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HENRI

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moine, Henri n’avait pas reçu les ordres sacrés et probablement ne s’était guère livré aux études ; mais il avait, avec une lecture telle quelle de l’Évangile, un talent de parole remarquable servi par un extérieur séduisant, ce qui explique sa réussite. Plus encore que les dehors de la science il affectait ceux de la sainteté. D’après les Actes des évêques du Mans, il prétendait que Dieu lui avait conféré, par une bénédiction, l’esprit des anciens prophètes qui lui permettait, à la seule inspection du visage, de découvrir les péchés les plus cachés des mortels. Il posait pour l’austérité rigide ; mais, sur ce point, les textes du temps s’accordent à dire que la réalité ne correspondait pas aux’apparences. Les protestants, qui saluent en lui un précurseur de la Réforme, s’inscrivent en faux contre leurs affirmations ; Hauck lui-même, qui déclare pourtant que c’est une question de savoir si la belle image d’Henri dessinée par le protestantisme est plus ressemblante que la sombre peinture des écrivains du moyen âge, traite de « calomnie » l’accusation d’immoralité. Realencyklopâdie, 3e édit., Leipzig, 1899, t. vii, p. 606. Ce jugement paraîtra sommaire et non exempt de parti pris, si l’on songe à la convergence des témoignages défavorables à Henri et aux circonstances dans lesquelles ils se produisent. Hildebert dit que la honte de sa vie devint manifeste et que serpens Me crepuit apud nos pâte fada pariter et ignominia vitse et veneno, doclrinæ. Les Actes des évêques du Mans parlent d’entretiens dégénérant en libertinage. Leur récit ne s’impose pas au même degré. Mais nous apprenons de Geoffroy d’Auxerre, toc. cit. ; cf. sa lettre sur divers miracles de saint Bernard, n. 5, P. L., t. clxxxv, col. 412, que saint Bernard n’eut, pour ruiner l’action d’Henri, qu’à démasquer sa « vie très mauvaise » . La lettre de saint Bernard, déjà citée, au comte de Toulouse et de Saint-Gilles nous offre un échantillon de cette polémique. Fréquenter siquidem, écrit-il, post diurnum populi plausum, nocte insecuta cum merctricibus inventas est prædicator insignis, et etiam cum conjugatis. Et il invite le comte à rechercher comment Henri est sorti de Lausanne, du Mans, de Poitiers, de Bordeaux, nec palet ci uspiam reversionis adilus, utpote qui fœda post se ubique reliquerit vesligia. Évidemment ici, comme dans le texte d’Hildebert, il est question de faits de notoriété publique. Ni Bernard ni Hildebert n’étaient capables de les inventer ; ils ne formulent pas un grief imaginaire, ils rappellent ou racontent ce qui est connu de beaucoup.

Les renseignements font défaut sur le rôle d’Henri à Lausanne. Le mercredi des cendres 1101, deux de ses disciples arrivèrent au Mans et proposèrent leur maître pour prêcher le carême. Hildebert de Lavardin, évêque du Mans, accepta ; se rendant en Italie, il chargea son archidiacre de l’accueillir. Henri s’attira vite les sympathies du peuple et l’hostilité du clergé. Dès sa rentrée au Mans, Hildebert reconduisit de son diocèse quillet 1101). Cf., sur cette date, E. Vacandard, Revue des questions historiques, Paris, 1894, t. lv, p. 68, note 3. Nous ignorons les incidents qu’amena le passage d’Henri dans le Poitou et en Aquitaine. En 1135, arrêté par l’archevêque d’Arles, il comparut devant le concile de Pise, et y abjura ses erreurs. Saint Bernard, à qui il fut confié, lui écrivit, de Clairvaux, ut ibi monachus ficret, dit Geoffroy d’Auxerre. Epist., n. 5, P. L., t. clxxxv, col. 412. Il ne semble pas qu’Henri se soit rendu à Clairvaux. S’il y alla, il n’y resta guère. Il reprit son existence vagabonde. Ce fut probablement à cette époque, peut-être même avant le concile de Pise, qu’il rencontra Pierre de Bruys et subit son influence doctrinale. Pierre le Vénérable dénonça Pierre de Bruys et son « pseudo-apôtre » Henri, dans le Tractatus adversus petrobrusianos hærcticos, entre 1137 et 1140. Voir, sur cette date,

