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HASARD


contre desquelles il est produit ; mai : » il leur est tout à fait extérieur ou étranger, il n’a pas plus de réalité que cette rencontre ne lui en donne, et il cessera d’être avec la rencontre même dont il est sorti.

De là, trois conséquences. — 1. Le hasard n’est pas nécessaire : casus enim non contingit nisi in possibilibus aliter se habcre ; quse enim sunt ex necessitate…, non dicimus esse a casu. S. Thomas, Cont. génies, 1. II, c. xxxix. Il ne faut, en effet, jamais oublier que les deux causes ou les deux série de causes, dont la rencontre accidentelle constituae hasard, sont naturellement indépendantes l’une de l’autre. Le vrai principe qui gouverne ces deux causes ou ces deux séries de causes, c’est qu’elles agissent parallèlement ou consécutivement, puisqu’elles sont indépendantes ; et les seuls elïets nécessaires qui résultent de chacune d’elles, ce sont précisément ceux qu’elles produisent dans leur action parallèle ou consécutive, sans dévier, si l’on peut ainsi dire, de leur ligne de causalité. Mais il est évident qu’un effet, qui ne peut résulter que du concours de deux causes dont la nature est d’agir parallèlement ou consécutivement, ne peut pas être nécessairement produit par elles ; et voilà justement pourquoi l’idée de hasard paraît être aussi opposée à l’idée de nécessité qu’à l’idée de providence. On est trop disposé à croire, en général, qu’il n’y a pas de milieu entre le hasard et la finalité : c’est là que se trouve, au contraire, le nœud et la difficulté du problème ; et on n’a point prouvé, par exemple, que le monde est l’œuvre d’une finalité supérieure parpe qu’il n’est point le produit du hasard ; car il faudrait avoir prouvé qu’il ne peut pas être celui de la nécessité.

— 2. Pour la même raison, le hasard n’est pas fréquent : ea quse sunt a casu, non sunt semper, neque etiam ut fréquenter, S. Thomas, De cœlo, ii, 7 ; quod est a fortuna, neque est necessarium, neque est sicut /requenter, sed accidit ut in paucioribus. Analyt., I, 42. On ne croira pas sans doute qu’il faille attribuer au hasard tous les phénomènes qui ne se reproduisent pas souvent : « le miracle est un phénomène rare, et cependant il n’est pas le fruit du hasard. » De Régnon, Métaphysique des causes, Paris, 1886, p. 531. Ce n’est pas, en effet, parce qu’un phénomène est rare qu’il doit être attribué au hasard. Au contraire, un phénomène est rare parce qu’il est le produit du hasard, c’est-à-dire parce qu’il est le résultat du concours de deux causes ou de deux séries de causes dont l’action est naturellement, et, par le fait même, ordinairement parallèle ou consécutive l’une à l’autre. Puisque les deux causes ou les deux séries de causes sont indépendantes, elles ne peuvent pas, en effet, se rencontrer souvent. Si elles se rencontrent souvent, il est évident que « les dés sont pipés » , comme disait l’abbé Galiani, et qu’il y a, derrière ces deux causes ou ces deux séries de causes qui paraissent et qui sont peut-être, en effet, naturellement indépendantes, un fripon qui se fait un jeu de les réunir et par conséquent de nous attraper. « Plus les coïncidences sont fréquentes, plus les éléments composants sont nombreux, plus notre étonnement augmente, et moins nous sommes satisfaits de voir expliquer les coïncidences par le hasard. Si, par exemple, en passant dans une rue, je vois une pierre se détacher et tomber à côté de moi, je ne m’en étonnerai pas ; et le phénomène s’expliquera suffisamment à mes yeux par la loi de la chute des corps, loi dont l’effet s’est rencontré ici avec l’effet d’une loi psychologique, qui m’a fait passer là. Mais si tous les jours, à la même heure, le même phénomène se reproduit, ou si, dans un même moment, il a lieu à la fois de différents côtés, si des pierres sont ées contre moi dans plusieurs directions différentes, je ne me contenterai plus de dire que les pierres tombent en vertu des lois de la pesanteur ; mais je

