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GUERRE

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ce cas, n’est qu’une guerre défensive, à leurs yeux. S’il est, en effet, d’une sage et saine politique chez ceux qui gouvernent une nation, d’augmenter ses ressources et sa puissance, il découle de ce principe qu’une sage politique commande aussi d’affaiblir son voisin, autant qu’on le peut.

Théologiquement, néanmoins, cette méthode s’inspire plus de l’égoïsme politique que du sens de la justice. L’égoïsme est toujours un vice, qu’il soit dans les individus, ou dans les sociétés, et ce vice est d’autant plus grand que ses conséquences contre la charité et contre la justice sont plus considérables et désastreuses. De ce chef, l’égoïsme politique paraît plus coupable encore que l’égoïsme individuel. Si l’État dont l’accroissement excite la crainte, ou plutôt la jalousie du voisin, n’a commis aucune injustice dans ses accroissements, il agit lui-même en vertu de cette bonne et sage politique dont ses ennemis se prévalent aussi. Il remplit donc ses devoirs envers lui-même et envers ses sujets, sans blesser, en quoi que ce soit, les droits d’autrui. Comment donc serait-on autorisé à prendre les armes contre lui, uniquement parce qu’il est en voie de prospérité ? La fin ne justifie pas les moyens, et l’on n’est pas en droit de violer la justice pour le seul motif de rétablir entre les individus, ou entre les sociétés, une égalité qui n’exista jamais, et jamais n’existera, car il est des inégalités voulues même, ce semble, par l’auteur de la nature, parce qu’elles se sont rencontrées dans tous les temps et dans tous les lieux. Le pauvre n’a pas le droit d’attaquer le riche, pour la seule raison qu’il est pauvre et que l’opulence du riche l’humilie.

Les nations ne sont pas moins intéressées que les individus à ce que la justice règne dans leurs relations réciproques. Si l’on prétend donc justifier ces injustices en invoquant la nécessité de pourvoir, par avance, à la sécurité de l’État, loi suprême d’une société, il est facile de rétorquer l’argument, et de montrer que précisément le salut commun des nations exige, de leur part, le respect de la justice. Il s’ensuit que les nations n’ont le droit d’user de la force et de faire la guerre que pour leur défense et le maintien de leurs droits. Une guerre n’est légitime que par l’injure qui provient d’une autre nation, ou par la menace immédiate et fondée de cette injure.

Théoriquement, il est donc incontestable, au point de vue de la théologie, comme du droit naturel et du droit des gens, que l’accroissement d’une nation ne peut seul, et par lui-même, donner à qui que ce soit le droit de prendre les armes pour s’y opposer.

Pratiquement, néanmoins, l’expérience de l’histoire ne démontre que trop que les nations auxquelles l’accroissement de leur puissance vaut une sorte de prééminence, ne manquent guère de molester leurs voisines, de les opprimer, et mime de les subjuguer entièrement, dès qu’elles en trouvent l’occasion, et qu’elles peuvent le faire avec la certitude de l’impunité. Il est assurément très malheureux pour le genre humain qu’un accroissement de puissance implique trop souvent la volonté d’opprimer, quand la facilité se présente de le faire impunément. Cette expérience funeste n’autoriset-elle pas une société à prendre des garanties pour l’avenir, en ne laissant pas grossir indéfiniment le danger qu’elle pourrait probablement dissiper à ses commencements, tandis que, plus tard, il ne sera peut-être plus temps ? N’est-ce pas une prudence élémentaire ? N’est-il pas permis aux nations de s’inspirer des principes que même les maîtres de la vie spirituelle recommandent aux individus : Principiis obsta : tarde medicina parotur, quando mala per longas invaluere morus !

