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HAINE


tes événements que dirige sa providence. Nous ne voyons pas les desseins de Dieu dans l’infinie perfection de leur sagesse et de leur bonté. Or les volontés divines ne concordent pas toujours avec les volontés dépravées des hommes : par le Décalogue, Dieu met un frein aux passions humaines ; par la redoutable sanction qu’il réserve au péché, il effraie le pécheur ; la souffrance, à laquelle il soumet fréquemment l’homme ici-bas, est pour plusieurs une épreuve qu’ils n’ont pas le courage de supporter. De là, pour certains, un motif de révolte et de haine contre Dieu.

2. Espèces et moralité.

Ou bien cette haine de Dieu l’atteint uniquement comme cause du mal que nous rencontrons : c’est la haine d’abomination ; ou bien elle s’en prend directement à la personne même de Dieu, non parce que les volontés divines nous déplaisent, mais parce que lui-même nous déplaît et que nous voulons le traiter en ennemi : c’est la haine d’inimitié. Cette haine d’inimitié n’est pas une chimère. Elle peut se trouver chez ceux qui, corrompus par le vice et ayant tout à redouter de la justice divine, ne peuvent plus que détester Dieu quand ils songent à lui, ou chez ceux qui, accablés par l’adversité, se révoltent contre le Dieu qui la permet et se prennent à le haïr. Elle se trouve chez ceux qui, par une inconcevable aberration, considèrent Dieu comme le mal et l’ont en exécration.

La haine de Dieu ne constitue pas seulement une faute grave : elle est, de soi, le péché le plus grave que l’homme puisse commettre. En effet, dit saint Thomas, Sum. theol., IIa-IIæ, q. xxxiv, a. 2, la malice du péché consiste essentiellement en ce qu’il éloigne l’homme de Dieu. Plus un péché éloigne de Dieu, plus il est péché et plus il est coupable. Mais les péchés autres que la haine de Dieu, ceux, par exemple, qui se commettent pour arriver à se procurer des plaisirs coupables, n’éloignent de Dieu qu’indirectement et comme par voie de conséquence. Ce que veut avant tout le pécheur, c’est la jouissance. Pour l’avoir, il sacrifie le précepte divin, mais il ne cherche pas directement à se séparer de Dieu. Autre est la haine de Dieu : par elle Dieu est directement atteint ; par elle, on se détourne de Dieu comme d’un être odieux qui ne mérite point d’être aimé, ou comme d’un être malfaisant digne délie détesté. Elle est donc uniquement et essentiellement cwersio a Deo ; plus coupable par conséquent que les autres péchés dans lesquels se trouve avant tout l’amour désordonné des créatures et par concomitance seulement l’aversio a Deo. Or, semper quod est per se potins est co quod est secundum quid. Le même principe permet de déterminer la gravité relative de la double haine de Dieu : la haine d’inimitié est plus coupable que l’autre, parce qu’elle s’en prend directement à Dieu, le traite formellement en ennemi, tandis que l’autre ne voit et ne hait en Dieu que l’auteur du mal.

Envers le prochain.

1. Nature et moralité. — On

hait dans le prochain, comme en Dieu, ou sa personne ou ses actes. Sa personne : c’est la haine d’inimitié, qui le fait détester pour lui-même et porte à lui faire le mal pour le mal. Cette haine est une faute mortelle de soi, parce qu’elle est évidemment contraire au précepte de la charité, laquelle nous oblige sub yravi. Elle est d’ailleurs assimilée par l’Écriture à l’homicide, rangée parmi les péchés qui font qu’on reste dans la mort ou qui rendent digne de l’enfer. Toutefois, ex levitate materiæ, la faute ne serait que vénielle si le sentiment de haine n’était que supeniciel et si l’on se bornait à faire ou à souhaiter au prochain qu’on n’aime pas quelque mal sans gravité. Si l’on hait dans le prochain des actes qui semblent répréhensibles, le caractère moral de cette disposition dépend de la nature des actes détestes : s’ils sont intrinsèquement mauvais, par exemple, des péchés ou des vices, la

