Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 6.2.djvu/194

Cette page n’a pas encore été corrigée
1623
1024
GRACE


à la conclusion théologiquement certaine. Celle-ci s’obtient par un raisonnement dont l’une des prémisses est une vérité révélée, et l’autre, une proposition

de connaissance naturelle, mais absolument certaine, telle qu’elle n’admet pas la possibilité de l’erreur, vu la nature de la connaissance à laquelle elle appartient. Or, pour le cas qui nous occupe, la prémisse révélée revient à une proposition conditionnelle, par exemple, si l’homme reçoit tel sacrement, dans telles conditions, il est justifié ; mais les propositions qui affirment la réalisation de la condition sont ou absolument certaines, comme dans le cas expliqué plus haut du baptême de l’enfant, et alors la conclusion est de foi, ou bien les propositions, dont il s’agit, ne sont pas absolument certaines, et alors la conclusion ne peut pas l’être : on n’aura donc pas une conclusion théologiquement certaine. Sur la différence à établir entre une conclusion révélée implicitement et formellement et une conclusion théologique, voir Foi, col. 383, et les auteurs cités.

Pour mieux comprendre pourquoi l’on ne peut avoir, au sujet de sa propre justification, une certitude scientifique, au sens propre du mot, ou une certitude équivalente, quant à la fermeté, il faut considérer de quelle manière l’état de grâce pourrait être un objet de notre connaissance. Voici l’exposé succinct et clair du cardinal Billot, De gralia Christi, p. 208 sq. : l’existence de la grâce sanctifiante serait connue avec certitude ou bien en elle-même, ou bien dans ses effets, ou bien dans ses causes, ou bien dans les conditions auxquelles, d’après la révélation, est nécessairement lié l’état de grâce. Or, aucun de ces éléments ne permet d’obtenir une certitude proprement dite. En effet, a) la grâce ne peut pas être perçue par nous en elle-même, c’est-à-dire par intuition ; car ni l’âme elle-même, ni ses facultés opératives, ni ses habitudes acquises naturellement, ne peuvent être connues immédiatement en elles-mêmes ; à plus forte raison, ne pourra-t-on avoir cette connaissance d’un habitus surnaturel, tel qu’est la grâce sanctifiante, b) Les effets de la grâce sanctifiante seraient les actes dans lesquels elle exerce une influence ; les actes sont l’objet immédiat de notre conscience psychologique ; mais nous ne pouvons pas en percevoir la surnaturalité : la conscience ne perçoit directement que la substance de l’acte, qui, dans cette vie, est la même et dans l’acte naturel et dans l’acte surnaturel correspondant, c) Les causes de la grâce sanctifiante sont Dieu, qui en est la cause principale, et les sacrements, qui en sont cause instrumentale : quant à Dieu, sa présence ou son absence en nous ne nous sont pas connaissables. Quant aux sacrements, la validité de leur administration ne peut jamais être connue, par l’adulte qui les reçoit, avec une parfaite certitude ; car cette validité dépend d’actes internes du ministre et (si on excepte le baptême) de la validité de son ordination sacerdotale. Ensuite un sacrement validement administré ne produit pas toujours la grâce sanctifiante dans celui qui ne la possède pas : celui-ci, en effet, peut n’avoir pas les dispositions requises, d) Les conditions auxquelles est lié, pour l’adulte, l’état de grâce, sont la foi surnaturelle, l’espérance surnaturelle, la charité surnaturelle ou l’attrition surnaturelle ; or ces habitus surnaturels ne sont pas connaissables en eux-mêmes ; les actes non plus, parce qu’on ne peut pas les discerner d’actes naturels correspondants. De plus, peut-on avoir une conscience parfaitement claire du degré de l’amour envers Dieu et du degré de la contrition ? En d’autres termes, peut-on connaître avec une certitude parfaite que l’acte que l’on produit actuellement, est, quant à sa substance, un acte parfait d’amour pour Dieu, tel qu’il est la disposition ultime à la justification ? Tel est le doute exprimé par l’éminciit théologien ; nous admettrions cependant que