chercherai quelque autre cause pour expliquer la rencontre des chutes. » P. Janet, op. cit., p. 27. La répétition ou la multiplicité des coïncidences devient elle-même un phénomène nouveau dont on ne peut pas logiquement se dispenser de chercher la cause. — 3. Le hasard est imprévisible : il consiste dans une rencontre de deux causes ou de deux séries que rien, à considérer isolément chacune des deux causes ou des deux séries, ne pouvait faire prévoir. « Le déroulement individuel de chaque chaîne, prise à part, ne comportait pas l’événement survenu fortuitement. Cette rencontre est un fait véritablement nouveau, d’où naissent des séries nouvelles, et qui paraît presque créé ex nihilo, puisqu’il n’était contenu dans aucune des séries qui lui ont donné naissance et qu’aucune analyse ne pouvait faire prévoir cette synthèse. » H. Piéron, op. cit., p. 686. On ne pourrait donc pas calculer le hasard d’une manière directe et simple, c’est-à-dire par la seule considération des séries prises en elles-mêmes ; mais on est obligé de recourir à un procédé indirect et complexe, qui consiste à établir le calcul tout à la fois sur le nombre des rencontres possibles et sur le nombre des rencontres réelles : le hasard ou la probabilité est figuré par une fraction dont le numérateur est le nombre des cas favorables et dont le dénominateur est le nombre de tous les cas possibles : " la probabilité, dit Laplace, est le rapport du nombre des cas favorables à celui des cas possibles. » Théorie analytique des probabilités, 3e édit., Paris, 1820, p. vu. C’est ce qui fait la différence essentielle des lois naturelles et des lois dites du hasard ou lois des probabilités : les lois naturelles permettent de prévoir un effet déterminé ; les lois du hasard n’énoncent qu’un « résultat global relatif à un assez grand nombre de phénomènes analogues. » E. Borel, Le hasard, Paris, 1914, p. 8.

IV. Réduction du hasard.

Le hasard étant ce qu’il est, nous n’avons pas encore le dernier mot de l’explication qu’il comporte. Une première définition n’avait pu nous donner que les éléments dont il se compose ; elle tenait peut-être assez bien son objet, mais d’une manière incomplète ou insuffisante, et il fallait tâcher d’obtenir par le moyen des deux principes extrinsèques une notion plus précise et plus sûre. La question, en s’ouvrant ainsi sur ses deux termes extrêmes, paraissait se poser d’une façon définitive ; et voici, de nouveau, qu’elle se reporte comme d’ellemême un peu plus loin : il ne semble pas, en effet, que l’on puisse se soustraire à ce dernier essai d’explication. Ceux qui s’y refusent ont-ils perçu, d’une manière trop évidente et trop sensible, qu’en quittant la série des causes naturelles comme débiles et impuissantes, ils s’en allaient d’eux-mêmes, par un mouvement irrésistible, à une autre cause, d’ordre métaphysique, à la fois plus haute et plus profonde, et la seule que peut-être ils voulussent éviter ? Bossuet et Bourdaloue ont souvent fait cette remarque que les libertins du xvii 8 siècle, trop irrités par la liaison de la morale et du dogme, mettaient volontiers le dogme en discussion, et, afin de se dérober plus facilement à ses conclusions pratiques, aimaient à y chercher des difficultés, et à ne pas savoir ce qui les résout. Trouverait-on par hasard aujourd’hui des hommes qui, par un véritable accroissement de ce vice de l’esprit, dans un ordre plus purement et plus exclusivement spéculatif, oseraient pousser le sophisme jusqu’à dissocier les vérités que la nature a cependant voulu qui fussent le plus étroitement unies entre elles ? Mais c’est la logique qui commande ici ; quelque effort qu’ils fassent pour échapper à la rigueur de ses exigences, le poids de la raison les y précipite ; et ils ont beau faire : ils subissent malgré eux et en dépit de leur sens propre l’inéluctable mouvement de l’histoire des idées. Il fut un temps où une philosophie, soumise à l’imagination, et une science,