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GRATIEN


un traité de science canonique. Gratien ne se bornait pas à mettre bout à bout les textes parfois contradictoires : il s’efforçait de les accorder, solverc conlrarictates, d’établir des solutions, par des observations d’ordinaire très brèves qui portent le plus souvent le nom de dicta Gratia.nL Sans doute l’exposé exprès du Maître est réduit au strict minimum, mais il existe ; chacune de ses questions ou de ses distinctions est une thèse, chacune des causæ de la seconde partie est un vrai cas, une vraie espèce juridique que Gratien se donne à résoudre. Le but didactique de l’ouvrage en ressort avec la plus incontestable évidence.

Le Dccretum, on vient de le dire, se divise en plusieurs parties. La I rc se subdivise à son tour en cent une distinctions (c’est le nom de chaque section) comprenant un plus ou moins grand nombre de canons ou textes séparés, qui se pourraient répartir sous deux chefs, les vingt premières distinctions formant un traité général De jure naturæ et conslitulionis terminé par une étude sur les sources écrites du droit : conciles, décrétâtes pontificales : les quatre-vingt-un autres un traité des ordinands ou De clericis. La IIe partie est divisée en trente-six causæ, dont chacune pourrait former un tout sous un titre particulier, comme causa simoniacorum, tractatus conjugii, etc. ; chaque cause est subdivisée en questions réunissant chacune plusieurs canons. Une de ces questions, la 111e de la cause XXXIII forme un traité de la pénitence en 7 distinctions. Enfin la IIIe partie, divisée en 5 distinctions, traite des sacrements et des sacramentaux. On cite les textes de la I re partie en indiquant le numéro du canon en chiffres arabes et celui de la distinction en chiffres romains : cf. ci-dessus c. 24, dist. (ou D.) L ; ceux de la IIe, en indiquant le numéro du canon en chiffres arabes, celui de la cause en chiffres romains, celui de la question de nouveau en chiffres romains, par exemple, c. 4, C. (ou Caus.) III q. (ou qusest.) ii, ce qui veut dire le canon 4 de la cause IIIe, question iie, dans la IIe partie du Décret. La section spéciale De pœnitenlia dans cette partie est citée fort brièvement, parce qu’il n’y a aucun danger de confusion : on écrira ainsi c. 24, D. IV, De pœnit., ce qui signifie le c. 24 de la distinction IV dans le traité De psenitenlia qui forme la iiie question de la cause XXXIII. Ceux de la IIIe partie sont cités comme dans la I re, avec l’addition des mots De consecralione ou De cons., parce que la I re distinction traite en commençant de la consécration des églises.

Ces divisions n’ont pas toutes Gratien pour auteur. La division de la I re partie en deux sections paraît bien être de lui, mais non la répartition en cent une distinctions : une preuve sérieuse en est le l’ait que toute la distinction LXXIII est une palea, c’est-à-dire qu’elle est postérieure à Gratien. C’est au contraire à Gratien lui-même qu’on devrait la division de la IIe partie en trente-six causes : on ne peut lui attribuer la subdivision de chaque cause en questions ni en particulier celle de la caus. XXXIII, q.m, De pwnitentia. On ne peut même affirmer comme indubitable que la IIIe partie ait été séparée par Gratien, car maintes fois les manuscrits la désignent sous la dénomination de cause XXXVII. On ne peut non plus attribuer à Gratien le sectionnement de tous les canons, le dénombrement de ces canons n’étant pas le même dans les manuscrits et dans les éditions imprimées. Em. Friedberg, dans les prolégomènes de son édition de Gratien, déclare, en effet, que la I re partie du Décret compte huit cent quatre-vingt-dix c. dans les manuscrits et neuf cent soixante-treize dans les éditions imprimées ; la IIe, deux mille cent soixante-dix-neuf contre deux mille cinq cent soixante-seize ; la IIIe trois cent quatrevingt-neuf contre Uni ; cent quatre-vingt-seize.

