Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 6.2.djvu/449

Cette page n’a pas encore été corrigée
2129
2130
HELVÉTIUS

fois sous ce titre : Examen critique de l’Esprit des lois par l’auteur de l’Esprit, dans les Œuvres complètes de Montesquieu, édit. Didot, 1795, t. xiv. Helvétius reproche à Montesquieu de compliquer les choses, sous prétexte de développement historique, de trouver aux nobles et aux prêtres une utilité sous telle forme de gouvernement, enfin, d’une façon générale, de ne remonter jamais jusqu’à la nature de l’homme, vrai point de départ de toutes les lois, puisqu’elles doivent toutes assurer son bonheur. Sur ces critiques, voir A. Sorel. Montesquieu (Collection des grands écrivains français), Paris, 1887, p. 135. L’Esprit des lois eut un succès prodigieux ; Helvétius crut donc établir sa gloire en refaisant ou, du moins, en complétant cet ouvrage. Telle fut l’origine du fameux livre de l’Esprit, comme le disent bien son nom et ces vers de Lucrèce mis en épigraphe :

Unde animi constet natiira videndum,
Qua fiant ratione, et qua vi quæque gerantur
In terris.

A ce moment, il achète la charge de maître d’hôtel ordinaire de la reine, pour augmenter son crédit et sa sécurité. 1749 ; il donne sa démission de fermier-général, 1750, et épouse une jeune fille sans fortune, mais de haute lignée, Mme de Ligniville d’Autrecourt, nièce de Mme de Graffigny et cousine du futur ministre Choiseul. Sur Mme Helvétius, voir de Lescure, Notice sur Mme Helvétius, dans les Grandes épouses, Paris, 1834 ; A. Guillois, Le salon de Mme Helvétius, Paris, 1894. Dès lors, il se retire volontiers dans son château de Lumigny en Brie et plus souvent dans son château de Voré dans le Perche. C’est là qu’il prépare son livre, laborieusement, comme le prouvent les Notes de la main d’Helvétius, publiées d’après un manuscrit inédit avec une introduction et des commentaires par Albert Keim, in-8°, Paris, 1907. L’ouvrage, qui a pour titre : De l’Esprit, in-4° de 643 pages, parut à Paris en août 1758, sans nom d’auteur, avec l’approbation du censeur royal Tercier et privilège du roi en date du 12 mai.

Helvétius veut étudier l’homme en général, tel qu’il est, dans toutes les nations et sous tous les gouvernements, son esprit, son cœur et ses passions ; ce n’est pas pour elle-même qu’il tente cette étude ; c’est pour en induire les lois d’une morale utile au bonheur humain. Il définit ainsi sa pensée : « C’est par les faits que j’ai remonté aux causes. J’ai cru qu’on devait traiter la morale comme les autres sciences et faire une morale comme une physique expérimentale. » De l’Esprit, préface. Le livre est formé de 4 discours : 1° De l’esprit en lui-même ; 2° De l’esprit par rapport à la société ; 3° 'Si l’esprit doit être considéré comme un don de la nature ou comme un effet de l’éducation ; 4° Des différents noms donnés à l’esprit.

1° L’homme est un animal purement sensible et dans l’ordre de la connaissance purement passif. Toutes ses connaissances lui viennent de la sensibilité physique o qui reçoit les impressions différentes que font sur nous les objets extérieurs » et de la mémoire « sensation continuée mais affaiblie » qui les conserve. Si l’homme est supérieur aux animaux, il le doit « à une certaine organisation extérieure » : d’abord à « la différence d’organisation entre nos mains et les pattes des animaux » , puis à ces faits que « la vie des animaux est plus courte » , par là moins féconde ; que >> mieux armés, mieux vêtus » , ils ont moins de besoins, par conséquent moins d’invention ; que « l’homme est l’animal le plus multiplié de la terre » , car, « plus l’espèce d’un animal susceptible d’observation est multipliée. .., plus cette espèce d’animaux a d’idées ; » enfin à des conditions comme la nourriture, la disposition des organes, etc. ; ces causes expliquent que les singes, « qui ont les pattes à peu près aussi adroites