l’homme peut avoir conscience d’un acte parfait d’amour de Dieu, tel qu’il est, quant à la substance de l’acte, la disposition dernière à la justification. Mais nous ne pourrons jamais savoir avec certitude parfaite que cet acte est surnaturel, puisque, d’une part, nous ne pouvons en percevoir immédiatement la surnaturalité et que, d’autre part, la distribution des grâces ne nous est pas suffisamment connue pour que nous puissions affirmer, dans les cas particuliers, que tel acte e.t certainement surnaturel. Nous concluons donc que l’homme ne peut pas avoir de son état de grâce une certitude scientifique proprement dite ou une certitude qui, quant au degré de fermeté, équivaut à celle-là.

3. L’homme peut avoir, concernant sa propre justification, une connaissance conjecturale, qui exclut tout doute prudent, et, par conséquent, il peut avoir une certitude au sens large du mot, qui équivaut à une certaine certitude morale.

Dans les deux propositions précédentes, nous avons parlé de la certitude qui est propre à l’acte de foi divine et de la certitude qui est propre à l’acte de science ou à la conscience psychologique. Il nous reste à considérer la certitude morale, celle qui a son motif unique ou principal dans ie témoignage des hommes. Mais cette certitude, comme nous l’avons dit plus haut avec Suarez, admet les degrés différents de fermeté : le degré suprême se trouve dans cette certitude que l’homme, qui n’a jamais été à Rome, peut avoir de l’existence de cette ville ; cette certitude est telle qu’elle exclut, chez l’homme normal, tout doute possible. Nous n’admettons pas que l’homme puisse avoir une telle certitude concernant sa justification. Cependant cette opinion n’a pas été condamnée par l’Église. Nous admettons que l’homme vertueux, surtout après avoir passé un temps considérable dans l’exercice d’une vie vraiment chrétienne, peut logiquement et raisonnablement exclure tout doute prudent, c’est-à-dire tout doute objectivement probable, concernant sa propre justification, et, par conséquent, juger qu’il est en état de grâce sans craindre actuellement de se tromper : c’est là un jugement certain, au sens large du mot, par opposition au jugement qui est seulement probable.

Nous avons déjà vu plus haut que cette proposition est défendue par Suarez, qui a été suivi en cela par beaucoup de théologiens. Mais il nous faut montrer d’abord que cette assertion n’est pas opposée à celle du concile de Trente qui dit : quilibel, dum seipsum suamque propriam infirmitatem et indispositionem respicil, de sua gralia jormidare et limere potest, cum nullus seirc valeai eerlitudine fidei, cui non potest subesse falsum, se gratiam Dei esse conseculum. Denzinger-Bannwart, n. 802. Le concile condamne ici l’hérésie luthérienne et affirme que chaque homme peut (raisonnablement et licitement) craindre qu’il ne soit pas en état de grâce ; la raison est, d’une part, la faiblesse de l’homme, d’autre part, l’impossibilité d’avoir concernant sa justification une certitude de foi ; cette dernière certitude exclut tout doute possible ; l’homme ne peut jamais (ni raisonnablement ni licitement) douter un seul instant d’une vérité révélée par Dieu, il ne peut jamais craindre de se tromper quand il adhère à une vérité révélée. Cette absence de crainte ne peut se vérifier pour la connaissance de l’homme concernant son état de grâce et, en ce sens-là, chaque homme peut (raisonnablement et licitement) douter de son état de grâce, concevoir la crainte de n’être pas justifié ; il peut consentir à cette crainte et l’entretenir. Cependant le concile ne dit pas que l’homme ne peut pas, après un examen sérieux, faire disparaître tout doute prudent et toute crainte réellement fondée. Le doute reste toujours possible, comme dans beaucoup de cas de certitude morale.