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GRACE

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de charité, cet acte sera toujours influencé par la vertu infuse de charité, parce que la charité est essentiellement l’inclination surnaturelle de la volonté à l’acte de charité. Il en est de même des habitus naturels ; quand un homme, qui s’est acquis l’habitus d’une science, applique son intelligence à l’opération de cette espèce, l’habitus influence nécessairement sa pensée. Il ne faut donc pas une motion ou excitation spéciale et surnaturelle pour mouvoir la vertu infuse ; celle-ci, à proprement parler, ne peut pas être mue à l’acte, mais elle influence toujours l’acte qui lui correspond, quand il est émis ; elle est ainsi avec la faculté un même principe d’opération. Le concours général de Dieu suffit à mettre en activité la faculté opérative, qui, elle, agit d’après l’habitus qu’elle contient.

Cette thèse nous semble confirmée par la doctrine de saint Thomas concernant le mérite : il enseigne que chez l’homme justifié (au moins chez celui qui a émis l’acte de charité parfaite) tout acte humain, qui est moralement bon, est aussi méritoire de condigno ; d’après cela, il n’y a pas, chez le juste, d’acte bon naturel, mais tout acte bon est surnaturel, donc émis par la faculté en tant qu’elle est ornée d’une vertu infuse. De malo, q. ii, a. 5, ad 7°™ ; Cajétan, In Sum. theol., I" II 1’, q. viii, a. 3 ; Soto, De natura et gratia, 1. III, c. iv, fol. 207 ; Terrien, La grâce et la gloire, t. ii, p. 26 ; Collaliones Brugenses, 1907, t. xii, p. 13, 321 ; Billot, De gratia Christi, thés, xx, p. 255.

Saint Thomas, nous l’avons vu plus haut, n’enseigne pas qu’il faut une grâce actuelle excitante pour chaque acte bon chez le juste ; il exige le concours général de Dieu pour toute opération salutaire, en tant qu’elle est passage de puissance à acte. Sum. theol., I a II æ, q. cix, a. 9.

Un corollaire de notre thèse, c’est que la grâce actuelle excitante n’était pas nécessaire en Adam avant la chute ; parce qu’il n’était pas sujet à la concupiscence et parce qu’il n’était pas sujet à l’erreur ni à l’ignorance, il n’avait pas besoin de ce secours spécial qui consiste en l’illumination et l’inspiration du Saint-Esprit. Voir Molina, Concordia, q. xiv, a. 13, disp. IV, p. 19 ; Bellarmin, De gratia primi hominis, c. iv, p. 0 ; De novis conlroversiis, dans Le Bachelet, Auclarium Bellarminianum, p. 111 ; Becan, Summa theologica, tr. III, De angelis, c. ii, q. v, p. 108 ; ColUdiones Brugenses. 1913, l. xviii, p. 492.

Objections tirées de l’Écriture, tles Pères et des conciles. — a. S ; iint Paul écrit : » Ainsi, mes frères…, travaillez à votre salut avec crainte et tremblement… car c’est Dieu qui opère en vous le vouloir et le faire, selon son bon plaisir. » Phil., il, 13.

On ne peut pas conclure de ces paroles que saint Paul enseigne la nécessité d’une grâce actuelle excitante pour chaque acte salutaire du juste. D’abord, il n’est pas certain qu’il parle exclusivement de la grâce actuelle ; il se peut qu’il entende la grâce en général, impliquant et la grâce habituelle et un secours spécial actuel donné de temps en temps.

Si l’on admet qu’il s’agit exclusivement de la grâce actuelle, ce qui est plus’probable, nous ne pouvons pas déterminer quelle est précisément, d’après lui, le secours dont le terme est « le vouloir et le faire. » Enfin, et surtout, on ne peut pas dire que saint Paul affirme la nécessité d’une grâce actuelle pour chaque vouloir et chaque faire ; il parle" du salut, de la persévérance (au moins temporaire) dans l’exercice de la sainteté ; l’obtention de cette persévérance requiert que Dieu agisse intérieurement en l’homme et lui fournisse de l’énergie surnaturelle par laquelle il veuille le bien et réalise ses résolutions ; mais saint Paul ne dit pas que le juste ne peut émettre aucun bon propos, ni en exécuter aucun, sans une grâce actuelle excitante.

