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GRÉGOIRE VII


de Souabe, son beau-frère. Pendant trois années cependant, Grégoire VII refusa de se prononcer entre les partis. En mars 1080, il reconnaissait formellement Rodolphe, et dans un concile, il excommuniait une seconde fois Henri. L’empereur déchu connaissait ses bons fiefs. La Lombardie lui avait permis de relever quelque peu son parti en Allemagne. Le concile de Mayence renouvela la déposition de Grégoire VII ; en juin 1080, une trentaine d’évêques, réunis à Brixen. élisaient, comme antipape, Guibert, archevêque de Ravenne, qui prenait le nom de Clément III. Le 12 octobre 1080, cessait la lutte politique prolongée depuis Forcheim dans des alternatives de succès et de revers, plus encore dans la ruine de l’Allemagne centrale. Rodolphe de Souabe était enseveli dans son triomphe sur le champ de bataille de l’Elster. Son successeur choisi par le parti romain, Hermann de Luxembourg, n’était pas de taille à relever l’opposition dans les Allemagnes. L’idée grégorienne était sur le point de sombrer en Italie devant la force impériale. En 1082, Henri IV présentait à Monde Mario son antipape, déjà reconnu par les évoques lombards. Grégoire VII fit appel au duc des Normands, Robert Guiscard, et se retrancha dans le château Saint-Ange. L’empereur avait fait un impair dans son empressement. Ses derrières étaient menacés par les troupes de la comtesse Mathilde. Il devait, sinon la soumettre, du moins la paralyser. Deux années furent nécessaires à cette tâche. Au printemps de 1084, Clément III était sacré dans Saint-Pierre et donnait à Henri la couronne impériale. La situation du pape était des pires, quand les Normands accoururent. Grégoire VII était délivré. Une rixe malheureuse entre les troupes de Robert Guiscard et les Romains amenait en même temps l’incendie d’un vaste quartier de la ville, s’étendant depuis le Colisée jusqu’à Saint-Jean de Latran. Le pontife usé par tant d’émotions n’était plus en sûreté chez un peuple exaspéré par ses malheurs. Suivant Robert Guiscard et ses Normands, il s’achemina vers le Mont Cassin, et de là à Salerne. Il avait maintenu toutes les excommunications prononcées contre Henri IV et Guibert, jusqu’à leur résipiscence, quand, le 25 mai 1085, il s’éteignit en prononçant ces paroles : « J’ai aimé la justice et haï l’iniquité ; voilà pourquoi je meurs en exil. » Si l’on ajoute que Grégoire VII, pendant son pontificat, avait dû répondre à d’autres questions dogmatiques relativement à l’eucharistie, sa carrière nous apparaîtra comme celle du lutteur infatigable qui croit n’avoir rien fait, quand il reste quelque chose à faire. Sa vie très forte, très efficace pour l’Église, apparaît mieux encore au groupement de ses définitions.

II. Œuvre théologique. — Au fond, la pensée théologique de Grégoire VII fut des plus simples. Il voulut réaliser l’affranchissement spirituel de l’Église dans une société matérialisée par son organisation même. Il continua l’examen des questions en cours : la controverse bérengarienne, le schisme grec trouvèrent en lui le définiteur courtois, mais irréductible.

L’ai franchissement spirituel de l’Église.

