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GUERRE


suprême, on s’arrange comme l’on peut. » En d’autres termes : « Nous avons intérêt à envahir la Belgique…, peu importe la foi jurée. Tour aller en France, nous prenons le chemin le plus court : voilà tout ! … Si, sur notre route nous rencontrons des Belges qui nous disent que nous n’avons pas le droit de passer, nous savons bien qu’ils ont raison, car nous savons parfaitement que nous commettons une illégalité contraire au droit des gens ; mais, n’importe, nous les piétinerons, nous les écraserons, nous les massacrerons, nous pillerons leurs demeures, nous incendierons villes et villages, et les détruirons de fond en comble. Que voulezvous ?… On s’arrange comme l’on peut ! … » C’est le commentaire officiel du mot désormais historique jusqu'à la fin des siècles, par lequel ce même homme d'État affirmait à l’ambassadeur d’Angleterre à Iierlin que le traité par lequel l’Allemagne s'était engagée, sous la foi jurée, à respecter perpétuellement la neutralité de la Belgique n'était qu’un simple « chiffon de papier » .

C’est donc en stricte justice qu’un publiciste pouvait écrire, le 24 janvier 1915 : « Guillaume II, violant la neutralité de la Belgique, s’est odieusement parjuré… Si le cas de guerre injuste ne s’applique pas ici, où donc jamais s’appliquera-t-il ?… Il s’ensuit qu’au regard de la simple honnêteté, à plus forte raison au regard de la morale catholique, les sujets de l’empereur Guillaume II n’ont pas le droit de coopérer à la guerre du kaiser en Belgique. »

Les rapports officiels belges, français, anglais, et les enquêtes poursuivies même par les États neutres, renferment d’irrécusables témoignages démontrant tous à quelle débauche de férocité, de perfidie et d’impiété se sont laissés aller les soldats du kaiser en Belgique. C’est une vision d’horreur et d'épouvante que la lecture de ces rapports si documentés et si accablants pour l’autorité allemande. Oui, certes, M. de Bethmann-Hollweg peut se flatter que les troupes de son impérial maître ont extraordinairement réparé l’illégalité initiale si délibérément voulue 1 Que seraitce, si, à l’origine, on n’avait pas solennellement promis de la réparer ? Il en est de cette promesse comme de celle qui assurait la perpétuelle intégrité du territoire belge. Si celle-ci, quoique écrite et revêtue de la signature et des sceaux de l’empire, n’a pas été tenue, combien moins celle qui ne consiste qu’en une seule parole jetée en l’air devant le Reichstag ?… C’est moins encore qu’un simple chiffon de papier… Vcrba volant !

Notons, en passant, que l’Autriche n’a pas été nlus loyale envers la malheureuse Belgique. Le 28 août 1914, sous un prétexte futile, elle lui déclara la guerre, uniquement pour complaire au kaiser ; mais, depuis plusieurs jours, d’après les bulletins mêmes de l’armée allemande, c'étaient les pièces d’artillerie lourde appartenant à l’Autriche qui démolissaient les forteresses de Belgique, tandis que l’ambassadeur de l’empereur François-Joseph restait encore auprès du roi des Belges, comme si entre eux l'état de paix n’avait été nullement troublé.

Une guerre engagée par ces violations flagrantes du droit des gens ne pouvait se poursuivre évidemment que par des violations de plus en plus nombreuses et monstrueuses, telles que le torpillage du Lusitania, crescit eundo. Il sera toujours vrai de dire que abyssus abyssum invocat ! Ps. xi, 8.

Commettre sur une telle échelle ces crimes épouvantables condamnés par le droit des gens comme par la justice éternelle ; les commettre scientifiquement avec des moyens perfectionnés pour le mal ; de plus, pour s’excuser, faire tomber le tort sur les victimes innocentes qu’on égorge ; et, du côté du bourreau, présenter comme le summum de la civilisation et de la Kultur ces sauvages excès de bêtes fauves, n’est certes pas en diminuer l’extraordinaire culpabilité. Un bandit est-il