b. Saint Augustin, De natura et gratia, c. XXVI,

n. 29, P. L.. t. xi.iv, col. 261, dit : « De même que l’oeil corporel, alors qu’il est parfaitement sain, ne peut voir sans le secours de la lumière, ainsi l’homme parfaitement justifié ne peut vivre dans la rectitude morale, sans le secours de la lumière éternelle, accordé par Dieu. Dieu donc guérit non seulement pour effacer nos péchés, mais encore pour nous donner le moyen de ne plus pécher. »

Saint Augustin enseigne que l’homme, déjà pleinement justifié, a encore besoin du secours surnaturel divin pour éviter le péché, donc pour se maintenir dans l’état de justice. Il n’enseigne pas qu’il faille un nouveau secours actuel pour chaque acte bon. Quant à la comparaison dont il se sert, on ne peut pas dire que l’influence de la lumière sur l’oeil signifie nécessairement l’influence de secours actuels renouvelés à chaque acte salutaire ; l’influence de la lumière dont l’œil a besoin, même quand il est sain, est une influence continue et n’est pas une excitation à l’acte. Saint Augustin semble donc faire allusion à la nécessité physique de la grâce considérée en général, dont l’influence est continuellement nécessaire à l’exercice de la rectitude morale surnaturelle et à la résistance aux tentations, mais il ne dit pas que cette grâce est un secours actuel excitant, requis pour émettre chaque acte bon, ou éviter chaque péché. C’est dans le même sens qu’il faut interpréter les textes que nous avons cités plus haut, col. 1579, notamment celui-ci : non potest homo boni ediquid relie, nisi adjuvetur ab eo qui malum non potest velle, hoc est gratia Dei per Jcsum Christum. Contra duas epistolas pelagianorum, 1. I, c. ii, n. 7, P. L., t. xliv, col. 553. On ne peut affirmer que cet adjulorium signifie exclusivement la grâce actuelle excitante.

c. Le pape Zosime dit : Quod ergo tempus intervenii quo ejus non egeamus auxilio ? In omnibus igitur actibus, causis, cogitationibus, motibus adjulor et prolector orandus est. Dcnzinger-Bannwart, n. 135. Le pontife enseigne qu’il n’est aucun temps, aucune circonstance où l’homme puisse se passer du secours divin, de la grâce ; qu’il faut, par conséquent, la demander sans cesse. Mais il ne dit pas du tout que l’homme justifié a besoin d’une nouvelle grâce excitante pour chaque acte salutaire.

d. Le c. ix de Y Indiculus dit : « Dieu agit de telle façon sur le cœur des hommes et sur leur libre arbitre que toute pensée sainte, tout propos pieux, tout mouvement de la bonne volonté, soit de Dieu. » Loc. cit.

De nouveau est enseignée ici la nécessité de la grâce pour chaque acte salutaire, mais il s’agit de la grâce considérée en général et l’on ne parle pas exclusivement de ce secours spécial, que nous appelons la grâce actuelle excitante.

e. Le II concile d’Orange, dans le 7e canon, dirigé contre les semipélagiens, parle directement de la nécessité de l’illumination et de l’inspiration du Saint-Esprit pour toute pensée salutaire, toute élection salutaire, pour le consentement à l’Évangile. Denzinger-Banmvart, n. 189. Il s’agit ici, nous scmblc-t-il, des actes salutaires qui précèdent la justification. De plus, nous ne pouvons affirmer que le concile entend par illumination et inspiration du Saint-Esprit précisément et exclusivement ce que nous appelons maintenant grâce actuelle excitante. D’autant plus que dans le canon précédent le concile désigne la grâce nécessaire aux actes salutaires par les mots : per injusionem d inspirationem Spiritus Sancti in nobis. Le canon 10e, op. cit., n. 183, enseigne la nécessité de la grâce pour la persévérance des justes.

I. Le concile de Trente, sess. vi, c. xvi, op. cit., n. 809, dit : « Le Christ Jésus, comme la tête à l’égard des membres et comme la vigne à l’égard des branches, exerce incessamment son influence sur les hommes