 Le

groupement féodal était issu de la faiblesse des Carolingiens impuissants devant les invasions normandes, hongroises et sarrasines. Charlemagne avait investi les évêques dans son empire de fonctions politiques et administratives sur leurs évêchés. Le fait est si vrai que, parmi les misai dominici, l’empereur d’Occident plaçait toujours un ecclésiastique. Le monde carolingien avait connu l’ecclésiastique fonctionnaire. Lors de la grande débâcle des ixe et Xe siècles, comtes, ducs, évêques et abbés, désolidarisés d’un pouvoir central incapable de les diriger et de les protéger, avaient été contraints de se hiérarchiser politiquement et territorialement. L’hommage était devenu la formule de groupement des vassaux et des suzerains. Au rétablisse ment de la dynastie capétienne en France, au milieu des efforts des plus grands feudataires d’Allemagne pour monopoliser le pouvoir et le rendre héréditaire dans leur famille, on conçoit que ces rois suzerains n’aient trouvé d’autres moyens d’imposer leurs pouvoirs que de profiter de la déshérence des fiefs épiscopaux. Les territoires laïques se transmettaient en effet par hérédité. Il fallait peupler évêchés et abbayes de créatures, en soustrayant autant que possible leur élection à la voix des chanoines, des vassaux de l’évêque et du peuple lui-même. Il était plus simple de l’imposer. Dès lors, peu à peu, l’investiture laïque par le sceptre, très compréhensible d’ailleurs, puisque le titulaire du fief ecclésiastique était vassal du roi suzerain son protecteur, avait devancé le sacre et parfois même l’élection. L’ordre normal avait été interverti. Le roi ou l’empereur avait nommé et investi sa créature par le sceptre, la crosse et l’anneau. L’Église s’était trouvée devant un fait accompli, qu’elle avait dû ratifier.

Les conséquences ne s’étaient pas fait attendre. La cérémonie de l’hommage impliquait la remise d’un présent par le vassal à son suzerain. Ici, le cadeau d’usage devenait énorme. Il était le prix de la faveur accordée par le prince et par ses conseillers. L’incontinence suivait la simonie. Elle était naturelle chez des ecclésiastiques entrés dans la cléricature avec l’intérêt matériel pour toute vue et vocation. Le livre de Gomorrhe, composé par saint Pierre Damien sous saint Léon IX, nous a fait le tableau du clergé du temps. Opuscul. Gomorrhianus, VII, contra quatrimodam carnalis conlagionis pollutionem, P. L., t. cxlv, col. 159190. Sans être taxé d’exagération, on peut dire que la luxure avait démoli toute vie sacerdotale. Voir Célibat, col. 2084-2085 ; Damien, col. 40 sq. Le Iaïcisme avait envahi l’Église. La situation était d’autant plus redoutable que le pontificat romain subissait à cette époque la diminution féodale. Placé au xe siècle sous la tutelle du parti toscan, au xie sous celle des comtes de Tusculum, il avait été lui-même victime des palinodies imposées à l’Italie médiévale par les invasions répétées des Sarrasins et des Normands, les luttes d’influence entre les principautés de la péninsule, et les premières manifestations de la commune romaine. Il n’était sorti du gâchis qu’en se confiant au despotisme spirituel de l’empereur Henri III (1046). En donnant sa protection au siège romain, en le dotant, il faut le dire, d’une série de papes véritablement à la hauteur de leur tâche, celui-ci avait imposé son approbation à toute élection pontificale. C’était, pour la papauté, payer cher un secours nécessaire ; c’était surtout se condamner à tolérer des abus insupportables dans les fiefs allemands. Les papes du xi c siècle se débattaient donc dans un cercle vicieux. L’Église pourtant doit garder sa dignité. Son idée n’est pas de ce monde. Elle est spirituelle avant tout ou elle n’est plus. La base même de la foi était alors compromise.

L’impérissable honneur d’Hildebrand est de l’avoir compris, sans doute, mais surtout de l’avoir affirmé. Pour affranchir l’épiscopat comme le sacerdoce, dès avant son pontificat, il a voulu l’indépendance complète de l’élection des papes. Très vraisemblablement, c’est sur ses conseils que Nicolas II porta le célèbre décret de 1059. Le choix du pape était désormais confié au collège des cardinaux, le dernier mot restant aux cardinaux-évêques. L’empereur ne conservait plus que le droit de confirmation, le peuple celui d’approbation. L’appel à la confirmation comme à l’approbation est une imposition de consentement. Cf. Codex 1984 du Vatican.

Ce n’est pas avec moins d’ardeur que Grégoire VII poursuivit l’épuration du sacerdoce et de l’épiscopat. Archidiacre encore, avec Léon IX il avait décidé in plnaria synodo (1049), ut romanorum presbyterorum