Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 6.2.djvu/273

Cette page n’a pas encore été corrigée
1777
1778
GRÉGOIRE I er LE GRAND


choix. Mais, dès que l’empereur d’Orient, Maurice, eut confirmé l’élection, le peuple conduisit l’élu en triomphe à Saint-Pierre, et Grégoire fut sacré le 3 septembre 590.

Personne n’a jamais eu du souverain pontificat une idée plus haute, et, de fait, Grégoire a été la plus noble personnification de la papauté. Politiquement et religieusement, la situation ne lui offrait à son avènement que des sujets de douleur et d’alarmes. Il compare lui-même l’Église à « une barque vieille et vermoulue, suspendue sur l’abîme, craquant comme à l’heure du naufrage. » Regislr. epist., 1. I, epist. iv. L’Italie était la proie des inondations, de la peste et de la famine ; les Lombards y mettaient tout à feu et à sang ; la province ecclésiastique de Milan s’obstinait dans le schisme que la condamnation des Trois Chapitres avait provoqué ; de Constantinople, un pouvoir ombrageux et tracassier étendait jusque sur la papauté ses exigences, et déjà le schisme futur de l’Église grecque se faisait pressentir ; le monde civilisé semblait pencher vers sa ruine. Humble et charitable, ferme et tendre de cœur, vigilant et clairvoyant, Grégoire réussira, par son génie comme par le charme et l’ascendant de sa vertu, à remédier à ces maux et à renouveler en partie la face de la chrétienté. Il luttera sans relâche et non pas toujours sans succès contre les hautaines prétentions et les menaces du byzantinisme ; il ranimera la vie chrétienne et soulagera dans la mesure du possible les misères de son temps ; il organisera le domaine temporel des papes et fondera leur paternelle suprématie sur les royautés naissantes et les nations nouvelles qui s’appelleront la France, l’Espagne, l’Angleterre. A vrai dire, c’est lui qui inaugure le moyen âge, la société moderne et la civilisation chrétienne. Dans les dernières années de sa vie, Grégoire fut presque toujours aux prises avec la maladie ; à peine pouvait-il, aux jours des grandes fêtes, se lever de son lit et célébrer la messe solennelle. Il mourut au commencement du mois de mars 604, le 12 mars 604, selon l’opinion commune ; il avait reçu du consentement universel le double surnom de Saint et de Grand, et il demeurait le perpétuel modèle de ses successeurs.

II. Écrits.

Saint Grégoire est, de tous les papes, Benoît XIV excepté, celui qui nous a laissé le plus d’ouvrages. Ces travaux dont l’auteur se plaisait à exagérer les défauts littéraires, reflètent en définitive la décadence du style et du goût au vie siècle. Mais, morale ou liturgie, quelque sujet qu’aborde la plume de l’humble et doux pontife, tout va, non précisément à satisfaire aux besoins de l’intelligence, mais plutôt à relever et à purifier la volonté humaine, non à dévoiler les arguties de l’hérésie, mais à lutter contre l’épuisement des courages, le désespoir des vaincus et le sauvage orgueil des conquérants ; tout se tourne à la pratique. De saint Grégoire nous possédons : 1° un Pastoral, Liber regulx pastoralis, composé vers l’an 591 et dédié à Jean, archevêque de Ravenne. Grégoire s’y justifie du reproche que lui avait adressé Jean de s’être dérobé par la fuite à la dignité suprême, en relevant les grandeurs et les dillicultés du ministère pastoral. Le livre comprend quatre parties : la I re pose les règles qui doivent présider à la vocation sacerdotale, ad ciilmen quisque regiminis qualiler veniat ; la IL’dépeint la vie du vrai pasteur, ad hoc rite perveniens qualiler vivat ; la IIIe qui contient, dit Bossuet, « une morale admirable et tout le fond de la doctrine de ce grand pape, » trace les règles de la prédication, bene vlvns qualiler doceal ; la IVe et dernière, en un seul chapitre, invite le pasteur à rentrer en lui-même tous les jours, recte docens infirmilalem suam quanta consideralione cognoscat. Le succès du livre fut éclatant. La traduction grecque d’Anastase II, patriarche