que nos mains. » n’ont pas fait « des progrès égaux à ceux de l’homme » , c. i, Ces opérations de l’esprit se ramènent toutes également à sentir, puisqu’elles se i amènent à juger, et juger, c’est-à-dire « apercevoir les ressemblances ou les différences, les convenances ou les disconvenances qu’ont entre eux les objets » , c’est encore sentir. Ibid. Nos erreurs mêmes ne supposent que la faculté de sentir ; elles ne sont dues qu’à nos passions et à notre ignorance à laquelle se rattache l’abus des mots, surtout en métaphysique et en morale, ou l’ignorance de leur vraie signification, c. ii-iv. L’âme existe-t-elle ? Helvétius pose la question, mais il ne la résout pas ; elle lui importe peu et d’ailleurs lui paraît insoluble, c. i. L’homme est-il libre ? de la liberté physique, oui ; mais il n’a pas le libre arbitre ; il est déterminé à ne vouloir que son bonheur et si les moyens varient, c’est que les hommes sont inégalement éclairés, c. iv.

2° « En tout temps, en tout Heu, tant en matière de morale qu’en matière d’esprit, c’est l’intérêt personnel qui dicte le jugement des particuliers et l’intérêt général qui dicte celui des nations » , c. i ; l’intérêt personnel est l’unique dispensateur de l’estime et du mépris attachés aux actions et aux idées ; car « si l’univers physique est soumis aux lois du mouvement, l’univers moral ne l’est pas moins aux lois de l’intérêt » , c. il, et, « il est aussi impossible à l’homme d’aimer le bien pour le bien, que d’aimer le mal pour le mal, » c. v. Mais alors qu’est-ce que la vertu ou la probité, qu’il définit « la vertu mise en action » ? c. xiii. Si l’on se conforme à l’expérience, « conformité qui seule peut constater la vérité d’une opin’on, » on ne saurait avoir de la vertu « une idée absolue et indépendante des siècles et des gouvernements » ; l’on ne saurait davantage prétendre qu’elle est une notion purement arbitraire : « La vertu ne peut être que le désir du bonheur général ; » son objet est le bien public ; mais cet objet et les moyens de l’atteindre n’ont rien d’absolu : ils sont relatifs aux siècles et aux pays, c. xiii : « et tout devient légitime et même vertueux pour le salut public » . Toutefois le bonheur général, au sens d Helvétius, n’est pas le bonheur de la collectivité, mais de tous les individus qui la composent, t le plus grand bonheur du plus grand nombre » , comme dira Bentham, c. vi. Il faut donc distinguer soigneusement les vertus de préjugé « dont l’observation exacte ne contribue en rien au bonheur public ; telles sont les austérités des fakirs » , des vertus réelles, c. xiv ; et la corruption religieuse de la corruption politique. La première, ou le libertinage, « n’est pas incompatible avec le bonheur d’une nation, mais elle peut, comme l’histoire le prouve, s’allier à la magnanimité, à la grandeur d’âme, à la sagesse, aux talents… » , c. xiv ; en conséquence, criminelle, « elle l’est sans doute en France puisqu’elle blesse les lois du pays, mais elle le serait moins si les femmes étaient communes et les enfants déclarés enfants de l’État » : elle ne l’est pas en « une infinité de pays où elle est autorisée par la —loi et consacrée par la religion » , c. xi. En tous pays la corruption politique est toujours vicieuse, car elle est la préférence habituelle donnée sur l’intérêt général à l’intérêt particulier d’un individu ou d’un groupe, du corps sacerdotal, par exemple. Ibid. De ces théories Helvétius conclut : 1° les questions morales ne sont que des questions sociales. « On doit regarder les actions comme indifférentes en elles-mêmes, sentir que c’est au besoin de l’État à déterminer celles qui sont dignes d’estime ou de mépris et enfin, au législateur, par la connaissance qu’il doit avoir de l’intérêt public, à fixer l’instant où chaque nation cesse d’être vertueuse et devient vicieuse, » c. xvii : 2° le progrès moral ne peut être réalisé que par la loi :