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GERSON

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bien être vertueuses : conséquence exorbitante, qui cependant n’est pas désavouée par Gerson, suivant lequel, Opéra, t. i, col. 147, « les choses étant bonnes parce que Dieu veut qu’elles soient telles, il ne les voudrait plus ou les voudrait autrement que cela même deviendrait le bien. » Ainsi notre docteur pousse jusqu'à ses dernières limites ce système de morale fondé sur le décret arbitraire de la divinité, qui avait déjà été développé parDuns Scot et Occam, et que son maître Pierre d’Ailly avait formellement soutenu. Nullum est ex se peccalum, sed preecise quia lege prohibitum. Principium in 1°" Sent., fol. iv. verso ; Principium in II am Sent., fol. xiv ; cf. Pelrus de Alliaco, p. 224. On le voit, c’est un système faux en lui-même, déplorable par ses résultats, qui n’exalte la puissance de Dieu qu’aux dépens de sa sagesse et de sa bonté et ébranle toute certitude. Il semble ignorer les vrais caractères de la loi éternelle et la conformité que doivent avoir avec elle toutes les lois positives. Hàtons-nous de dire que, si la théorie de Gerson sur les principes de la morale fondamentale est erronée, ses ouvrages sont du moins remplis d’excellentes observations de détail, et de maximes de conduite qui ne sauraient être trop méditées. Jourdain, Dictionnaire des sciences philosophiques, 2e édit., p. 618 ; Schwab, Johanncs Gerson, p. 286 sq.

N’attendons pas de notre auteur un traité complet comprenant toutes les parties de la théologie morale. Ses opuscules sont écrits au hasard des circonstances, des besoins et des demandes. Ce n’est pas un cours suivi. C’est un recueil de dissertations casuistiques et pratiques, non theologiæ cursus, sed excursus.

Il composa au concile de Constance (1415) un traité de la simonie, alors trop en honneur dans les trois obédiences qui se partageaient l'Église. Il se tint plus en garde qu’Albert le Grand et d’Ailly contre les erreurs de l’astrologie judiciaire, dans son Trilogium astrologiæ theologizatæ. Opéra, t. i, col. 190 ; t. iii, col. 291. Il poursuivit avec non moins d’ardeur la magie, Opéra, t. i, col. 206 sq., et les superstitions de toute sorte. Opéra, t. ii, col. 521 ; t. i, col. 208, 220.

Nous devons encore au moraliste : les Règles morales ; les Définitions des termes concernant la théologie monde ; la Vie spirituelle de l'âme ; les Quatre vertus cardinales ; les Impulsions (De impulsibus) ; les Premiers mouvements et le consentement (De primis motibus et consensu) ; les deux écrits sur les Passions de l'âme ; les Signes bons et mauvais ; le Frein ou la Garde de la langue ; un Avertissement pour les religieuses ; des Conclusions contre une conscience trop étroite et scrupuleuse, contre la honteuse tentation du blasphème, contre la fête des fous ; une Explication de cette sentence : que votre volonté soit faite ; des réflexions sur la prière et sa valeur, sur la consolation de la mort des amis, sur la préparation à la messe ; De pollutione nocturna ; De pollulione diurna. Certains autres écrits qui regardent ou la doctrine des mœurs ou les règles de la discipline ecclésiastique sont : la Juridiction spirituelle avec une thèse sur la juridiction spirituelle et temporelle ; la Déclarcdion des défauts des ecclésiastiques ; les Excommunications, irrégularités et leur absolution ; Y Art d’entendre les confessions ; la Manière de chercher les péchés en confession ; les Remèdes contre les rechutes (contra recidivum peccali) ; le Double péché véniel, la Différence entre les péchés mortels et les véniels ; Y Absolution dans la confession sacramentelle ; le Pouvoir d’absoudre et la réserve des péchés, avec une lettre à un prélat sur la modération à apporter dans la réserve des cas ; les Indulgences ; la Correction du prochain ; le Désir et la fuite de l'épiscopat ; la Vie des clercs ; la Tempérance pour les prélats dans le manger, dans le boire et les vêtements ; ja Manière de vivre pour tous les fidèles, ou règlement

pour tous depuis l’enfance jusqu'à la vieillesse, depuis le simple artisan jusqu’aux nobles prélats.