d’Antioche, ne nous a pas été conservée ; le roi d’Angleterre, Alfred le Grand, mort en 901, en a fait une version anglo-saxonne. 2° Un très vif succès accueillit aussi un peu plus tard, vers 593, les quatre livres des Dialogues, dont le titre, dans la plupart des manuscrits, est suivi de cette addition qui en détermine le sujet, De vita et miraculis patrum Italicorum, et de œternitate animarum. Saint Grégoire y raconte à un ami de jeunesse, le diacre Pierre, nombre de traits « miraculeux des saints de l’Italie, qu’il emprunte, soit à ses souvenirs personnels, soit à de graves autorités. Le I" et le IIIe livres sont consacrés au récit des miracles de divers saints personnages, qui tous, sauf saint Paulin de Noie, sont peu ou point connus. Le IIe livre, un chef-d’œuvre, s’occupe exclusivement des miracles de saint Benoît de Nursie. Le IVe livre est un tissu de visions miraculeuses, qui vont à établir la survivance de l’âme après la mort. Maintes fois traduits, ces Dialogues, qui répondaient si bien à la croyance des contemporains aux miracles, se sont répandus partout et ont servi de type à l’hagiographie du moyen âge. 3° Les Morales, Exposilio in librum Job sive Moraliumlibri XXXV, commencées à Constantinople par saint Grégoire avant son élection, et terminées pendant son pontificat, popularisèrent les secrets de l’ascétisme, en développant les traditions les plus élevées de l’exégèse biblique, et méritèrent de servir, durant le moyen âge, de base à l’enseignement de la théologie morale. Le livre de Job y reçoit tout à tour une triple explication, l’explication littérale ou historique, reléguée à l’arrière-plan, l’explication mystique ou typique, l’explication morale, de toutes la plus ample et la plus détaillée. 4° Les quarante Homélies sur l’Évangile forment très probablement un cycle de prédications sur des textes évangéliques, prononcées en 590 et en 591 ; vingt furent prêchées par saint Grégoire lui-même et recueillies dans l’église par des sténographes ; vingt autres furent lues au peuple, en sa présence, par un notaire, à cause des cruelles soulïrances qui empêchaient le pape de monter en chaire. L’auteur les a publiées en 592 ou 593, et divisées en deux livres. On trouve ordinairement à la suite, dans les éditions modernes, un émouvant sermon sur la pénitence que saint Grégoire avait prêché à Rome pendant la grande peste de 590. C’est aux Homélies sur l’Évangile qu’on s’est plu dans la suite à emprunter les leçons de l’office liturgique aussi bien que les lectures des chapitres ou du réfectoire des communautés religieuses. 5° Les vingt-deux Homélies sur Ézéchiel furent prononcées par saint Grégoire devant le peuple en 593, pendant le siège de Rome par les Lombards, et se partagent en deux livres qui interprètent, le I er, Homil., i-xii, les c. i-iv, le IIe, Homil., xiii-xxii, le c. xl. 6° Ce qui fait le mieux ressortir le génie de saint Grégoire et son infatigable activité, c’est le Registrum epislolarum, le recueil de sa correspondance officielle. Mais, du Registre original, il n’a survécu que des débris. On n’en possède plus aujourd’hui que trois extraits, indépendants les uns des autres et remontant tous très haut. L’extrait le plus considérable, puisqu’il contient, à tout prendre, 683 lettres, fut adressé par le pape Adrien I er (772-795) à l’empereur Charlemagne ; les lettres y sont rangées indiction par indiction et tout le pontificat de saint Grégoire s’y déroule. Un second extrait comprend 200 lettres, qui probablement appartiennent toutes à l’indiction IIe, 598-599. Dans une troisième collection nous ne trouvons guère qu’une cinquantaine de lettres, différentes des précédentes et qui sont empruntées aux indictions XIII, IV, X. Ces deux dernières collections, plus courtes que celle d’Adrien I er, semblent bien lui être antérieures. Elles nous offrent, en dehors du recueil d’Adrien I er, 165 lettres ; de sorte qu’il