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1850

GRÉGOIRE (HENRI

1860

défenseurs des conquêtes de la Révolution, ces intellectuels se complaisaient à caresser des utopies malfaisantes. Les assemblées politiques, sénat, corps l.i platif et tribunal, renfermaient une majorité hostile à toute entente avec Rome et la candidature de Grégoire au sénat fui l’œuvre de ceux qui voulaient donner un avertissement au Premier Consul. L’élection eut lieu le’25 décembre 1801 et c’était une véritable provocation, puisque le principal adversaire du concordat était choisi comme porte-drapeau par les grands corps de l’État. Bonaparte répondit à cet acte d’indépendance en éliminant des assemblées les meneurs de l’opposition et en les remplaçant par des hommes à lui. Le concordat fut ensuite voté à une immense majorité.

Grégoire avait renoncé à l’évêché de Blois, mais sa démission était rédigée dans des termes qui prouvaient qu’il n’avait pas désarmé ; n’ayant plus rien à espérer, il ne se croyait plus obligé à garder des ménagements. Douze de ses collègues allaient être imposés au pape pour occuper des sièges dans la nouvelle hiérarchie catholique, mais Grégoire se sentait trop compromis pour qu’il put être question de lui.

Au printemps de 1802, il quitta la France avec son ami le janséniste génois Degola. Ils voyagèrent d’abord en Angleterre, puis en Hollande et en Allemagne ; c’était une tournée de propagande en faveur de leurs idées ; ils plaidèrent la cause des nègres, celle des juifs, se donnèrent comme les missionnaires de la paix universelle, ce qui ne les empêchait pas de réchauffer partout les animositôs contre le pape et la cour de Rome, dont ils se disaient les victimes.

Désormais Grégoire allait s’effacer. Membre à vie du sénat, il y fut un des rares opposants à la proclamation de l’Empire ; il vota aussi contre le rétablissement des titres nobiliaires, mais ne crut pas devoir se dispenser d’accepter, comme sénateur, celui de comte de l’Empire. Son esprit d’indépendance ne se réveilla plus ciu’en 1814 et alors il sera l’un des premiers à voter la déchéance de Napoléon.

Pendant dix ans, il avait vécu dans un isolement profond, recevant peu et n’admettant dans son intimité que des amis sûrs, comme les sénateurs Lanjuinais et Lambrecht, qui partageaient tous ses regrets. Il entretenait aussi des relations plus espacées avec d’anciens membres de l’Église constitutionnelle, évêques démissionnaires ou prêtres réadmis dans le clergé après une soumission qui n’avait pas été exempte de restrictions mentales. Ils surent exploiter l’indulgence du nouvel archevêque de Paris, Mgr de Belloy, prélat pacifique jusqu’à la pusillanimité. Quand il fut mort, l’empereur plaça à Paris le cardinal Maury, qui eût été mal venu à demander des comptes aux anciens intrus et à user contre eux d’une autorité que le pape avait refusé de lui reconnaître. La vacance du siège, de 1814 à 1819, aggrava encore une situai ion anarchique et le cardinal de Talleyrand, enfin mis en possession de l’archevêché de Paris, se vit dans l’obligation de trancher dans les abus et de sévir contre les insubordonnés. Plusieurs des amis de Grégoire encoururent alors une disgrâce qui n’était que trop méritée.

Le gouvernement de la Restauration s’était montre d’abord plus débonnaire que celui de Napoléon ; dès 1814, Grégoire avait pu mettre en vente son Histoire des sectes religieuses, dont la première édition avait été saisie par la censure impériale. Enhardi par ce premier succès, il avait commencé à faire paraître des écrits dont les titres anodins couvraient des attaque » a peine dissimulées contre le nouveau régime. Enfin, en 1819 l’ex-évêque se démasqua en acceptant une candidature d’opposition dans le département de l’Isère. Il fut nommé, mais son succès provoqua une telle explosion de colères qu’il lui fallut renoncer à rentrer dans la vie publique. S’il se lava, vaille que vaille, de

l’accusation de régicide, il n’en restait pas moins le prêtre qui avait proclamé à la tribune de la Convention que « si la République se devait d’être chrétienne, le christianisme ne pouvait être que républicain » . Il devint ainsi le prisonnier du parti avancé, qui seul pouvait accepter son passé, sauf à l’exploiter contre les Bourbons.

