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GRACE


savoir avec certitude qu’il n’a commis aucune faute dans son ministère, il ne résulte pas nécessairement qu’il ne peut pas savoir avec certitude s’il est maintenant en état de grâce. Ses paroles contiennent néanmoins un conseil de prudence concernant le jugement de chacun sur sa valeur morale et conséquemment sur son état de grâce : c’est ce qu’insinue le concile de Trente en employant les mêmes mots dont s’est servi saint Paul. Sess. vi, c. xvi, Denzinger-Bannwart, n. 810. Cf. Cornely, Commentarius in priorem Epistolam ad Corinthios, Paris, 1890, p. 103 sq.

Dans son Épître aux Romains, viii, 16, l’apôtre a un passage qu’on a invoqué en faveur de la certitude que chacun doit avoir de son état de grâce : « Cet esprit lui-même rend témoignage à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. » Le sens n’est pas que l’Esprit-Saint fait savoir à chaque homme justifié qu’il est réellement, maintenant, enfant de Dieu. Le texte grec est celui-ci : TJv ; j.aoTjp ; ï ~£o 7zvsÛ[a3ti t)jj.<jûv ; ce qui signifie : l’Esprit divin témoigne avec notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. C’est une confirmation du verset précédent : « Vous avez reçu un esprit d’adoption en qui nous crions : Père. » L’apôtre confirme ici la coopération de l’Esprit à notre oraison, dans laquelle nous invoquons Dieu comme notre Père. Cette coopération n’est pas une révélation sur l’état de notre âme. De plus, cette coopération ne peut pas être connue par la conscience psychologique. Enfin, l’Esprit-Saint peut exciter un croyant, en état de péché mortel, à crier vers Dieu : notre Père.

2. Les Pères ne semblent pas avoir, sur la question qui nous occupe, un enseignement précis, ni unanime. On cite un passage de saint Jérôme, commentant l’Ecclésiaste, ix, 1, P. L., t. xxiii, col. 1080 : « Les œuvres des justes sont dans les mains de Dieu, et cependant ils ne peuvent pas savoir maintenant s’ils sont aimés par Dieu ou s’ils ne le sont pas, ils ne savent discerner si les peines, qu’ils endurent, sont l’épreuve de leur vertu (qui en triomphera) ou l’occasion de leur supplice. » Saint Jérôme exprime ici une certaine incertitude des justes concernant leur état moral vis-à-vis de Dieu. L’incertitude de l’homme juste concernant son immunité de tout péché est exprimée par saint Augustin. De per/eelione justitise, c. xv, n. 33, P. L., t. xliv, col. 309. Enfin saint Grégoire, répondant à la question que lui avait faite une personne angoissée par le doute concernant la rémission de ses péchés, dit que sa question est inutile : « Il ne faut pas que vous soyez sûre de la rémission de vos péchés, avant le dernier jour de votre vie, où vous ne pourrez plus déplorer vos fautes. Avant ce jour, il faut toujours craindre les fautes et les expier par vos larmes quotidiennes. » Episl., 1. VII, epist. xxv, P. L., t. lxxvii, col. 878. Ces textes s’opposent à la doctrine de Luther, dont nous parlerons plus loin, mais ne permettent pas de définir la nature de la connaissance que chaque homme peut avoir de sa justification, ni de déterminer à quel degré de persuasion peut arriver cette connaissance.