Les enfants furent l’objet de sa particulière sollicitude surtout, nous l’avons vii, vers la fin de sa vie. Remarquons particulièrement son traité De parvulis ad Christum trahendis. Opéra, t. iii, col. 277. Il faut encore signaler dans ce sens la Doctrine ou règlement pour les enfants de l'Église de Paris ; Y Adresse aux pouvoirs publics au sujet de la corruption de la jeunesse par des images lascives et autres choses semblables ; De l’innocence de l’enfant, défense du précédent opuscule. Ce dévouement a une de ses explications dans les paroles suivantes extraites du Ressouvenir de saints projets : « C’est par les enfants que doit commencer la réforme de l'Église. » Opéra, t. ii, col. 109. Il ne s’occupa point seulement des enfants du peuple, mais il prit encore la plume pour contribuer à l'éducation de l’héritier du trône de France. « Si enseigner tout enfant, disait-il, est louable et méritoire, combien plus est-on en droit de le dire, quand il s’agit d' « un enfant royal appelé à régner 1° Il s’agissait de son sérénissime prince et seigneur Charles VII, puis il en fit autant en 1429 pour le futur Louis XI. Opéra, t. iii, col. 226, 235. Il composa en outre plusieurs autres petits traités d’instruction et d'éducation populaire qui montrent tout son zèle apostolique.

Mais la prédilection du chancelier se portait toujours du côté des étudiants de l’université. C’est ainsi que de Bruges il leur adressa deux lettres qui sont comme une sorte de règlement intellectuel et moral pour les élèves de son ancien et toujours aimé collège de Navarre. Il leur recommande d'éviter pomposa super insolitis arroganlia, de réprouver toute nouveauté, surtout en morale, en même temps qu’il leur donne les meilleurs conseils sur les auteurs qu’ils doivent préférer aux autres et méditer dans le silence et le recueillement. Dans une seconde lettre, il reproche aux étudiants l’obstination dans les disputes et aux maîtres certains défauts scandaleux. Il regrette enfin que les sermons manquent aux élèves, même le dimanche, à cause du départ des dominicains. Dans une dernière admonition (1427), il les met en garde contre la doctrine d’Ubertin de Casai, qui était un faux spirituel de l'école de Joachim de Flore.

Gerson crut aussi de son devoir de prémunir, à plusieurs reprises, la jeunesse studieuse surtout, contre le livre sceptique et parfois obscène de Jean de Meung qui a pour titre le Roman de la Rose. On a plus d’une fois analysé cet ouvrage qui peint, non point l’idéal, mais la vie réelle dans le sens le moins élevé du mot. C’est un recueil de dissertations théologiques, philosophiques, satiriques et en tout point révolutionnaires. L’auteur est un rationaliste doublé d’un épicurien, précurseur de Rabelais et de Voltaire. Gerson rendit un grand service à la morale et au bien public en réprouvant ce livre qui ad illicitam venerem et libidinorum amorem excitât. C'était sans doute la première fois que la théologie catholique condamnait un roman. Celui-ci est véritablement la somme de toutes les indisciplines intellectuelles et morales au xiiie siècle, et a amplement mérité toutes les sévérités de notre docteur. Opéra, t. iii, col. 297 ; Bourret, p. 70.

IV. Sa théologie mystique.

Gerson préfère cette science surnaturelle à toutes et il en donne quatre raisons. La théologie mystique rend le chemin qui conduit à Dieu plus facile et accessible à tous ; elle se suffit à elle-même, mais on ne saurait en dire autant de la spéculative ; elle produit, en particulier, les vertus d’humilité et de patience, tandis que la spéculative engendre souvent l’amour-propre, l’orgueil et, par suite, les contestations ; elle procure ici-bas à l'âme dans le calme, et la sérénité enfin dont elle Jui