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HELVÉTIUS


et la crédulité, » c. xxii. Nombreux sont les passages où il n’attribue à la religion d’autre effet que les guerres intestines, comme dans l’apologue des castors, c. xtv. Sur ce point, il attaque directement l’Église et le clergé catholique : « Que de crimes commis même par ceux qui sont chargés de nous guider… I La Saint-Barthélémy, l’assassinat de Henri III, le massacre des Templiers, etc., etc., en sont la preuve, » c. xxiv, note i, etc.

En dehors du Journal encyclopédique, t. vi, qui loua copieusement l’Esprit, le parti philosophique ne parut pas enchanté de l’ouvrage. « M. Helvétius aurait dû faire un bail de plus et un livre de moins, » aurait dit Buffon. Diderot, que l’on soupçonne à tort d’avoir collaboré à l’Espril, cf. Reinach, Diderot (Collection des grands écrivains français), Paris, 1894, p. 22, porte sur ce livre un jugement sévère. Élude sur l’Esprit, Œuvres, édit. Garnier, t. ii, p. 267. Voltaire loue surtout les intentions de l’auteur. Lettres relatives au livre de l’Espril, Œuvres complètes d’Helvétius, édit. Didot, t. xiii. Mais l’Église et l’État qui étaient attaqués attaquèrent à leur tour. Le Dauphin donna le signal ; la reine suivit. Le 10 août, un arrêt du conseil du roi révoquait le privilège et supprimait le livre. La vogue du livre s’en accrut et trois éditions nouvelles furent publiées dans l’année 1758, mais à l’étranger, 2 in-8°, Amsterdam ; 3 in-12, Amsterdam et Leipzig ; 3 in-12, La Haye. Pendant que les jésuites, dans le Journal de Trévoux, bien que l’auteur ne les eût pas nommés dans l’Esprit, et surtout les jansénistes, dans les Nouvelles ecclésiastiques, menaient une campagne contre Helvétius et son censeur, le parlement, l’autorité ecclésiastique, la Sorbonne menaçaient ; Hehétius, qui s’était cru en sécurité et par sa situation à la cour, et par ses relations avec le directeur de la librairie, Malesherbes, dont il avait obtenu un censeur « qui ne fût pas un théologien ridicule » , et à qui même il avait refusé quelques corrections, prit peur. Il multiplia les démarches et pour recouvrer la faveur de la reine qui l’eût sauvé de tout ennui, il fit deux rétractations successives. La première fut une lettre adressée vers le 18 août à un jésuite, le P. Plesse, qui la lui avait conseillée. Verbeuse et sophistique, cette rétractation fut jugée insuffisante. Au commencement de septembre il en donna une plus courte, plus nette et qu’il fit tous ses efforts pour cacher au public. (Le texte de cette rétractation est donné par A. Keim, Helvétius, p. 343, note 2.) Mais il n’y avait plus de doute sur « le dessein formé » des philosophes de refaire l’État et de ruiner l’Église, et l’Esprit semblait un résumé des idées de tous. Bientôt paraissait un Mandement de Mgr l’archevêque de Paris portant condamnation d’un livre qui a pour titre De l’Esprit, comme « favorisant les athées, les déistes et toutes les espèces d’incrédules et renouvelant presque tous leurs nombreux systèmes » , 22 p. in-4°, daté du 22 novembre 1758. Le texte de la condamnation est donné par A. Keim, op. cit., p. 364. Sur l’intervention de l’archevêque, voir P. E. Regnault, Christophe de Beaumonl, archevêque de Paris, 17031781, 2 in-8°, Paris, 1882. Le 31 janvier 1759, le pape Clément XIII, après jugement du tribunal de l’Inquisition, condamnait à son tour l’Esprit. Damnatio et prohibitio operis cui titulus : De l’Esprit, texte latin et traduction française en regard, 4 p. in-4°, Paris ; Bullarium, t. i, p. 141. Le 23 du même mois, l’avocat général Joly de Fleury avait déféré au parlement l’Esprit, « code des passions les plus honteuses, apologie du matérialisme et de tout ce que l’irréligion peut dire » . Le 6 février, le parlement rendait son arrêt ; il était anodin. Helvétius avait adressé le 22 janvier aux magistrats une troisième rétractation, puis Choiseul, M me de Pompadour et le roi étaient intervenus. Cf. Jusselin, Helvétius et Madame de Pompadour à pro pos du livre et de l’affaire de l’Espril, in-8°, le Mans, 1913.