3. Les scolastiques ont explicitement posé la question et y ont répondu. Alexandre de Halès, Sum. theol., part. III, q. lxxi, m. iii, a. 1-3, enseigne que l’homme ne peut pas connaître son état de grâce, par cette connaissance scientifique, qui est un moyen infaillible de savoir : en effet, la grâce est l’effet de la bienveillance divine à notre égard ; et l’on ne peut obtenir une connaissance scientifique de cette bienveillance. Mais l’homme, qui a la foi, peut acquérir une connaissance expérimentale de son état de grâce : il peut, en effet, éprouver en lui les signes de cette grâce, notamment la lumière dans l’intelligence, et dans la volonté, la joie et lapaix. Albert le Grand, /n IVSent., . I, dist. XVII, a.5, Opéra omnia, Paris, 1893, t. xxi, p. 473, parle explicitement de la charité et dit : aucun homme, sans révé lation spéciale, ne peut savoir s’il a la charité ; cela, pour deux raisons : d’abord, parce que la charité, bien qu’elle soit connaissable en elle-même, ne se manifeste cependant pas suffisamment à nous, à cause du tumulte de la concupiscence et de l’imagination ; ensuite, parce que l’amour naturel a parfois un acte tout semblable à l’acte de la charité (infuse) : ainsi on pourrait prendre l’un pour l’autre. Saint Bonaventure est plus précis : l’homme, sans révélation spéciale, ne peut pas savoir certiludinaliter s’il a en lui la charité, mais il peut le savoir conjecturaliter, en se fondant sur différents signes ; la première raison qu’il expose pour prouver que l’homme ne peut pas connaître ccrlitudinalilir la présence de la charité en lui, est celle qui était indiquée par Alexandre de Halès : on ne peut pas connaître eertitudinaliter qu’on est agréable à Dieu. La seconde raison est celle qui fut indiquée par Albert le Grand : on ne peut pas avec certitude discerner toujours l’acte de charité infuse de l’acte de charité naturelle, notamment de l’acte qui est l’effet d’une vertu acquise, In IV Sent., 1. I, dist. XVII, part. I, q. iii, Opéra omnia, Quaracchi, t. i, p. 299 ; cꝟ. 1. III, dist. XXIII, dub. iv, op. cit., t. iii, p. 503, où il est enseigné que l’homme ne peut pas avoir une connaissance expérimentale certaine de la présence de la grâce sanctifiante et de la charité en lui. Saint Thomas d’Aquin expose, en divers endroits de ses œuvres, la question qui nous occupe, notamment In IV Sent., 1. I, dist. XVII, q. i, a. 4 ; 1. IV, dist. IX, q. i, a. 3, sol. 2 a ; dist. XXI, q. ii, a. 2, ad 2 am ; De veritate, q. x, a. 10 ; Quudlibelum VIII, a. 4 ; Sum. theol., I a II’1’, q. cxii, a. 5 : nous y trouvons la même doctrine, que nous avons signalée, et les mêmes raisons pour l’étayer. Dans la Somme théologique, loc. cit., il indique trois signes d’où l’homme peut conjecturer son état de grâce : se délecter en Dieu, mépriser les choses mondaines, n’avoir pas conscience d’être coupable d’un péché mortel. Duns Scot enseigne la même doctrine, In IV Senl., . IV, dist. I, q. m ; q. iv, a. 5 ; q. xiv, a. 4, ainsi que Cajétan, In Sum. theol., I a II 1 *’, q. cxii, a. 5. 4. Le concile de Trente.

Luther avait expose s ; i théorie de la /ides (iducialis et en était arrivé à enseigner que chaque homme doit croire fermement, avec une certitude inébranlable, qu’il est justifié. Cf. Hartmann-Grisar, Luther, Fribourg, 1911-1912, t. i, p. 3113 sq. ; que si l’homme doute de son état de grâce, il perd, par le fait même, sa justification. Cette doctrine fut condamnée en 1547, en la session vi du concile, de Trente, qui déclare notamment les points suivants : a) on doit croire que la rémission des péchés ne s’obtient que gratuitement par la miséricorde divine à cause du Christ ; cependant la confiance ou la certitude qu’on prétendrait avoir de la rémission de ses péchés n’est pas ce qui en réalité procure cette rémission ; b) on ne peut dire que ceux qui sont réellement justifiés doivent affirmer, sans aucune hésitation, qu’ils sont justifiés, ni que personne est absous de ses péchés ou justifié à moins qu’il ne croie fermement qu’il est absous et justifié. .. c) Car, si aucun homme pieux ne doit douter de la miséricorde divine, du mérite du Christ, de la vertu et efficacité des sacrements, tout homme d’autre part, s’il se considère tel qu’il est en lui-même, s’il considère sa propre faiblesse et indisposition, peut craindre et trembler pour son état de grâce, puisque personne ne peut savoir par une certitude de foi, sous laquelle ne peut se cacher l’erreur, s’il a reçu la grâce divine. Denzinger-Bannwart, n. 802. Quant à l’histoire de ce décret, et aux discussions qui l’ont précédé, voir Hefner, Die Enlslehungsg eschichle des Trienler Rechtfertigungsdekretes, Paderborn, 1909, p. 297 sq. ; Merkle, Concilii Tridentini diariorum pars I"-, Fribourg-en-Brisgau, 1901, p. 98, 101, 109, 593, 000 ; Elises, Concilii Tridentini Actorum pars altéra, Fribourg-en-Brisgau, 1911, p. 727 sq. ; Gaucher, La certitude théologique de l’étal de