enfants des chrétiens sont exclus de la vie du Christ, puisque la grâce du baptême leur est refusée. » Rejet du baptême des enfants, de l’eucharistie, du culte des églises, tels sont les points qu’Henri possède en commun avec Pierre de Bruys ; il accentue l’antisacerdotalisme de Pierre et son antisacramentalisme.

III. Disciples.

Henri séduisit les foules. Au Mans, il tourna le peuple contre le clergé ; quand l’évêque Hildebert revint dans sa ville épiscopale et donna sa bénédiction, la multitude s’écria : « Nous ne voulons pas de tes bénédictions ; bénis des ordures, si tu veux ; nous avons un autre père, un autre pasteur, qui vaut beaucoup mieux que toi. » Cette effervescence tomba après le départ d’Henri, mais il en resta quelque chose. Les Actes des évêques du Mans disent : eos enim Henricus se sibi illexerat quod vix adhuc memoria illius et dilectio a cordibus eomm deleri valeat vel depelli. Tous n’imitèrent donc pas jusqu’au bout l’exemple de deux jeunes clercs, Cyprien et Pierre, qui avaient adhéré au pseudo-prophète, « grand piège du démon et écuyer célèbre de l’Antéchrist » , mais qui « abandonnèrent cet ange des ténèbres » aussitôt qu’on lui enleva son masque. Cf. Hildebert, Epist., xxiv, P. L., t. clxxi, col. 242.

En Languedoc et dans l’Albigeois, l’influence d’Henri fut considérable ; lalettre de saint Bernard au comte de Toulouse et de Saint-Gilles révèle qu’il avait, pour ainsi dire, déchristianisé cette province. Les voies lui avaient été frayées, du reste, par ces hérétiques qu’avait condamnés le concile de Toulouse, en 1119, et qui rejetaient le baptême des enfants, le sacerdoce et le mariage. Cf. Labbe, Særosaneta coneilia, Paris, 1671, t. x, col. 857. Parmi les henriciens figurèrent des gens du peuple, des tisserands, et aussi des notables, des gens d’épée médiocrement soucieux de dogmatisme, mais hostiles aux clercs et enchantés d’accueillir une prédication qui les dégageait des pratiques religieuses. La grande parole de saint Bernard secoua ces populations du Midi essentiellement mobiles Sauf à Verfeil, ubi sedes est Salame, dit Geoffroy d’Auxerre, Epist., n. 6, P. L., t. clxxxv, col. 414, il fit de nombreuses conversions. Le saint, de retour à Clairvaux, reçut des nouvelles si bonnes du Languedoc qu’il put croire à l’extinction prochaine de l’hérésie. Cf. Epist., ccxlii, P. L., t. clxxxii, col. 436. Geoffroy d’Auxerre qui narre, non sans s’illusionner sur leur étendue, les succès de cette mission, dans la Vifa, c. vi, n. 17, P. L., t. clxxxv, col. 313, écrite à distance des événements, avait compris, sur l’heure, qu’il aurait fallu des prédications prolongées pour consolider les résultats obtenus. Terra lam multiplicibus errorum doctrinis seducta opus haberet lonya pnvdicatione, écrivait-il en annonçant le retour de Bernard à Clairvaux. Epist., n. 5, P. L., t. clxxxv, col. 412. L’hérésie henricienne proprement dite disparut peu à peu, mais pour revivre,

transformée, dans l’albigéisme. C’étaient de vrais albigeois, et non des henriciens tout court, que les hérétiques dont il est question dans une lettre de Raymond de Toulouse au chapitre général de Cîteaux (1177). Vie et Vaissete, Histoire générale de Languedoc, nouv. édit., Toulouse, 1879, t. vi, p. 77-78, qui ont publié des fragments de cette pièce, confondent à tort, ici et ailleurs, par exemple p. 218, henriciens et albigeois. Cependant le nom d’henriciens subsista. Le 25 juillet 1236, les consuls d’Arles s’engageaient par serment à punir les vaudois, les henriciens, et leurs croyants et fauteurs. Cf. Papon, Histoire générale de Provence, Paris, 1778t. ii, Preuves, p. lxxviii.