Beaucoup le pensent, et il semble que, pratiquement, dans certains cas, leur opinion n’est pas dénuée de fondement. Quand, dit de Vattel, un État a donné des

marques d’injustice, d’avidité, d’orgueil, d’ambition, d’un désir impérieux de faire la loi, c’est un voisin suspect dont on doit se garder, surtout si ses armements prennent un accroissement formidable. On ne voit pas qu’il en ait besoin pour sa propre défense. S’il multiplie ainsi ses armements, hors de toute mesure, c’est qu’il médite des desseins pervers. Ne serait-ce pas sage de les prévenir par la force des armes, alors qu’il en est encore temps" ? Un chef de nation a des responsabilités redoutables. Pour lui, plus que pour un simple individu, prévoir, c’est pourvoir. Les hommes étant réduits à se guider le plus souvent par des probabilités, celle-ci mérite d’autant plus leur attention que les intérêts engagés sont plus graves ; et, quand il s’agit du salut d’une nation entière, la prévoyance ne saurait aller trop loin. Il serait trop tard pour détourner sa ruine, quand elle serait devenue inévitable. La responsabilité de la guerre et des maux effrayants qui en découlent, est, ce semble, imputable à ce voisin qui a donné trop de preuves de son ambition démesurée et de son désir d’opprimer les autres. Cf. de Vattel, Le droit des gens, 1. III, De la guerre, c. iii, § 42-47, 50, t. ii, p. 105-111, 114 sq. La solution de ce cas de conscience si grave dépend évidemment des circonstances de temps, de lieu et surtout de personnes.

2. Est-il permis aux nations civilisées de faire la guerre aux nations barbares, sauvages, ou demi-sauvages, sous le prétexte de leur apporter les bienfaits de la civilisation ? — C’est, là encore, une des raisons invoquées le plus souvent par les politiciens modernes pour justifier les guerres de conquêtes, dites d’expansion coloniale. Il est à remarquer, cependant, que, même non civilisés, les sauvages sont des hommes. Donc ils ont certains droits, même de propriété, qu’on ne saurait violer, sans commettre une injustice. On ne peut donc s’emparer du territoire qu’ils occupent et qui leur appartient, sous prétexte que ce sont des territoires vacants et sans maîtres tant que nulle nation civilisée n’y a arboré son drapeau, et que, dès lors, ces territoires appartiendront, en vertu du droit du premier occupant, à la première de ces nations qui y établira sa domination. Cf. Fr. de Victoria, Relecliones XII theologicæ, 1. IV, De jure belli ex Indis, sect. ii, § 6, in-fol., Lyon, 1557 ; Salamanque, 1565. Le droit du premier occupant ne saurait être invoqué que si l’on se trouvait en présence de solitudes inhabitées, par exemple, comme il est arrivé pour les immenses territoires du Nord-Ouest américain, vastes comme l’Europe, et pouvant nourrir des habitants par centaines de millions, tandis que les Indiens, ou Peaux-Rouges qu’on y rencontrait, étaient quelques milliers à peine, c’est-à-dire tellement peu nombreux, vu l’étendue de cet immense pays, qu’ils ne pouvaient être considérés comme l’occupant véritablement. Us y erraient à l’aventure, à la poursuite des bêtes fauves auxquelles ils faisaient la chasse ; mais ne songeaient nullement à en tirer parti par la culture ou l’industrie, choses dont ils étaient incapables. Toujours nomades, ils ne se fixaient nulle part. Or, a dit quelqu’un, non sans raison, la terre appartient non pas à celui qui y campe un instant, mais à celui qui la cultive, ou la met en rapport.

A l’époque où les Espagnols tentaient la conquête du Mexique, ils prétendaient, pour justifier leur entreprise, que les Indiens étant d’une race inférieure, moins intelligents que les Européens, étaient incapables de souveraineté, comme de propriété privée, bons, tout au plus, à servir comme domestiques ou esclaves, mais nullement aptes à gouverner ou à commander. Les théologiens contemporains réfutèrent ces assertions fausses. Ils démontrèrent que, s’il est des hommes faibles d’intelligence, ceux-ci sont assurément plutôt faits pour obéir que pour commander, mais nullement des-