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GERSON


Sous le rapport mystique, Gerson est bien supérieur à son maître Pierre d’Ailly dont les théories n’ont rien d’original. Quand ces deux auteurs traitent les mêmes questions, ils ne le font point de la même manière. Lorsque, par exemple, il s’agit du discernement des esprits, l'évêque de Cambrai donne les règles de ce discernement, il cherche à en déterminer la valeur et tombe dans ses erreurs et confusions coutumières sur les notions d'évidence et de certitude. Voir Discernement des esprits, t. iv, col. 1415 ; Pelrusde Alliaco, p. 207. Gerson est plus pratique dans plusieurs de ses traités ou sermons, De examinalionc doclrinarum. Il cherche à distinguer les vraies révélations des fausses, la bonne monnaie de la mauvaise, et examine quels sont ceux qui ont autorité pour discerner les doctrines, le concile général, le pape, les prélats, les docteurs diplômés ou non et ceux qui ont reçu à cet effet un charisme spécial. Il en est de même lorsque tous deux traitent de la dévotion à saint Joseph. D’Ailly, dans son traité De duodecim honoribus sancti Joseph, a le privilège de la priorité, son opuscule est un résumé de toute la matière théologique, il est bref et absolu comme un syllogisme. Gerson est plus doux, plus sympathique, plus orateur et plus poète ; si le premier est un esprit, le second est un cœur. D’Ailly traite la question dogmatique ; à Gerson revient l’exposition morale, mystique et dévote. L'évêque de Cambrai est l’initiative féconde et l’exposition impeccable ; Gerson le développement oratoire et spirituel. Opéra, t. iv, col. 732. Chacun dans son genre a grandement contribué en France à la diffusion du culte du saint patriarche.

Une dernière question se rapporte à la théologie mystique de Gerson : est-il l’auteur de l’Imitation de Jésus-Christ ? Onésime Leroy, Thomassy, Darche, Cazères lui attribuent le plus beau livre qui soit sorti de la main des hommes. Nous ne saurions être de cet avis. Sans entrer dans les discussions toujours épineuses sur la valeur et l’authenticité des manuscrits, nous pensons qu’il y a trop de différences de style et d’idées entre notre docteur et l’auteur de l’Imitation. Nous croyons que ce livre a été pensé et écrit par un Hollandais, qu’il reproduit la mystique de la congrégation des augustins de Windesheim, et d’ailleurs la chronique de cet ordre rédigée par un contemporain de Thomas à Kempis († 1471), Jean Busch († 1479), attribue à Thomas la paternité de ce livre sublime. C'était l’opinion d’Eusèbe Amort et de Rosweyde autrefois, et c’est celle qu’ont soutenue Mgr Malou, Spitzen, Les hollandismes de l’Imitation de J.-C, 1884 ; Funk, Kirchengesehichlliche Abhandlungen und Untersuchungen, 1899, t. ii, p. 373-374, 406-407 ; Vacandard, dans la Revue du clergé français, octobre et décembre 1908 ; Jeanniard du Dot, dans la Revue des sciences ecclésiastiques, janvier 1905 sq.

Ce rayon manque sans doute à l’auréole mystique de Gerson, mais beaucoup d’auteurs ont loué ses théories qu’ils trouvent d’autant plus remarquables que les faux spirituels pullulaient à son époque. Citons seulement saint François de Sales dans la préface du Traité de l’amour de Dieu : « Quant à Jean de Gerson, dit-il, il a si dignement discouru des cinquante propriétés du divin amour qui sont ça et là déduites du Cantique des cantiques, qu’il semble que luy seul ayt tenu le conte des affections de l’amour de Dieu. Certes, cet homme fut extrêmement docte, judicieux et dévot. »

V. Sa prédication. — Le chancelier avait une imagination féconde, un cœur impressionnable, une intelligence aussi élevée que compréhensive et pardessus tout un zèle ardent pour le salut des âmes. Il possédait donc toutes les qualités qui font les orateurs éminents. De fait, il fut un des principaux prédica teurs de son siècle avec Nicolas Oresme, Jean Courtecuisse, le carme Eustache de Pavilly et l’augustin Jacques Legrand.

