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GUERRE


tinés par la nature à l’esclavage, ou incapables de propriété. Cf. de Victoria, De Indis, sect. i, § 21 ; sect. il, § 24. Les Espagnols prétendaient, en outre, que ces Indiens commettant une foule de crimes contre la loi naturelle, les nations civilisées avaient le droit et même le devoir de les en punir ; par conséquent de leur faire la guerre et de s’emparer de leurs territoires. Le même théologien réfuta victorieusement ces prétentions. Cf. De Indis, sect. ii, §16. Si le pape, dit-il, n’a aucune juridiction sur les infidèles, à plus forte raison les princes séculiers, même chrétiens, n’en ont-ils aucune : ils ne sont donc pas leurs juges, ni leurs justiciers

Cependant, comme, de par la loi naturelle et par le droit divin, les forts doivent, si ce n’est toujours par justice, du moins par charité, défendre les faibles contre la tyrannie ou la cruauté, les nations civilisées ont le droit, et même le devoir, de faire cesser des actes qui violent les droits essentiels de l’humanité, comme, par exemple, l’anthropophagie, les sacrifices humains, le meurtre des innocents, la piraterie, etc. Elles peuvent, alors, même par les armes, contraindre ces sauvages, qui sont de véritables ennemis de l’humanité, à renoncer à leurs pratiques criminelles. Cf. Fr. de Victoria, De Indis, sect. iii, § 15. Mais les nations civilisées peuvent-elles aller plus loin dans leur intervention, et imposer à ces barbares la civilisation elle-même ? Peuvent-elles s’arroger le droit de les gouverner, sous prétexte qu’ils ne le peuvent eux-mêmes, car ils sont, à peu près, comme des enfants, incapables d’administrer leurs biens personnels ? Assurément, si dans une nation il n’y avait plus un seul homme mûr, ayant le libre exercice desaraison, mais seulement des enfants ou des mineurs, la charité commanderait d’en prendre soin, et de les diriger, jusqu’à ce que ces enfants ou ces adolescents devinssent capables de se diriger eux-mêmes. Or, les sauvages, Indiens ou autres, ne sont-ils pas perpétuellement enfants, en ce sens ? Il semble donc que, même dans leur intérêt, une nation civilisée ait le droit d’intervenir dans leurs affaires. Si cette nation était toujours guidée par un motif de charité, on ne pourrait, au nom de la justice, lui en faire un reproche ; mais rarement les conquérants s’inspirent de ces considérations : ce qui les pousse le plus souvent, c’est le désir de s’enrichir, en profitant de la faiblesse de ces peuples pour s’approprier leurs biens.

Il faut remarquer, néanmoins, que, si les nations civilisées ont des devoirs envers les sauvages, ou demi-sauvages, ceux-ci également en ont à l’égard des nations civilisées. Ces nations ont bien le droit de fonder chez eux des établissements en vue de leur commerce, pourvu qu’ils ne portent aucun préjudice aux indigènes. Souvent, au contraire, ces établissements seront pour les natifs une source de prolits, de prospérité, ou d’augmentation de bien-être. Il est inhumain de mal accueillir des étrangers qui ne viennent qu’avec des intentions pacifiques. Au commencement du monde, chacun était libre de voyager à son gré, et de se fixer où bon lui semblait. Les nations, en se constituant en groupements autonomes, n’ont pas enlevé ce droit que les hommes tiennent de l’auteur même de la nature. Au contraire, si l’on excepte les peuples les plus dépravés, l’hospitalité a toujours été regardée chez toutes les nations comme une vertu naturelle : la personne de l’étranger était sacrée. Les nations civilisées ont donc le droit de fonder des établissements dans les pays détenus par les sauvages, quand elles ont pour but, non de les dépouiller, mais d’y faire un commerce qui peut être utile à tous, car la terre, comme les mers, les fleuves et l’atmosphère, sont des biens communs à tous les hommes. Ce serait donc, de la part de ces barbares, une injustice, que de repousser ainsi les sujets de ces nations civilisées, ou de les maltraiter, ou de détruire leurs établissements. Le droit naturel permet a tous de faire le

