Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 6.2.djvu/336

Cette page n’a pas encore été corrigée

1903

GUERRE

siqucs, des ressources de leur intelligence et de celles de leur génie, non moins que par leur désir de dominer leurs semblables et de se dresser au-dessus d’eux. Tout cela ne s’explique que trop par l’orgueil, la vanité, la convoitise, le mépris d’autrui, choses trop naturelles à l’humanité déchue, et dont on découvre, chaque jour et partout, de trop nombreuses et déplorables preuves. Sans doute, de terribles ravageurs se sont attribué le rôle de justiciers de Dieu, et Attila entre autres s’appelait lui-même le Fléau de Dieu. Cependant, la plupart des grands capitaines, épris de gloire, n’élevaient pas leurs pensées au-dessus des horizons bornés de ce monde. Assurément Dieu par eux a fait son œuvre ; nuis, eux, le plus souvent, ne songeaient à autre chose qu’à l’indépendance, à la domination, aux richesses et aux honneurs. Cf. Mgr Horace Mazzella, archevêque de Rossano, Il calecUismo délia guerra, in-12, Rome, 1916, p. 35 sq.

Joseph de Maistre est mieux inspiré, quand il explique la raison d’être de la guerre, non par une application de la loi générale de destruction pour tous les êtres, à quelque degré qu’ils appartiennent de la hiérarchie dans le monde matériel, mais par une loi de l’ordre spirituel : celle de l’expiation, indispensable icibas, pour les crimes sociaux. Les hommes sont malheureux, ou parce qu’ils sont coupables, ou parce que, même innocents, ils doivent souffrir pour les criminels, afin d’obtenir leur salut. Les hommes qui par leurs prévarications rendent nécessaires tous les maux physiques qui les châtient, et surtout la guerre, s’en prennent naturellement aux rois, causes visibles de ces affreux conflits ; et l’on connaît le vers d’Horace, Quidquid délirant reges, plectuncliir Archivi, Epist., I, ii,

14 ;

Du délire des rois les peuples sont punis.

…. de tout temps.

Les petits ont souffert des sottises des grands.

Mais, plus justement un autre poète, J.-B. Rousseau, a dit :

C’est le courroux des rois qui fait armer la terre : C’est le courroux du ciel qui fait armer les rois.

Lorsque les crimes, et surtout les crimes d’un certain genre, se sont accumulés jusqu’à un certain point marqué par la justice divine, celle-ci frappe, parfois au même instant, tous les peuples coupables ; et ces peuples, loin de faire aucun effort pour échapper à la divine sentence, ou pour l’atténuer, ou pour l’abréger, se précipitent les uns contre les autres, s’offrant comme d’eux-mêmes aux souffrances, aux supplices et à la mort expiatrice. Tant qu’il leur restera du sang, ils viendront l’offrir sur l’autel du sacrifice, et, plus tard, une jeunesse devenue rare, après la disparition de tant de générations fauchées par les aveugles exécuteurs de la vengeance divine, se fera raconter ces guerres désolatrices produites par les crimes de ses pères.

La guerre est donc divine en elle-même, comme la terrible justicière du Dieu offensé, mais non comme l’application de la loi générale de destruction présidant aux phénomènes de l’ordre matériel. Il faut remarquer aussi que, si l’homme avait gardé la justice originelle, ces destructions auraient été de beaucoup moins nombreuses. Sans affirmer absolument, en ellet, que si l’homme avait continué à habiter le paradis terrestre, il ne se fût pas nourri de la chair des animaux, on ne peut contester que la nourriture que Dieu lui assigna dans l’état d’innocence, si elle n’était exclusivement végétale, l’était, du moins principalement. Gen., i, 29. Il semble aussi, d’après le ꝟ. 30, que la nourriture des animaux était aussi principalement végétale. Ce qui est également certain, c’est que l’usage de la chair des animaux, comme nourriture, est expressément permis à l’homme, seulement à partir du déluge. Gen., ix, , 3.

