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GRACE

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grâce et le concile de Trente, dans les Etudes franciscaines, 1910, t. xxiii. p. 353 sq-, 600 sq.

Le concile a condamné la doctrine luthérienne, mais n’a pas voulu atteindre les opinions divergentes qui s’étaient manifestées, au sein même du concile, entre les catholiques ; il est donc établi : a) qu’aucun fidèle n’est obligé de croire qu’il est justifié, c’est-à-dire que sa propre justification n’est pour personne un objet de cette foi qui est nécessaire au salut ; b) que tout fidèle peut légitimement (sans faute morale) craindre pour son état de grâce et qu’il peut avoir des raisons logiquement fondées pour avoir un doute à ce sujet. Le concile alors ajoute le motif de cette dernière assertion : c’est là, à proprement parler, un argument qui ne peut pas être mis au mime rang que la définition elle-même, mais qui cependant a grande autorité, parce qu’il est l’expression de la pensée commune des Pères du concile. Cet argument est le suivant : « Puisque personne ne peut savoir par une certitude de foi, sous laquelle ne peut se cacher l’erreur, s’il a reçu la grâce divine. » Des controverses qui ont eu lieu, avant qu’on ne soit arrivé à cette formule, voir Hefner, op. cit., p. 304 sq., il résulte que le concile ne semble pas avoir entendu dire autre chose que ceci : la connaissance que l’homme peut avoir de sa justification n’est pas de telle nature qu’elle soit objectivement incompatible avec l’erreur, comme l’est notre foi, et par conséquent l’homme ne peut jamais logiquement avoir, concernant sa propre justification, une certitude égale à celle avec laquelle il adhère aux vérités révélées par Dieu.

C’est pourquoi cette assertion n’exclut même pas l’opinion de Catharin. Cf. Pallavicini, Concilii Tridentini historié/, 1. VIII, c. xii, n. 10-12, Anvers, 1677, p. 762 sq. Catharin distinguait la foi catholique ou universelle, par laquelle tous les fidèles croient les vérités révélées par Dieu et proposées à tous comme telles, el la foi privée ou particulière, par laquelle un homme croit une proposition, ou bien parce qu’elle lui a été personnellement révélée par Dieu, ou bien parce qu’elle est déduite d’une autre proposition de foi. L’homme, d’après Catharin, peut connaître avec certitude sa propre justification par cette foi privée. Voici pourquoi : celle-ci suppose, en dehors des cas de révélation divine, que l’homme juge exactement ses propres actes et il se peut que l’homme se trompe en cela : donc cette foi privée n’est pas celle que le concile a indiquée par ces mots : [ides, cui non potest subesse falsnm. Somme toute, le concile de Trente n’a rien changé à la doctrine des théologiens catholiques, sur le point en question.

5. Après la définition du concile de Trente.

L’opinion de Catharin a été combattue par Soto, Apologia Fr. Dominici Solo, etc., dans son livre De natura et gratia, Paris, 1549, fol. 269 sq., et ne semble pas avoir trouvé beaucoup de partisans. Les théologiens se sont plutôt rangés du côté de Soto, et ont défendu sa thèse, mais avec des nuances diverses assez notables. De nos jours, on tend à accentuer l’assertion qu’on peut avoir de sa propre justification une véritable certitude.

Soto, op. cit., 1. III, c. xi, fol. 247, exprime sa thèse en ces termes : Quamvis possil homo in hac vita pergrandes habere conjecturas status sui in conspectu Dei, nemo lamen prieler spéciale revelationis privilegium potest tantam obtinere ccrlitudinem légitima : suæ actionis, qua cooperamur moventi Deo, aul légitimareceplionis sucramenti, ut œquo assensu judicel se esse in gratia illo quo chrisiianm asseniitur articulis fidei. Soto parle de certitude considérée au point de vue de l’objet, fol. 239, et affirme que l’homme ne peut pas, si sa manière de penser est correcte et si elle correspond à son objet, être persuadé de sa propre justification avec la même fermeté qu’il est persuadé des articles de foi. Cette assertion, est, au fond, contre celle de Catharin ;