haine est juste puisque le mal mérite d’être haï. S’il s’agit d’actes qui me sont nuisibles sans être intrinsèquement mauvais, j’ai le droit de les détester, à condition qu’il n’y ait pas d’excès dans mon ressentiment, mais une juste proportion entre la haine et ce qui la provoque. S’il s’agit d’actes vertueux et bons, les haïr serait de soi une faute grave. Cette haine dite d’abomination, qui commence par les actes, peut rejaillir sur la personne même de celui à qui ces actes sont imputés. En ce cas, il y a toujours faute contre le précepte de la charité qui nous oblige d’aimer notre prochain quel qu’il soit. Pour apprécier la gravité de cette faute, on tiendra compte de la nature du mal que par haine on est disposé à faire ou à souhaiter. Refuser absolument toute espèce d’affection à une personne sous prétexte qu’elle n’en mérite aucune, serait pécher gravement contre le précepte de la charité,

2. Fautes auxquelles conduit la haine envers le prochain. — Elles sont énumérées et étudiées à l’art. Charité, voir t. ii, col. 2262-2265.

Envers soi-même.

Elle est implicite ou explicite.

Nous devons nous aimer nous-mêmes comme nous devons aimer nos semblables, d’un amour réel et sincère, qui nous fera rechercher notre bien et fuir notre mal. Par suite, nous sommes tenus de conserver ou de nous procurer, conformément à l’ordre établi par Dieu, les biens naturels ou surnaturels nécessaires pour la vie présente ou pour l’autre. Nous sommes obligés d’éviter ce qui compromettrait l’acquisition ou la conservation de ces biens nécessaires. Agir contrairement à l’ordre divin serait ne point s’aimer véritablement, donc, se haïr. Il en serait de même si l’on sacrifiait les biens éternels pour des biens temporels, son âme pour les joies ou les richesses de la terre. Par le fait, il y a, dans tout péché, un manque de charité envers soi-même comme envers Dieu. Qu’on le veuille ou non, c’est se haïr soi-même que le commettre. C’est ce principe que rappellent si souvent les Psaumes, le livre de Tobie et l’Évangile. S’aimer trop en s’aimant mal équivaut donc à se haïr. Mais, à ce point de vue, le devoir de la charité envers nous-mêmes ne se distingue pas des obligations qu’imposent les autres commandements. Par contre, la haine explicite et formelle de soi-même est une faute spéciale contre le précepte de la charité. Au premier abord, elle semble impossible, parce qu’elle est absurde. Cependant elle existe soit d’une façon passagère, quand la raison, dans quelque accès de colère, de désespoir ou d’abattement, cesse de raisonner sagement ; on en arrive alors à se faire horreur, à se haïr, à se souhaiter ou à se faire tout le mal possible ; soit d’une façon habituelle, par suite d’une complète perversion de l’esprit. Le pessimisme, en déclarant que, dans l’état de choses actuel, la vie est détestable, que le monde ne peut être pire, qu’exister, vivre et vouloir sont autant de mots qui désignent la souffrance et une destinée souverainement digne de pitié et d’épouvante, y conduit naturellement et aboutit fatalement à conseiller le suicide de l’individu et l’abolition de l’humanité. Voir dans Franck, Dictionnaire des sciences philosophiques, 2e édit., l’article consacré à Schopenhauer. Dans l’une et l’autre haine, il y a évidemment faute grave contre la charité. La haine formelle est toujours gravement coupable. Il peut y avoir légèreté de matière dans la haine implicite.

La haine est généralement étudiée à propos de la vertu de chanté. Voir à l’article Chahité quelques-uns des théologiens qui ont abordé cette question. On peut y ajouter, parmi les moralistes récents que chacun connaît et qu’il est inutile de rappeler nommément : Didiot, Morale surnaturelle spéciale, Vertus théologales, Paris et Lille, 1897,