commerce avec les étrangers, même avec les sauvages ; ceux qui s’y opposent manquent non seulement à la charité, mais aussi à la justice. Si donc ces peuplades sauvages prennent les armes, pour empêcher ce commerce pacifique, les nations civilisées n’auront-elles pas également le droit de les prendre pour assurer la liberté de leurs propres sujets ? Ceux-ci, étant attaqués par les sauvages, n’auront-ils pas le droit de se défendre, de construire des palissades et même des citadelles, et de repousser la violence par la violence ? Ils devront, cependant, ne pas abuser de leur force, et mettre de la modération dans la répression de ces injustices, car il y a, en faveur des sauvages, une circonstance atténuante. Ces pauvres gens peuvent facilement s’imaginer que les étrangers, forts et armés, viennent dans leur pays avec des intentions hostiles. On doit donc faire tout ce qui est possible pour les persuader du contraire. Mais, enfin, si après avoir essayé tous les moyens de pacification, les nations civilisées n’en trouvent pas d’autres, pour assurer le respect de leurs nationaux, que celui de s’emparer de ces territoires et de les soumettre à leur domination, le théologien dont nous analysons l’ouvrage, pense que, en le faisant, elles n’outrepassent pas le droit de légitime défense. Cf. Fr. de Victoria, De Indis, sect. il, § 2-8.

Il peut arriver aussi que ces peuples inférieurs, éclairés par l’expérience, et voyant les avantages très nombreux qui découlent, pour eux, de l’occupation et de l’administration de leur pays par des nations civilisées et puissantes, acceptent volontiers de leur être annexés, ou, suivant l’expression du langage juridique moderne, de se placer sous leur protectorat. Dans ce cas évidemment, toute injustice disparaît, car, selon l’axiome, scienli et volenti non fit injuria. Toute nation, ou peuplade, est maîtresse de se gouverner comme elle veut, et de se donner à qui elle veut. Pour cela, pas n’est besoin du consentement unanime de tous ses membres, car l’unanimité est une chose qui pratiquement ne se rencontre presque jamais ; mais le consentement de la majorité suffit.

Les siècles de foi admettaient un autre droit pour les nations civilisées d’intervenir dans les affaires des peuples sauvages : celui de la libre prédication de l’Évangile. Théoriquement, la chose est évidente Si la liberté du commerce, en effet, leur donne le droit d’intervenir, combien plus la liberté de la prédication évangélique, de laquelle dépendent non pas simplement les intérêts périssables de la terre, mais les intérêts éternels de la vie à venir. Ce droit de prêcher librement l’Évangile est d’origine divine : Euntes in rnundum uniuersum, prœdicate evangelium ou.xt creaturx. Marc, xvi, 15. Ceux qui s’y opposent commettent donc la plus grave des injustices, et les nations chrétiennes ont le droit, et même le devoir, si elles le peuvent, de les empêcher de la commettre. Cf. Fr. de Victoria, De Indis, sect. ii, § 12. Ceci ne revient pas à faire des conversions par la force : c’est simplement assurer la liberté de la parole évangélique, et défendre les néophytes contre les cruautés de ceux qui sont restés païens. De cette tradition catholique et si fondée en justice, est née la question de protectorat des chrétiens, que beaucoup de nations ont ambitionné d’exercer, en Orient, par exemple. Rares, il faut en convenir, sont celles qui, en le faisant, se sont inspirées, ou s’inspirent encore d’une pensée de foi ; la plupart n’ont vu là qu’un moyen d’étendre leur sphère d’influence et d’acquérir des avantages matériels. Mais le principe du protectorat n’en est pas moins légitime en soi.

3. Un souverain a-t-il le droit de faire ce qu’on appelle, en langage moderne, une guerre de diversion ? En d’autres termes, peut-il attaquer une nation voisine, pour résoudre une crise intérieure de son propre Étal ? par exemple, pour consolider son trône chancelant et