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GRACE


justification est la justice de Dieu, non celle par laquelle il est lui-même juste, mais celle par laquelle il nous rend justes : par cette justice, reçue de Dieu, nous sommes renouvelés, et en réalité nous sommes justes ; nous recevons en nous la justice et chacun la reçoit dans la mesure que le Saint-Esprit détermine, d’après son vouloir et aussi selon la disposition et la coopéralion propre à chaque individu. » Denzinger-Bannwart, n. 799-800. C’est la théorie de Luther sur la justification imputative qui fut l’occasion de la définition citée. Le concile inculque ce point doctrinal : que la justification n’est pas un acte forinsèque (une sentence judiciaire), par lequel Dieu déclare l’homme juste, mais un acte par lequel Dieu le rend réellement juste, en infusant dans son âme un nouveau principe de vie surnaturelle. Cf. Hefner, Die Enstehungsgeschichte des Trienter Rechfertigungsdekretes, Paderborn, 1909, p. 263 ; pour l’histoire de ce décret, voir op. cit., p. 165 sq.

II. Essence.

Le concile de Trente ne s’est pas prononcé sur les controverses théologiques concernant l’essence de cette grâce, notamment il n’a pas donné de solution à cette question : si la grâce sanctifiante est réellement distincte de la charité infuse, si la grâce sanctifiante a pour sujet immédiat l’essence même de l’âme ou la volonté, comment il faut entendre l’habitation du Saint-Esprit dans l’homme juste. Cf. Hefner, op. cit., p. 260, 264. Nous exposerons succinctement les sentiments des théologiens sur ces questions.

1° D’abord, c’est une assertion au moins théologiquement certaine que la grâce sanctifiante est une réalité distincte de Dieu et produite par lui. Cela ressort clairement du décret du concile de Trente : la cause formelle de notre justification n’est pas la justice même de Dieu, ce n’est pas par elle que nous sommes rendus justes ; c’est donc par une justice réellement distincte de celle-là, par une justice créée et infuse dans l’âme. Ce qui confirme cette affirmation, c’est que la justice, par laquelle les hommes sont rendus justes, a des degrés différents chez les divers individus et est proportionnée à leur disposition. On peut d’ailleurs démontrer qu’il est impossible que Dieu soit uni à l’homme comme une forme à une matière, ou plus généralement, comme l’acte à la puissance ; en effet, puisque Dieu est l’être subsistant en lui-même, il est impossilde qu’il informe un autre être comme un accident informe et modifie une substance, dans laquelle il est inséré. (Remarquons que l’union hypostatique du Verbe avec la nature humaine ne consiste nullement en ce que le Verbe devienne la cause formelle de l’humanité, mais l’être de celle-ci. Voir Incarnation.) Le sentiment de Pierre Lombard n’a plus de partisans, il n’en avait pas beaucoup de son temps, comme il l’avoue lui-même. Sent, 1. I, dist. XVII, c. i, n.6. Il soutenait que la charité surnaturelle, qu’il identifiait avec la grâce sanctifiante, n’était pas une réalité créée et infuse dans l’âme, mais l’Esprit-Saint lui-même, produisant en nous l’amour de Dieu. Le Saint-Esprit était donc, d’après cette opinion, la cause formelle de notre justification ; ce qui ne peut se concilier avec le décret du concile de Trente et notamment avec le canon 11e de la vie session : « Si quelqu’un affirme que les hommes sont justifiés ou bien par la seule imputation de la justice du Christ, ou bien par la seule rémission des péchés sans la grâce et la charité qui est infuse dans leur âme par V Esprit-Saint et qui leur est inhérente…, qu’il soit anathème. » Denzinger-Bannwart, n. 821. Sur l’exposé et la réfutation de l’opinion de Pierre Lombard, voir S. Thomas d’Aquin, Sum. theol., II » If, q. xxiii, a. 2 ; S. Bonaventure, In IV Sent., 1. I, dist. XV II, part. I, q. i, Opéra, Quaracchi, t. i, p. 292 sq.

