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GUILLELMITES


Rome, 1899, p. 9. En tout cas, Guillclma disposait tle ressources pécuniaires médiocres. Mais elle possédait les dehors de la piété, et elle exerça vite une grande influence sur les Milanais qui furent en rapport avec elle. Un de ceux qui gardèrent fidèlement sa mémoire, Denis Cotta, déclara quod ipse nunquam fuit ita tristis aut desolatus quod, si ipse ivil ad eam, non discederet lelus et con[orlaius ab ea, dans 7/ processo dei guglielmiti, p. 90. Autour d’elle se groupa une petite association de disciples convaincus, n’ayant d’autre lien que leur vénération pour Guillelma, se plaisant à adopter un vêtement brun à la ressemblance de celui qu’elle portait elle-même. Ils lui attribuèrent des guérisons miraculeuses. Le bruit courut qu’elle avait reçu les stigmates. Puis, que ce soit par son fait ou par celui de ses disciples — ce que nous examinerons tout à l’heure — des doctrines étranges circulèrent.

Morte vers 1282, Guillelma fut enterrée en grande pompe au monastère cistercien de Chiaravalle, près de Milan. Une chapelle et un autel s’élevèrent sur sa tombe. Un culte enthousiaste lui fut rendu. Devant son image brûlaient des lampes. En son honneur furent composées des hymnes, des litanies. On fêta les anniversaires de sa mort et de la translation de ses restes à Chiaravalle ; une troisième fête qu’on solennisa dans le même esprit fut celle de la Pentecôte. Il processo, p. 25. Les doctrines mises en avant allaient se précisant et s’accentuant de plus en plus. L’Inquisition milanaise, instruite de l’existence de ce mouvement, ne parut pas le prendre très au sérieux ; elle se contenta d’une répression bénigne. En 1300, elle s’en occupa avec plus de soin. Elle ouvrit un procès, dont nous avons les actes, du moins en majeure partie. Les ossements de Guillelma furent exhumés et livrés aux flammes. Sœur Manfreda (ou Maifreda) de Pirovano, de l’ordre des humiliées, qui était à la tête de la secte, André Saramita, qui en était l’organisateur, et un troisième membre, la sœur humiliée Jacqueline dei Bassani, furent condamnés au bûcher. Les autres accusés subirent des peines légères.

Le nombre des guillelmites ne fut jamais considérable. Un banquet, donné en l’honneur de Guillelma par les cisterciens de Chiaravalle, avait réuni cent vingt-neuf personnes ; il est probable que la plupart vénéraient seulement en elle une sainte. Le cercle des initiés proprement dits était sans doute plus restreint. Une trentaine d’inculpés figurent dans le procès de 1300. En revanche, les sectaires appartiennent à la classe riche et cultivée. Il y en a de tous les partis, guelfes et gibelins, et des meilleures familles. L’illustre famille Garbagnate, alliée aux Visconti, y est représentée par plusieurs de ses membres, notamment par François, qui s’acquitta habilement auprès de l’empereur Henri VII d’une mission à lui confiée par Matthieu Visconti (1309) et qui mourut professeur de droit à l’université de Padoue. Sœur Manfreda était, à ce qu’il semble, la cousine germaine de Matthieu Visconti.