Bruys (Pierre dé), t. ii, col. 1152 ; G. Robert, Les écoles et renseignement de la théologie pendant la première moitié du xiie siècle, Paris, 1909, p. 196-198. Henri parcourut le Languedoc ; sa prédication eut un succès prodigieux. Saint Bernard, sollicité à plusieurs reprises d’aller le combattre, céda à de nouvelles instances du cardinal-légat Albéric d’Ostie (1145). Il se dirigea sur Bordeaux, et, de là, en passant par Bergerac, Périgueux, Sarlat et Cahors, sur Toulouse. Henri, qui s’y trouvait, prit la fuite. Bernard, ayant pour programme de visiter les principaux endroits où l’henricianisme s’était implanté, visita encore Verfeil et Albi. Des miracles, dont il ne mit pas en doute la réalité malgré l’extrême défiance qu’il avait de lui-même, ajoutèrent à l’effet de ses paroles. Cf. E. Vacandard, Vie de saint Bernard, Paris, 1895, t. ii, p. 226, 228-229, 232-233. Il revint à Clairvaux, après un espace de temps qu’il qualifia de « court, mais non infructueux » . Epist., ccxlii, P. L., t. clxxxii, col. 436. Henri fut bientôt saisi et livré à l’évêque de Toulouse, qui le condamna à la prison. Une détention perpétuelle fut vraisemblablement sa peine. On a prétendu, à tort probablement et par suite d’une confusion entre Henri et Éon de l’Étoile, qu’Henri fut jugé au concile de Reims (1148) et puni de la réclusion perpétuelle dans la prison de l’archevêque de cette ville. Cf. E. Vacandard, Vie de saint Bernard, t. ii, p. 233, note 2. II. Doctrine.

Henri commença par jouer au

réformateur. Il attaqua les vices des prêtres et ameuta contre eux le peuple. Les Actes des évêques du Mans racontent que, en l’absence d’Hildebert, le clergé, de cette ville reprocha par lettre au fougueux prédicateur d’avoir excité l’animosité populaire, déclaré les clercs hérétiques, et émis plusieurs propositions, qui ne sont pas spécifiées, contraires à la foi catholique ; en outre, Henri, sans parler d’autres innovations relatives au mariage, aurait enseigné que nec curarent sive caste sive inceste connubium sortirentur. Si l’on pouvait admettre, avec l’éditeur d’Hildebert, dom Beaugendre, qu’Henri est le destinataire d’une lettre d’Hildebert, 1. II, epist. xxiii, P. L., t. clxxi, col. 237-242, où est combattue l’erreur que les âmes des saints ignorent ce qui se passe dans cette vie et que, par conséquent, les prières qu’on leur adresse sont inutiles, on connaîtrait une des idées de l’hérésiarque. Mais tout contribue à rendre cette hypothèse bien invraisemblable : le ton de cette longue pièce ; le fait qu’Hildebert, ayant appris que le novateur lui attribuait son propre sentiment, avait d’abord résolu, fort du témoignage de sa conscience, de se taire, et qu’il ne parle que pour arrêter les progrès de la théorie incriminée, ce qui suppose plus de temps qu’il n’y en eut entre le retour d’Hildebert et l’expuli sion d’Henri ; surtout le silence complet sur les agissements d’Henri au Mans. A partir de la rencontre d’Henri avec Pierre de Bruys, sa dogmatique se compléta d’emprunts faits à ce dernier. Il ne le copia point, cependant, de façon servile. Pierre le Vénérable, Tractatus adversus petrobrusianos, prasf., P. L., t. clxxxix, col. 723, dit : Hxres nequitiæ ejus (Pierre de Bruys) Henricus cum nescio quibus aliis doctrinam diabolicam non quidem emendavit sed immulavit, et il mentionne un volume qu’on prétend reproduire l’enseignement oral d’Henri et qui renferme plus que les cinq chefs d’erreur de l’enseignement de Pierre de Bruys ; mais, parce qu’il n’est pas encore pleinement sûr de l’authenticité de ces doctrines, Pierre le Vénérable dilïère leur réfutation jusqu’à ce qu’il ait acquis là-dessus une entière certitude (il ne paraît pas avoir donné suite à ce projet). Henri n’avait aucunement partagé, au moins à ses débuts, l’horreur de Pierre de Bruys pour la croix ; les Actes des évêques du Mans nous apprennent que ses disciples portaient, ex doctoris consueludine, en guise d’étendard, des bâtons qui se