2° La grâce sanctifiante est donc une réalité distincte de Dieu, créée, infuse et inhérente en l’âme ; elle ne peut pas être une substance, ni complète ni incom plète ; car une substance créée, complète, ne peut pas communiquer son être à une autre substance complète, telle, par exemple, que l’homme ; la substance incomplète s’unit à un autre élément de façon à constituer avec lui une substance complète, d’une espèce déterminée : il est évident que la grâce sanctifiante ne constitue pas avec l’homme une nouvelle substance ou nature, une espèce d’être substantiel. Il reste donc que la grâce sanctifiante est un accident ; si l’on considère les divers genres d’accidents, on conclut qu’elle ne peut appartenir qu’à la qualité. Cf. Casajoana, Disquisitiones scholastico-dogmaticæ, Barcelone, 1888, t. iv, p. 581. La grâce sanctifiante est donc une qualité, c’est-à-dire une forme modifiant intrinsèquement l’âme ou lui conférant une perfection déterminée, accidentelle. Cf. S. Thomas, Sum. theol., D If", q. xxix, a. 2. Les théologiens expliquent ultérieurement l’essence de la grâce sanctifiante en disant qu’elle est un habitus entitalivus. Cf. S. Thomas, De veritate, q. xxvii, a. 2, ad 7° m ; Suarez, De gratin. 1. VI. c. iv, n. 1, Opéra, t. ix, p. 20 ; Bellarmin, De gratia et libero arbitrio, 1. I, c. ni, p. 227 ; Pesch, Prielecliones dogmatiese, t. v, n. 312 sq.

3° L’opinion de beaucoup la plus probable soutient que la grâce sanctifiante est réellement distincte de la vertu infuse de charité. Ce sentiment est défendu par Alexandre de Halès, Sum. theol., part. III, q. lxix, m. ii, a. 4 ; cf. Heim, op. cit., p. 48, 50-52 ; S. Bonaventure, In IV Sen(., l. I, dist. XVII, part. I, q. iii, Opéra, t. i, p. 299 ; 1. II, dist. XXVI, dub. n ; dist. XXVII, a. 1, q. ii, Opéra, t. ii, p. 648, 656 ; S. Thomas, Sum. theol., I* II 35, q. ex, a. 3 ; Capréolus, In IV Sent., 1. II, dist. XXVI, a..De/ensiones theologiæ, Tours, 1900 sq., t. iii, p. 256 sq. ; Denys le Chartreux, Summa fidei orlhodoxæ, 1. II, a. 118, Opéra omnia, Montreuil-sur-Mer, 1896 sq., t. xvii, p. 326 ; Cajétan, In I"" II, q. ex, a. 35 ; Suarez, De gratia, 1. VI, c. xii, Opéra, t. ix, p. 70 sq. ; Ripalda, De ente supernaturali, 1. VI, disp. CXXXII, sect. iv, n. 53, t. ii, p. 702 sq. ; Mazzella, De gratia, n. 958 ; Schiffini, De gratia divina, n. 203, 3 ; Van Noort, De gratia Christi, Amsterdam, 1908, n. 142 ; card. Billot, De gratia Christi, p. 140 ; de Bæts, De gratia Christi, Gand, 1910, p. 62 sq. L’opinion contraire a été soutenue par Duns Scotjn IV Sent., ]. II, dist. XXVII ; par Molina, Concordia, in q. xiv, a. 13, disp. XXXVIII, Paris, 1876, p. 221 ; par Bellarmin, De gredia et libéra arbitrio, 1. I, c. vi, p. 232 sq.

La distinction réelle se déduit de la considération suivante : la charité est un habitus opérations, un principe immédiatement ordonné à la production de l’acte de charité ; or, ce principe prochain d’opération, qui est à l’instar d’une faculté, suppose un principe éloigné (principium remotum) qui soit à l’instar d’une nature. Cet argument est développé par saint Thomas, De veritate, q. xxvii, a. 2, où, se basant sur l’analogie entre l’ordre naturel et l’ordre surnaturel, il montre que l’homme, qui, par sa nature propre, est radicalement ordonné à sa fin naturelle, doit recevoir aussi une réalité qui élève sa nature et lui confère une dignité proportionnée à la fin surnaturelle à laquelle il est destiné. Cette dignité spéciale est conférée par la grâce sanctifiante, tandis que la charité infuse est ce par quoi la volonté est inclinée vers la fin surnaturelle, et les autres vertus sont données pour que l’homme soit capable d’exécuter les œuvres surnaturelles par lesquelles il acquiert la fin surnaturelle. La distinction réelle des divers dons naturels et la connexion qui existe entre eux est aussi clairement décrite par saint Thomas, De virtutibus in communi, q. i, a. 10. Un autre argument est donné par M. de Bæts, op. cit., p. 63 : la charité est une faculté appétitive intellectuelle surnaturelle ; elle suppose donc une connaissance proportionnée ; celle-ci (sur la terre) est la foi. Par conséquent la foi est de par sa nature antérieure à la charité ; mais