car celle-ci n’excluait pas que la foi privée, dont il s’agissait, pût avoir une fermeté d’adhésion égale à celle de la foi universelle. Remarquons ensuite que la raison invoquée par Soto est celle-ci : l’homme ne peut pas avoir une certitude absolue de la valeur morale de ses propres opérations ou de la réception fructueuse des sacrements. Le manque de certitude absolue quant à cela empêche la certitude absolue quant à l’état de grâce. Pour déterminer le degré de la fermeté dans L’adhésion, dont il s’agit, Soto dit que l’homme peut avoir, à ce sujet, de très fortes conjectures : pergrandes conjecturas, aussi, une opinion très intense : intentissima opinio, fol. 248, verso. Il admet qu’on pourrait avoir de sa justification une persuasion égale à celle que l’on a de l’existence de la ville de Constantinople, quand on n’a jamais été en cette ville. C’est là une persuasion de foi humaine et, bien que Soto n’emploie pas le mot, cette foi est susceptible d’une véritable certitude. Bien plus, elle est telle que la plupart des théologiens n’admettent pas qu’elle puisse être égalée par la certitude qu’on peut avoir de son état de grâce, comme nous le dirons plus loin.

Bellarmin, De justificatione, 1. III, c. xi, n. 24-27, dans Controu., Prague, 1721, t. iv, p. 501, note qu’il y a parmi les catholiques trois opinions : celle de Catharin, qui non seulement exclut tout doute, mais ajoute que les justes peuvent avoir de leur justification une certitude de foi divine… ; la seconde opinion n’admet pas la certitude de foi divine, mais affirme cependant que les justes peuvent arriver, et en général arrivent (notamment les hommes parfaits) à une telle sécurité, qu’ils n’aient aucune crainte au sujet de leur justification, absolument de la même manière que nous croyons sans aucune hésitation que César a régné en Italie, que Constantinople est une ville de Thrace. Bellarmin n’approuve pas cette opinion. La troisième, qui est plus communément admise, n’enlève pas toute crainte, mais cependant toute anxiété et hésitation, même tout doute, si l’on désigne par ce mot l’état de celui qui n’ose pas adhérer à l’une des deux assertions contradictoires. Il y a pour les fidèles, au sujet de leur justification, une certitude morale pour l’intelligence, l’espérance et la confiance pour la volonté. Cette certitude morale a son origine dans l’expérience ou la conscience qu’on a de la charité el des bonnes œuvres : c’est pourquoi on peut l’appeler une certitude morale et conjecturale. Op. cit., p. 502, n. 31.

Suarez, De gratia, 1. IX, c. xsq., Opéra, t. ix, p. 539 sq., distingue d’abord la certitude théologique et la certitude de foi. Le certitude de foi repose immédiatement sur la révélation divine, tandis que la certitude théologique n’est fondée que médiatement, c’est-à-dire au moyen d’un raisonnement ; en effet, la certitude théologique, proprement dite, se trouve dans une conclusion tirée d’un principe divinement révélé, et d’un autre principe qui est évident de connaissance naturelle, ou qui est absolument certain par l’expérience naturelle, n. 1, p. 539. Suarez n’admet pas que le juste, sans une révélation spéciale, ou une inspiration équivalente, puisse avoir cette certitude théologique de sa justification, et il dit cjue presque tous les théologiens sont d’accord en cela ; il démontre ensuite pourquoi l’homme ne peut pas avoir cette certitude thôologique, n. 6-19, p. 510-546. Au c. xi, il se demande si l’homme peut obtenir une vraie certitude concernant son état de grâce. Après avoir énuméré plusieurs auteurs, qui le nient, et d’autres qui l’affirment, il exprime sen opinion : il peut y avoir un degré de fermeté dans l’adhésion, que l’on appelle certitude, non seulement parce qu’il exclut le doute négatif ou suspensif de l’assentiment intellectuel, mais encore parce qu’il exclut aussi tout doute prudent ou moral. Dans cette certitude-là il peut y avoir des degrés différents. Le degré suprême de fer-