Ce que l’on peut attribuer à Gratien, c’est donc,

DICT. DE llll.nl.. CATHOL.

d’une part, les grandes lignes de la division^et son développement logique, la I re partie contenant ce qu’on pourrait nommer le jus quod perlinct ad personas, les deux autres le jus quod pertinet ad actioncs et res. (Que la méthode n’ait pas été suivie sans défaillances, qu’il y ait de trop nombreuses digressions, le traité n’en a pas moins rendu d’immenses services qui ont été la cause de son succès.) On peut, d’autre pari, attribuer au Maître les summaria des distinctions et des questions, la position du cas qui forme l’introduction des causse, les paragraphi marquant la sousdivision d’une question en plusieurs parties et ceux auxquels on a réservé spécialement le nom de dicta Graliani, commentaires qui exposent la thèse du Maître ; de même, paraît-il, le plus grand nombre des sommaires des canons, les rubricæ, ainsi nommées parce qu’on les écrivait autrefois en rouge, et qui résument en peu de mots tout le sens du texte cité au-dessous. Mais il n’est pas certain qu’on doive toujours à Gratien l’indication des sources qui lui ont fourni ses textes ; d’ailleurs, sauf pour les canons des conciles de Latran de 1123 et 1139, quelques décrétais de Pascal II et d’Innocent II, et des passages du droit romain, qu’il a pu citer d’après les originaux, il s’est borné pour le reste à le citer d’après les collections en cours, en particulier le Dccretum d’Yves de Chartres. De plus, il ne faut pas attribuer à Gratien l’insertion de certains textes, nommés paleæ, on ne sait pourquoi, peut-être parce qu’elles furent insérées par un disciple et commentateur Paucapalea ; de ces paleæ le nombre est incertain.

Une question dont la solution demeure encore controversée est celle de la date où parut la collection. Les divers auteurs qui s’en sont occupés fixent cette date entre 1140 et 1150 ou 1151, il n’y a pas à tenir compte des dates en deçà ou au delà. Récemment, M. Paul Fournier, le savant historien des sources du droit canonique, a cru pouvoir atteindre le maximum de précision dans les conclusions suivantes d’une élude publiée par la Revue d’histoire et de littérature religieuses, mars-juin 1898, et tirée à part in-8° de 51 p., sous le titre : Deux controverses sur les origines du Décret de Gratien : « 1° Le Décret de Gratien a été mis à contribution par les Sentences de Pierre Lombard, composées certainement après 1145, et suivant toutes les apparences, peu après 1150. 2° Le Décret de Gratien a été très vraisemblablement rédigé vers 1140, ou tout au moins à une époque plus voisine de 1140 que de 1150. »

Quelle est l’autorité du Décret ? Il n’a comme tel, c’est-à-dire comme collection, aucune autorité légale. Cette autorité, il ne l’a reçue ni des papes ni de la coutume. Benoît XIV l’a dit avec sa précision accoutumée : Graliani dccretum, quantumvis pluries rom. ponlificum cura cmendalum fuisse non ignoretur, vim ac pondus legis non habet, quin immo inter omnes reccplum est, quidquid in ipso conlinctur, tuntum auctoritatis habere, quantum ex se habuisset, si nunquam in Graliani eollcctionc inserlum foret. De synodo diœcesana, I. VII, c. xv, n. G. Les textes qu’il contient n’acquièrent donc de ce fait aucune authenticité nouvelle. Les corrections faites au xvie siècle par la commission connue sous le nom de Corrcclorcs romani ont produit un texte plus fidèle, mais l’approbation donnée aux résultats par Grégoire XIII n’a pas changé le caractère originel de la collection : celle-ci est demeurée ce qu’elle avait toujours été, une œuvre privée. Toutefois, sans avoir valeur officielle, le Décret a servi longtemps de base à l’enseignement des écoles. Il fut pour le droit canonique, quand l’enseignement de cette science se sépara de celui de la théologie, ce que furent pour la théologie les Sentences de Pierre Lombard. Il forma la trame de l’enseignement, le

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