Toutes les traditions antiques, même païennes, se sont faites l’écho de ces vérités, quand elles décrivent les merveilles de l’âge d’or :

At vêtus illa retas, cui fecimus Aurea nomen, Fœtibus arboreis, et, quas humus educat, herbas, Fortunata fuit, nec polluit ora cruore.

Ovide, Metam., xv, 96-98 ; cf. ibid., i, 89-106 ; Virgile, Gcorg., i, 125-128 ; Varron, De re rusL, II, i ; Plutarque, Ilsp’t aapy.oçayiot ;, II, 3-4.

Historiquement, il est bien rare qu’on ait considéré le métier des armes comme une sorte de sacerdoce, pour venger Dieu outragé. Très généralement ceux qui marchaient au combat avaient des vues beaucoup moins élevées. De tout temps, dit fort judicieusement un moraliste, pour quelque morceau de terre de plus ou de moins, les hommes sont convenus entre eux de se dépouiller, se brûler, se tuer, s’égorger les uns les autres. Et, pour le faire plus ingénieusement et avec plus de sûreté, ils ont inventé de belles règles qu’on appelle l’art militaire. Ils ont attaché à la pratique de ces règles la gloire ou la plus solide réputation. Et ils ont, depuis, enchéri, de siècle en siècle, sur la manière de se détruire réciproquement. De l’injustice des premiers hommes, comme de son unique source, est venue la guerre… Si content de son propre bien, on eût pu s’abstenir de convoiter et de prendre celui du prochain, on aurait eu pour toujours la paix et la liberté. Cf. La Bruyère. Caractères, Du souverain ou de la république, in-8 « , Paris, 1878. p. 309 sq.

Cette guerre féroce se montre dans le monde dès l’origine de l’humanité. Elle existe entre les deux fils du premier homme, et, simplement par jalousie, Caïn verse le sang de son frère Abel. Cette guerre, d’individu à individu, passe vite de collectivités à collectivités. Dès qu’il y a deux familles, ou deux peuplades voisines dont les intérêts sont différents, le conflit éclate. Plus la notion des droits d’autrui s’affaiblit dans l’esprit, ou plus la volonté s’oppose au respect de ces droits, plus on a recours à la violence pour résoudre les questions en litige. Dans ces cas, la raison du plus fort est toujours la meilleure, en pratique, bien entendu. Et quand aucun principe de morale n’est assez puissant pour mettre une barrière aux emportements de la force, alors les droits des vaincus sont comme n’existant pas. Ils sont foulés aux pieds et radicalement détruits. L’antiquité païenne avait un mot cruel pour exprimer cette méconnaissance de tout droit, chez ceux que la victoire n’avait pas favorisés : Væ viclis ! Malheur aux vaincus 1 Cf. Barbayrac, Histoire des anciens traités, depuis les temps les plus reculés jusqu’à l’empereur Charlemagne, 2 in-fol., Amsterdam, 1739.

2. Dans l’antiquité païenne, en effet, la guerre était particulièrement sauvage. La bataille était un carnage sans merci, jusqu’à épuisement complet, ou destruction totale. La victoire conférait au vainqueur le droit absolu et illimité sur les propriétés et les personnes des vaincus. Le sol avec ses productions ; les troupeaux et les habitations ; les hommes, les femmes, les enfants, tout passait en la possession du vainqueur qui avait droit de vie et de mort sur les personnes, et pouvait ravager, à son gré, leur pays. Les uns, comme les Carthaginois, torturaient affreusement les prisonniers de guerre, les suppliciaient et les crucifiaient ; d’autres les vendaient comme esclaves, non par un sentiment plus éclairé des droits de l’humanité, mais par un intérêt sordide, comme l’on vend un vil bétail, qu’on a cependant le droit de conduire à la boucherie. Quant aux femmes, jetons un voile sur les excès des passions brutales que les vainqueurs se croyaient permis par rapport à elles. Le viol était un de leurs droits les plus incontestés, et l’honnêteté la plus élémentaire n’arrêtait aucun de leurs débordements. Entre ennemis,