On s’est demandé s’il y eut un lien entre l’hérésie des guillelmites et la politique, si le procès ne fut pas politique plus encore que religieux. A. Ogniben, I guglielmiti dei secolo xiu. Una pagina di sloria milanese, Pôrouse, 1867, conclut pour l’affirmative ; d’après lui, le procès aurait directement influencé l’attitude des Visconti à l’égard du Saint-Siège. Ce qui est certain, c’est que Jean XXII se servit du procès pour impliquer Matthieu Visconti, son adversaire politique, dans une accusation d’hérésie. Il lui reprocha d’avoir, sinon participé lui-même au guillelmitisme, du moins mis dos bâtons dans les roues de l’Inquisition et tout tenté pour sauver Manfreda sa parente, ajoutant que non seulement ce François Garbagnate, que Visconti honorait de sa confiance, mais encore Galéas, fils de Matthieu, avaient adhéré à l’hérésie, et que la puis j sauce de Matthieu et la terreur qu’il inspirait contraignirent les inquisiteurs à relâcher Galéas. Voir les bulles du 14 mars 1322, dans F. Tocco, Guglielma boemae i gugliclmiti, Rome, 1901, p. 30-31, note, et du 23 mars 1324, dans Raynaldi, Annal, eccles., an. 1324, n. 9. F. Tocco, Guglielma boema, p. 7, qualifie d’« hypothèse étrangère, sans base d’aucune sorte, celle d’après laquelle Matthieu Visconti aurait adopté une ligne de conduite hostile à l’égard du pape et des guelfes à la suite du procès de la bohémienne » et démontre que le procès fut « strictement religieux » ; parmi les nombreuses interrogations adressées aux accusés, « pas une ne se réfère à des matières politiques, » p. 29, 30. Quant aux bulles de Jean XXII, il estime que, à une pareille distance des événements, la perspective a pu être aisément faussée ; sans parler de leur affirmation invérifiable sur la suspicion d’hérésie qui aurait atteint l’aïeul et l’aïeule paternels de Matthieu Visconti et sur la peine du feu qu’aurait subie l’aïeule, elles contiennent une erreur manifeste en avançant que Guillelma vivante fut livrée aux flammes en même temps que Manfreda. Quoi qu’il en soit du rôle prêté à Galéas, sur lequel les actes du procès gardent le silence, et jugeant vraisemblable que Matthieu ait essayé directement ou indirectement de sauver sa parente Manfreda, Tocco pense que Matthieu Visconti ne fut point tendre pour les guillelmites, et que, au milieu de la tempête, ne se sentant point sûr de son pouvoir, Manfreda lui apparut « comme une fanatique, pour laquelle il ne valait pas la peine de se compromettre » , p. 32. C. Molinier, Revue historique, Paris, 1904, t. lxxxv, p. 394-397, accepte la manière de voir de Tocco, mais sans s’y tenir trop rigoureusement. « Avec d’autres raisons, dit-il, p. 397, la politique, il faut le croire, concourut également d’une certaine manière à expliquer, dans sa marche et son dénouement, le procès où disparut la secte fondée par Guillelma. » L’indulgence « systématique » des inquisiteurs milanais envers les guillelmites, surtout si on la compare avec la rigueur habituelle à la justice inquisitoriale, produit « l’effet d’un mot d’ordre, d’une véritable consigne » . Dire, pour en rendre compte, avec Tocco, Guglielma boema, p. 28, 32, que les inquisiteurs n’attachèrent pas d’importance à la secte parce qu’ils savaient bien qu’elle n’avait « aucune vitalité » , que « l’affaire était plus curieuse que périlleuse » , c’est donner une explication inadéquate. On trouverait une autre explication « dans la haute condition de presque tous les prévenus, dans l’intérêt non déguisé » que leur porte Matthieu Visconti, le vicaire impérial. Celui-ci ne pousse pas la bienveillance jusqu’à exposer sa situation politique mal raffermie ; il ne s’obstine pas à sauver du bûcher Manfreda, laquelle se perd par son attachement opiniâtre aux croyances qu’elle a embrassées. Mais, d’autre part, l’Inquisition, si elle ne peut pas ne pas sévir, réduit, en quelque sorte, par égard pour Visconti, « les investigations, comme le châtiment, au strict nécessaire » . Des préoccupations d’ordre temporel de ce genre ont des chances de n’avoir pas été absentes du procès.

II. Doctrines. — Boniface VIII lança, le 1 er août 1290, la bulle Nupcr ad audientiam, cf. Raynaldi, Annal, eccles., an. 1296, n. 34, dont on s’est demandé si elle vise les apostoliques, ou les fraticelles, ou les frères du libre esprit ; il semble qu’elle concerne moins une secte en particulier que, d’une façon générale, les diverses tendances « spirituelles » hétérodoxes qui s’étaient affirmées au temps de Célestin V. A aucune ne conviennent tous les traits du tableau ; de chacune d’elles nous avons quelques traits distinctifs. Ce qui y est dit des femmes qui dogmatisent et de leurs doctrines pourrait bien s’appliquer aux guillelmites. F. Tocco, Guglielma boema. p. 32, dit que cette bulle a