Il est souvent cité par les orateurs les plus renommés de l'âge suivant, comme, par exemple, le célèbre Maillard et le cordelier Menot quand ils entretiennent leurs auditeurs de la passion de Notre-Seigneur, sujet que Gerson a traité plusieurs fois. Bibliothèque nationale, n. 8188.

Non seulement on trouve chez lui le modèle de l’art oratoire, mais on y rencontre encore une source très féconde de renseignements historiques et d’allusions aux événements politiques et religieux de l'époque. Ainsi, par exemple, il parle souvent des malheurs du temps, de la maladie du roi, des souffrances du peuple, de l’invasion anglaise, des divisions de l'Église (1405).

En 1408, comme délégué de l’université, il émet ses théories sur les fondements du pouvoir, les limites de l’autorité souveraine et les obligations de ceux qui la tiennent en main. C’est peut-être ce que le chancelier a écrit de plus parfait en ce genre. Bibliothèque nationale, n. 515, fol. 37. A la même époque, il prononce un discours après la réconciliation imposée aux enfants du duc d’Orléans et à Jean sans Peur, son meurtrier. Après le concile de Pise (1409), Gerson fut chargé par l'évêque de Paris, qui s’unit en cette circonstance à l’université, de faire un discours contre les prétentions des frères mendiants. Le jour de Noél de cette même année, il prêcha en présence du roi le sermon sur l’union des grecs, préconisée au sein du concile. En 1413, il s'éleva dans un sermon contre les factieux connus sous le nom de cabochiens. Dans son édition de 1502, Wimpheling a classé à part les sermons originairement faits en latin et ceux qu i ont été traduits en cette langue. Ses sermons français, au nombre de soixante-quatre, se trouvent à la Bibliothèque nationale et à celle de Tours, et ont été étudiés spécialement par l’abbé Bourret, devenu depuis évêque de Rodez et cardinal. Us ont été prêches dans les principales églises de la capitale et surtout dans la paroisse de SaintJean-en-Grève.

Le plan de ces instructions est à peu près le même que celui des sermons modernes, mais l'érudition du prédicateur manque souvent de goût et de critique, et fait un étalage parfois trop pompeux de textes disparates.

Au point de vue de la doctrine, Gerson traite surtout les sujets de morale ; il tonne avec énergie contre l’orgueil, l’intempérance et le débordement des mœurs. Il travaille avant tout à la réforme intérieure, il invite à la pénitence, pœnitemini et crédite evangelio, tel est son texte favori qu’il fit inscrire jusque sur son tombeau. Il menace ses ouailles des jugements de Dieu, sans oublier pourtant les paroles d’espérance et de consolation, doclor consolatorius.

Son style est loin d'être uniforme, il diffère selon les auditoires. Précis et froid quand il expose le dogme, il sait le plus souvent remuer les passions ; il use largement de l’allégorie et de la mise en scène. Sa phrase a le piquant, la naïveté et l’originalité des vieux chroniqueurs français, mais elle est toujours digne, décente et de bon goût. Les discours qu’il eut à prononcer devant la cour sont pour la plupart des œuvres très travaillées dans lesquelles se trouvent non seulement la vigueur et la profondeur du raisonnement, mais encore les grâces du style et les meilleurs ornements du langage.

Nous n’avons pas à nous occuper ici de ses œuvres exégétiques, bien que le P. Cornely trouve excellentes ses propositions de sensu lilerali Scripluræ et de causis errantium. Opéra, t. i, col. n sq. Il écrivit aussi des commentaires sur les sept psaumes de la pénitence et deux Lectures très utiles sur saint Marc. Opéra, t. iv, col. 2, 203. Un de ses derniers traités fut