Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 6.2.djvu/42

Cette page n’a pas encore été corrigée
1319
1320
GERSON


toute son argumentation a pour but de justifier les manières de procéder les plus extraordinaires pour arriver au résultat final désiré par toute la chrétienté. Le souverain pontife est, d’après lui, justiciable du concile qui peut le corriger et même le déposer. Opéra, t. ii, col. 201, 209 sq. Et il examine avec une sorte de complaisance tous les cas de déposition. Quant à la convocation et à la composition de cette assemblée, il affirme avec d’Ailly que les quatre premiers conciles œcuméniques n’ont pas été réunis par l’autorité du pape, que non seulement les cardinaux, les évêques, mais l’empereur et les princes, mais même le premier chrétien venu, peuvent convoquer un concile pour l'élection d’un pape unique et universellement reconnu. De auferlbilitale papæ, Opéra, t. ii, col. 209 sq. Selon sa doctrine, les curés peuvent être appelés dans cette assemblée et avoir voix délibérative aussi bien que les évoques. De potestate ccclesiaslica, ibid., t. ii, col. 249. Les pasteurs de second ordre ne sont-ils pas de droit divin, d’après lui, les successeurs des soixante-douze disciples '? Aucun fidèle ne doit être exclu du concile général. Opéra, t. ii, col. 205. On voit dans toutes ces propositions comme un reflet des thèses les plus avancées du franciscain révolutionnaire Guillaume Occam. C’est l’ensemble de toutes ces erreurs que l’on appellera plus tard le gersonisme et qu’au xviie siècle Edmond Richer et Simon Vigor réduiront en système. D’ailleurs, il faut le reconnaître, en le regrettant, les actes de Gerson au sein du concile de Constance furent en conformité avec ses dangereux principes. Avec les délégués de l’université de Paris, il réclama que les trois papes donnassent immédiatement leur démission (février 1415). Partisan convaincu de la supériorité des docteurs sur les évêques, il demanda avec d’Ailly que les docteurs en théologie, en droit canon et en droit civil eussent voix délibérative et définitive in rébus fidei au sein du concile. C'était la conséquence de ses tendances démocratiques et multitudinistes. Cf. L. Salembier, Le grand schisme, p. 212, 299.

Le parti français poursuivait avec énergie le pape Jean XXIII et réclamait sa démission. Schwab, op. cit., p. 507 ; Von der Hardt, op. cit., t. ii, p. 265. Après bien des pourparlers, Jean lut en public une renonciation expresse et formelle avec une seule condition, c’est que Benoît et Grégoire céderaient à leur tour. Le 2 mars 1415, dans la 11e session solennelle, il répéta cette importante déclaration.

Le 20 mars, la fuite du pape découragea au sein du concile le parti modéré et déchaîna toutes les réclamations des violents. Le 22 mars au soir, Gerson reçut de ses collègues de l’université mission de prêcher à l’issue de la messe du lendemain. Prévoyant la violence de ses affirmations, les cardinaux, malgré l’initiative de Sigismond, refusèrent d’assister à la cérémonie. Le chancelier, après avoir paraphrasé un texte tiré de l'évangile du jour, livra aux méditations du concile douze conclusions que nous résumons : faculté pour l'Église de répudier le vicaire de son divin Époux, en d’autres termes, de se séparer du souverain pontife ; obligation stricte pour le pape, sous peine d'être réputé païen et publicain, de se conformer à la règle de l'Église ou du concile qui la représente ; droit pour l'Église, sinon de détruire la plénitude de la puissance apostolique, du moins d’en circonscrire l’usage ; faculté, dans beaucoup de cas, pour le concile de se réunir même sans le consentement du pape ; obligation pour ce dernier de suivre la voie d’union que le concile lui aura prescrite ; dans le cas actuel, obligation pour Jean XXIII d’abdiquer. Opéra, t. il, col. 201. Cette pièce est le manifeste des plus violents émanés des membres de l’assemblée. Gerson prit part aux 111e, ive et ve sessions du concile, c’est-à-dire à

cet opus tumultuarium qui engendra les quatre fameux articles de Constance ; ceux-ci, on le sait, sont le code du gallicanisme et ont préparé de loin les quatre articles de 1682 (du 26 mars au 6 avril 1415).