Grégoire applaudit à la Révolution de 1830, puisqu’elle amenait au pouvoir ceux qui l’avaient toujours soutenu ; il savourait une vengeance et s’enracinait de plus en plus dans les opinions qu’il défendait sans relâche depuis quarante ans.

Telles étaient ses dispositions quand approcha pour lui l’heure suprême. L’archevêque de Paris était alors Mgr de Quelen, un saint, mais un intransigeant, et la ténacité du Breton se trouva en présence de la ténacité lorraine. Se soumettre à l’humiliante rétractation qu’on prétendait lui imposer, c’était pour Grégoire désavouer sa vie entière. Déjà gravement atteint, il recouvra toute la vigueur de son esprit pour répéter ses arguties favorites ; se drapant dans une flère obstination, il se refusa à manifester le moindre repentir

Alors intervinrent des officieux qui se crurent assez habiles pour trouver un terrain de conciliation. L’abbé Guillon, professeur à la Sorbonne et que Louis-Philippe venait de désigner pour l’évêché de Beauvais, eut la faiblesse de se prêter à une parodie sacrilège ; il se présenta comme le délégué d’une autorité qui ne lui avait donné aucun pouvoir et prétendit apporter à Grégoire un pardon que le malade repoussait comme une injure. Qui entendait-on tromper ?

Le 28 mai 1831, Grégoire mourut dans l’impénitence. Et pourtant ses amis, en contradiction avec eux-mêmes, réclamèrent pour lui les honneurs de la sépulture ecclésiastique. Peu leur importaient les prières d’une religion à laquelle ils ne croyaient pas, mais il y avait un cadavre à promener, un apôtre, un précurseur, un martyr de la liberté à glorifier. Ils profiteraient de cette occasion pour donner une leçon de tolérance à l’archevêque légitimiste, dont ils venaient de dévaster le palais ; ils rappelleraient aussi au « roi-citoyen » que c’était la Révolution qui lui avait donné sa couronne. Les anciens insurgés de 1830, exploitant la complicité du premier ministre, Casimir Périer, dictèrent leurs volontés et quelques prêtres interdits allèrent célébrer l’ollice funèbre dans l’église de l’Abbaye-aux-Bois, dont le clergé s’était retiré, sur l’ordre de Mgr de Quelen. Dans la rue de Sèvres était massée une foule ameutée par les déclamations des journaux du parti démagogique ; la « jeunesse des écoles » détela les chevaux du corbillard et traîna le corps jusqu’au cimetière Montparnasse. Là commencèrent les discours : Thibaudeau le régicide et le jeune révolutionnaire Raspail se firent acclamer en parlant de Grégoire… et de la République, et, le soir, Louis-Philippe pouvait se demander si de telles manifestations avaient consolidé son trône.

Il nous reste à apprécier en Grégoire l’homme politique, l’écrivain et le prêtre.

Le rôle politico-religieux de Grégoire est aussi facile à définir que difficile à justifier. Sans avoir jamais, semble-t-il, soull’ert personnellement des injustices du sort, il s’était épris pour la liberté d’un amour que la logique de son esprit positif avait poussé jusqu’au fanatisme. Se posant en adversaire de tout despotisme, il en vint à rejeter même toute autorité ; après avoir été rebelle à la papauté, il se mit à poursuivre la monarchie d’une haine furieuse et ses rancunes, enfermées d’abord dans l’ordre des abstractions, l’amenèrent par la suite à coopérer, sans peut-être qu’il le comprit très clairement, à des œuvres de sang, dont il a été rendu plus responsable qu’il ne l’était en réalité. Ce ne fut pourtant pas un impulsif inconscient, car en lui la violence n’excluait pas la finesse : au cours de son long conlfit