Les historiens ne manquent pas qui ont vu dans les henriciens des albigeois avant la lettre et dans leur chef Henri, ainsi que dans Pierre de Bruys, des partisans du dualisme manichéen, qui est la principale caractéristique de l’albigéisme. Voir t. ii, col. 1154. Quelques textes semblent favoriser cette opinion. Geoffroy d’Auxerre, Epist., n. 4, P. L., t. clxxxv, col. 411, nous apprend qu’Henri eut, à Toulouse, des adeptes parmi les tisserands quos arianos ipsi nominant ; or, les albigeois furent appelés tisserands et ariens. Voir t. i, col. (577. Albéric des Trois-Fontaines, Chronic, an. 1148, regarde Henri comme le chef des poplitains, et le terme de poplitains ou poplicains servit à désigner les albigeois. Enfin, l’Exordium magnum cislerciense, dist. II, c. xvii, P. L., t. clxxxv, col. 427, dit que saint Bernard se rendit à Toulouse pro confutanda hæresi manichœorum. En dépit de ces textes, il n’est pas prouvé qu’Henri, non plus que Pierre de Bruys, ait professé le néo-manichéisme des albigeois. Nulle part nous n’apercevons qu’il ait admis deux principes, ou qu’il ait condamné l’usage de la viande et le mariage ; à ce dernier point de vue, les hérétiques anathématisés par le concile de Toulouse (1119) ont été plus que lui les précurseurs de l’albigéisme. L’auteur de VExord’um, qui écrivait en pleine crise néo-manichéenne, vers 1210, a bien pu taxer faussement de manichéisme la doctrine d’Henri et ne pas la distinguer de l’albigéisme qui l’avait remplacée en bénéficiant de ses efforts et qui, tout en la complétant, s’était inspiré d’elle. Albéric des Trois-Fontaines, de date également postérieure, ne sait pas différencier des éonistes les poplitains auxquels il donne Henri pour chef ; son témoignage est trop confus pour avoir de la valeur. Quant aux tisserands et aux « ariens » de Toulouse, ils ont été henriciens d’abord et plus tard albigeois ; ceci était préparé par cela, sans qu’il faille identifier l’un et l’autre. L’albigéisme ou catharisme fut le grand confluent de la plupart des hérésies du moyen âge. L’hérésie henricienne, et d’autres qui présentent avec elle des ressemblances, celles de Pierre de Bruys, d’Éon de l’Étoile, de ce Pons de Périgueux que nous fait connaître le moine Héribert (vers le milieu du "xiie siècle), cf. P. L., t. clxxxi, col. 1721-1722, etc., se sont fondues avec le catharisme et ont facilité son expansion. Aucune d’elles n’avait soutenu le principe essentiel du catharisme, qui est le dualisme manichéen. Mais, en s’attaquant à l’Église et à sa hiérarchie, en rejetant, dans une mesure variable, les sacrements, elles avaient travaillé pour la cause cathare. Personne ne fit plus dans ce sens qu’Henri ; il remua et commença d’ensemencer le terrain où l’hérésie cathare devait recueillir ses plus abondantes récoltes.

I. Sources.

Hildebert de Lavardin, Epist., 1. II, epist. xxiii-xxiv, P. L., t. clxxi, col. 237-242 (il n’est pas sûr que la lettre xxiii concerne Henri) ; les Actas pontifleum Cenomannis in urbe degenlium, dans Mabillon, Vêlera analecta sive collectif) veterum aliquol operum et opnsculoriirn, Paris, 1682, t. iii, p. 312-320 ; Pierre le Vénérable, Tractatus adversus petrobrusianos hæreticos, P. L., t. clxxxix, col. 723, 728, 729 ; S. Bernard, Epist., ccxli-ccxlii, P. L.,