Le 21 juillet 1415, eurent lieu à Constance des processions solennelles pour obtenir la protection céleste à propos du voyage de Sigismond, roi des Romains, qui allait s’aboucher avec Benoît XIII (Pierre de Lune). Gerson prit la parole dans cette circonstance et vanta les décrets de la ive et de la ve session du concile. Il exprima le désir de voir ces articles inscrits sur la pierre de toutes les églises : Conscribenda prorsus esse mihi vidcrctur in eminentioribus locis, vel insculpenda per omnes ecclesias saluberrima hxc Dclcrminatio, Lex vel Régula, tanquam direclio fundamenlalis, et vclul infallibilis, adversus monslruosum horrendumque o/[cndiculum quod haclenus positum erat per mullos de Ecclesia. Opéra, t. ii, col. 275.

Plus tard, dans un sermon prononcé à Constance même, le second dimanche après l’Epiphanie, il essaya de nouveau de défendre la théorie de la supériorité du concile sur le pape et chercha visiblement à tranquilliser son âme en même temps que celle de ses auditeurs : Vidi nuper sanctum Thomam et Bonaventuram ; hic relinquorum libros non habeo ; dant supremam et plenam summo pontifici potestatem ecclesiasticam ; recle procul dubio, sed hoc fulciant in comparalione ad singulos fidèles, et ecclesias particulares. Duni el enim comparalio facienda fuisset ad auctorilalem Ecclesiæ sijnodaliler congrcgalse, subjecissent papam, et usum potestatis suie Ecclesiæ eidem tanquam mat ri suœ… Nullum legi prxlcr Bonaventuram et Thomam : cl tamen assero sententiam conlrariam, quæ pontifici favet, a nullo theologo, nulloque sancto doceri, imo hærelicam esse… Huic vcrilali jundedee supra pclram Scriplurse sacræ quisquis a proposito delrahil, cadil in hseresim jam damnatam, quam nullus unquam theologus, maxime Parisiensis et sanctus asscruil… C’est toute une série d’hypothèses gratuites et de contrevérités évidentes.

En 1417, dans un autre traité, le chancelier emprunte le mode lyrique et entonne un chant de triomphe et d’actions de grâces : Bencdiclus Deus qui per hoc sacrosanctum concilium, illuslralum divinse legis lumine, dante ad hoc ipsum vexationc præsenlis schismalis intelleclum, libcravit Ecclesiam suam ab hac peslifcia perniciosissimaque doctrina. De potestate ccclesiaslica, consid. x, Opéra, t. ii, col. 240.

Plus tard, en 1418, quand les ambassadeurs du roi de Pologne voulurent faire condamner solennellement par le pape le dominicain Jean de Falkenberg, déjà reconnu coupable par les nations (nationaliler), Martin Vies en empêcha et leur répondit qu’il ne voulait pas aller plus loin. Le chancelier jugea à propos de s'élever contre cette décision et composa son traité : Quomodo et an liceat in causis fidei a summo pontifice appcllare, scu ejus judicium declinarc. Dans cet opuscule il condamne formellement le décret du pape au nom de la supériorité du concile général prononcée à Constance, et ressasse toutes les objections du gallicanisme le plus avancé. Opéra, t. il, col. 303. Martin V condamna cette proposition à la fin de 1418.

On le voit, Gerson persévère dans son erreur, et nul acte, nul écrit, durant son exil et sa retraite de onze années, ne laissent soupçonner qu’il ait renié ses principes hétérodoxes. Cf. Bouix, De papa, p. 488.

Pourtant, dès 1416, il fut obligé de constater tristement que, même après la décision du concile et la manière d’agir de la sainte assemblée, il s'élevait encore des voix pour nier la supériorité du concile sur les papes. Il attribuait cette obstination « condamnable » au besoin de flagornerie, « poison mortel dont l’organisme de l'Église est depuis longtemps imprégné