L’Esprit n’était point condamné seul, mais avec sept autres ouvrages, dont l’Encyclopédie. Le parlement ordonnait que tous, sauf l’Encyclopédie qui devait être examinée, seraient « lacérés et brûlés » , et faisait défense de composer, imprimer, vendre et colporter aucun livre contre la religion, l’État et les bonnes mœurs. Le 10 février, l’arrêt était exécuté. Aucune peine n’avait été prononcée contre l’auteur « vu la sincérité de son repentir » , ni contre Tercier, impliqué dans les poursuites, mais « qui ne se pardonnerait jamais l’approbation donnée par inadvertance » . En février toutefois, Helvétius dut se démettre de sa charge de maître d’hôtel de la reine et Tercier fut rayé du nombre des censeurs et même privé par Choiseul de son emploi au ministère des affaires étrangères. Mais Choiseul avait choisi ce prétexte pour se débarrasser d’un auxiliaire de Bernis et du Secret du roi. Cf. de Broglie, Le Secret du Roi, t. i, p. 397. Le 9 avril, la Sorbonne termine en France la série des condamnations : Dcterminatio sacrse facullatis Parisiensis super libro cui titulus est De l’Esprit, 79 p. in-8°, Paris, 1759. Entre tous, les docteurs « ont choisi le livre de l’Esprit comme réunissant toutes sortes de poisons qui se trouvent dans les différents livres modernes » . Ils grouptnt les propositions condamnables sons ces quatre titres : l’âme, la morale, la religion et le gouvernement, et sous chacun ils rapportent les passages de Spinoza, Collins, Hobbes, La Mettrie, d’Argens, où Helvétius leur paraît avoir puisé ses erreurs. Le grand inquisiteur d’Espagne condamna aussi l’ouvrage d’Helvétius, et le 7 juillet 1759, Clément XIII lui adressait un bref laudatif. Bullarium, t. i, p. 209. Sur l’affaire de l’Espril, voir Sainte-Beuve, Causeries du lundi, t. il, p. 488-489 ; Brunetière, La direction de la librairie sous Malesherbes, dans la Revue des Deux Mondes, 1 er février 1882 ; baron J. Angot des Rotours, Le bon Helvétius et l’affaire de l’Espril, dans la Revue hebdomadaire, t. vi, p. 186, qui tous trois ont utilisé les Mémoires sur la librairie de Malesherbes et le ms. 22191 de la Bibliothèque nationale, fonds français. Voir aussi H. Reusch, Der Index der verbolenen Bûcher, Graz, 1885, t. il, p. 907-908.

Ces condamnations ne terminèrent pas la polémique autour de l’Esprit. On vit paraître des réfutations : Rélutalion du livre de l’Espril par un abbé Gauchat. qui se trouve au t. xii des Lettres critiques ou analyse et réfutation de divers écrits modernes contre la religion, Paris, 1759, avec un Catéchisme du livre de l’Espril ; Préjugés légitimes contre l’Encyclopédie et essai de réfutation de ce dictionnaire avec un examen critique du livre de l’Espril, par Abraham Joseph de Chaumeix d’Orléans, 12 in-12, 1738-1760 ; le m" et le ive volume se rapportent à Helvétius ; Examen sérieux et comique des discours sur l’Esprit, par l’abbé Lelarge de Lignac, Amsterdam, 1759 ; Catéchisme des Cacouacs (philosophes), par l’abbé de Saint-Cyr, Paris, 1758 ; Lettre… au sujet d’un livre qui a pour titre de l’Esprit, Amsterdam, 1759 ; Les idées sur la loi naturelle ou Réflexions sur le livre de l’Esprit par M. l’abbé ***, Amsterdam, 1761. L’Espril était défendu dans un Examen des critiques du livre intitulé de l’Espril, Londres, 1759, qui est d’un collaborateur de l’Encyclopédie, Charles-Georges Leroy, et qui a été mis à l’Index par décret du 1 er février 1762, et dans une Lettre au R. P. Berlhier sur le matérialisme, in-12, Genève, 1759, attribuée à tort à Diderot et à l’abbé Coyer. Rousseau avait préparé une réfutation de l’Esprit, mais il brûla son manuscrit à la nouvelle qu’Helvétius, d’ailleurs son bienfaiteur, était poursuivi. Toutefois il avait annoté son exemplaire de l’Esprit jusqu’au chapitre xxii du Discours III et ces