moins coupable, quand il se sert d’une scie électrique pour sectionner les parois du coffre-fort du voisin, au lieu d’employer une vulgaire pioche de paysan ? est-il moins coupable quand, pour le tuer, il se sert d’un browning perfectionné au lieu d’un modeste couteau ? Et la culpabilité diminuera-t-elle parce que la liste des crimes s’pllonge sans cesse, et que ceux qui les commettent sont chamarrés de galons d’argent et d’or, au lieu de porter des blouses d’ouvriers, ou des vêtements d’hommes du peuple ? Au contraire, cette culpabilité augmente d’une manière effrayante, en proportion du nombre des méfaits, de l’intelligence qu’on apporte à leur perpétration, de la volonté froide et résolue avec laquelle on les accomplit, et des cyniques mensonges par lesquels on les prône comme des actes de patriotique vertu. Ceux qui, par orgueil, soif de domination universelle, et convoitise du bien d’autrui, ont conçu, ordonné ou exécuté ces tueries et toutes les atrocités abominables qui les accompagnent, les précèdent ou les suivent, sont, quels que soient leur nom, leurs titres honorifiques ou leurs grades, les plus grands malfaiteurs publics que la terre ait jamais portés, car jamais crime plus monstrueux ne fut commis dans les siècles passés. Les sinistres exploits des Cartouche et des Mandrin ne sont, en comparaison, que de simples jeux d’enfants. Pour le moraliste, c’est un grave devoir de le proclamer hautement, et, ce devoir, il faut avoir le courage de le remplir, à l’heure actuelle, malgré les clameurs de ceux que ce blâme atteint, car que serait une justice qui ne dirait la vérité qu’aux faibles ? ce ne serait qu’une justice boiteuse, synonyme d’injustice et de lâcheté. Tant pis pour ceux qui, se sentant coupables, ou devenant complices par lâche complaisance envers les puissants, ferment volontairement les yeux à la lumière, ou essayent de l'éteindre autour d’eux 1 Ils n'étoufferont pas les cris de réprobation de la conscience indignée, pas plus qu’ils n'échapperont au verdict inflexible de l’impartiale histoire, ni surtout à la terrible sentence de l’incorruptible juge des vivants et des morts. Cf. Le Livre rouge belge. Rapports sur les violations du droit des gens en Belgique, in-8°, Paris, 1915 ; Pierre Nothomb, Les Barbares en Belgique, avec préface de M. Carton de Wiart, ministre de la justice ; livre poignant, nourri de dépositions recueillies et contrôlées par l’enquête officielle, in-12, Paris, 1915 ; Id., La Belgique martyre, in-12, Paris, 1915 ; A. Mélot, député de Namur, Le martyre du clergé belge, in-12, Pniis, 1915 ; cardinal Mercier, Patriotisme et endurance, in-12, Paris, 1915 ; Vindex, L’armée du crime, in-12, Paris, 1915 ; Paul van Houte, Le crime de Guillaume II et la Belgique. Récits d’un témoin oculaire, in-12, Paris, 1915 ; Joseph Bédier, Les crimes allemands d’après les témoignages allemands, avec photographies des documents cités, in-8°, Paris, 1915 ; Id., Comment l’Allemagne essaie de justifier ses crimes, réponse à l’officieuse Gazette de l' Allemagne du Nord, in-8°, Paris, 1915 ; Henri Davignon, Les procédés de guerre des Allemands en Belgique, in-12, Paris, 1915 ; Id., La Belgique et l’Allemagne, avec reproduction photographique des documents, proclamations, traités, affiches, ruines, victimes humaines, etc., in-4°, Paris, 1915 ; M. des Ombiaux, La résistance de ta Belgique envahie, in-12, Paris, 1915 ; H. Welschinger, de l’Académie des sciences morales et politiques, La neutralité de la Belgique, in-12, Paris, 1915 ; I. van den Heuvel, ministre d'État, La violation de la neutralité belge, in-12, Paris, 1915 ; La campagne de l’armée belge, d’après les documents officiels, in-8°, Paris, 1915 ; Charles Le Goffic, Dixmude, in-12, Paris, 1915 ; Jules Destrée, député de Charleroi, Les atrocités allemandes, documents officiels de la Commission d’enquête, in-12, Paris, 1915 ; L.-H. Grondys, Les Allemands en Belgique, notes d’un