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GRANDE-BRETAGNE ET IRLANDE


ou les occupations des moines, elles ne consistent le plus souvent qu’en des successions de sentences et d’exhortations ascétiques, sans lien entre elles, et d’un caractère assez différent de celles qui se rencontrent dans les règles continentales. La versification a sans doute été adoptée pour faciliter la fixation des préceptes dans la mémoire du disciple ; mais en revanche elle a dû, par ses exigences tyranniques (car les règles de la poésie irlandaise sont très compliquées), contrarier le maître dans l’expression de sa pensée ; puis elle l’a entraîné souvent à des développements poétiques, vagues et superflus, sans même préserver son œuvre des chances d’interpolation. »

Nous ne citerons que celles de ces compositions qui répondent mieux à ce que nous entendons par règlej monastiques. La Règle en vers de saint Ailbe d’Emlij ([ vers 540), très probablement écrite par un des successeurs du saint, se basant sur les enseignements de son maître. Une courte règle en prose irlandaise, écrite par saint Columba († 597 ?) d’Iona pour des ermites. La règle de saint Mochuta, ou Carthach de Rathin ( f 636). Enfin une règle écrite par Mælruain de Tallaght († 792 ?) pour les Culdées, espèces de chanoines réguliers.

Nous ne pouvons passer sous silence une règle célèbre écrite en latin par saint Colomban († 615). Bien que composée à Luxeuil pour des moines gaulois, elle est un monument du génie celtique, et porte l’empreinte des traditions ascétiques et disciplinaires irlandaises. Elle a considérablement influencé la Régula cujusdam palris ad monachos, dont on ignore l’auteur, et on retrouve son influence dans deux autres règles où elle se mélange discrètement à l’élément bénédictin, la Régula cujusdam patris ad virgines, que dom Gougaud rattache, avec beaucoup de vraisemblance, au monastère de Faremoutiers, qui reçut sa règle de saint Eustase, successeur de saint Colomban à Luxeuil, au commencement du vii c siècle. L’autre est la Régula Magistri composée par un auteur inconnu à la fin du viie siècle ou au commencement du vin.

Les monastères bretons ne nous ont transmis aucune règle écrite.

Tous ces monastères, aussi bien bretons qu’irlandais, étaient des foyers de vie religieuse, où l’on priait, où l’on menait une vie ascétique rigoureuse, mais aussi où l’on se livrait avec ardeur et même passion aux travaux intellectuels. On y cultivait, outre la langue nationale, le grec et le latin, de manière à pouvoir lire non seulement la Bible et les Pères, mais aussi les auteurs profanes, dont les citations et les réminiscences émaillent les œuvres des écrivains cettes. Ils nous ont laissé de nombreux ouvrages de grammaire, de dialectique, de métrique, de géographie et d’astronomie.

Mais toute cette culture profane n’avait pour but, en principe, que de rendre les esprits aptes à la leclio divina, c’est-à-dire à l’étude de la pensée divine renfermée dans son expression biblique et dans la tradition. C’est cette littérature purement ecclésiastique qui doit nous occuper ici.

Écriture sainte.

Jusqu’au vie siècle, on cite la

Bible, en pays celtique, d’après des versions antérieures à la Vulgate, surtout celles du type dit « européen » . Au vie siècle, nous voyons la Vulgate prendre pied dans les Iles Britanniques. Gildas la cite, et elle gagne du terrain à mesure que les usages romains s’implantent dans ces régions. Cependant les manuscrits du Nouveau Testament ne contiennent pas un texte pur ; la Vulgate y est mélangée soit de textes appartenant à l’ancienne version, soit de traductions offrant des particularités proprement irlandaises, si bien que dans ces manuscrits depuis le viie jusqu’au x° siècle, et même plus récents, nous avons un texte spécial dont on trouve les témoins même sur le continent. Pour l’Ancien Testament et

même les Epîtres de saint Paul, les manuscrits ont presque complètement disparu.

Nous possédons aussi un nombre considérable de gloses bibliques en vieil irlandais, mais aucune ne nous est parvenue dans les autres idiomes celtiques. Il existe aussi des commentaires soit en latin, soit en irlandais, de divers livres de la Bible, surtout des Psaumes, qui étaient d’un usage courant pour la prière liturgique et la prière privée. Le seul livre de l’Ancien Testament en dehors du Psautier, dont il subsiste un commentaire d’origine irlandaise, est le livre dTsaïe, commenté par Joseph le Scot, peut-être aussi le livre de Job. Il y a divers travaux sur les Évangiles et les Épîtres de saint Paul ; et des fragments d’un commentaire sur l’Évangile de saint Jean par Scot Érigène. La plupart de ces travaux sont inédits.

La lecture des manuscrits irlandais montre aussi que les auteurs de cette race se sont abondamment inspirés des apocryphes.

La théologie.

Le principal représentant de la

théologie celtique est Jean Scot Érigène, voir t. v, col. 401 sq. ; on peut citer aussi un certain Dungal, défenseur de l’orthodoxie contre Claude, évêque de Turin, qui repoussait le culte des images de la croix et du Sauveur, comme aussi la pratique des pèlerinages et l’invocation des saints. Deux ouvrages anonymes, le De tribus habilaculis, attribué à saint Augustin, et le De duodecim abusionibus sœculi, attribué successivement à plusieurs auteurs, ont très probablement été composés en Irlande. De ce que le commentaire de Pelage était très lu en Irlande au viiie siècle et au ixe, on a conclu que son hérésie y était en faveur, mais tout porte à croire que c’est là une opinion exagérée. Il ne faut pas omettre de mentionner la littérature eschatologique, très abondante, où l’esprit cette a donné carrière à sa passion pour le merveilleux.

Le droit canonique.

Nous trouvons dans les

pays celtiques deux sortes de collections canoniques, les canons disciplinaires et les pénitentiels. Les uns et les autres ont une importance considérable ; en effet, ils ne sont pas restés dans les Iles Britanniques, mais ils ont pénétré sur le continent dans la seconde moitié du viiie siècle, et ont contribué puissamment à la formation du droit cccléssiatique chez les Franc ;, après avoir été reçus avec faveur par les Anglo-Saxons eux-mêmes.

Parmi les canons disciplinaires, nous trouvons d’abord deux séries dont l’une remonte vraisemblablement au temps de saint Patrice, tandis que l’autre fut probablement élaborée au sein d’un ou de plusieurs synodes irlandais du viie siècle. Outre ces canons procédant directement de l’autorité ecclésiastique, nous rencontrons en Irlande plusieurs recueils d’origine non officielle, mais d’une grande importance à cause de la vogue qu’ils eurent. Tout d’abord VHiberncnsis, compilation de sentences et de textes répartis sans ordre apparent en soixante-sept livres, subdivisés eux-mêmes en un certain nombre de chapitres, sur tout ce qui touche à la discipline chrétienne, à la vie religieuse, au gouvernement des âmes. On attribue cette œuvre à deux canonistes irlandais, Ruben, ou Rubin Mac Conad, qui mourut en 725, et Cucumne ou Cuchuimne le Sage, mort en 745, de sorte que la compilation aurait été faite dans le premier quart du viiie siècle. Ces deux auteurs ont des tendances nettement « romanistes » ; ils ont à cœur de travailler à l’enracinement des coutumes romaines récemment introduites dans leur pays. Un caractère spécial de cette collection est l’influence que la Bible a exercée sur son contenu. Lin bon nombre des sentences et des lois qu’elle contient sont tirées de la sainte Écriture, et les auteurs ont même tenté d’acclimater en Occident plusieurs^institutions d’un caractère nettement mosaïque, tellesque