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If.nl

GRACE

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surnaturels n’est pas certaine. De plus, nous pensons qu’on ne pourrait condamner l’opinion qui dirait qu’un païen a eu le secours remole suffleiens ad salutem, même sans recevoir des illuminations ou inspirations internes, quoad modum surnaturelles. Voici pourquoi : un adulte a la capacité morale d’observer, sans la grâce, la loi naturelle pendant un certain temps et d’éviter tout péché mortel ; pendant ce temps néanmoins il peut pécher mortellement et multiplier les péchés. Si donc un adulte s’adonne au péché, il met lui-même obstacle à la bienveillance divine à son égard, il semble que Dieu peut permettre qu’il reste dans cette misère et qu’il y meure ; alors il sera damné pour ses propres péchés personnels, nullement pour le seul péché originel, ni pour l’absence de la foi en lui. Dans le casque nous venons d’indiquer, l’homme semble avoir eu le secours suffisant ; car, comme le dit saint Thomas, Conl. gent., 1. III, c. clxiii, Dieu aide l’homme à éviter le péché aussi au moyen de la lumière naturelle de la raison et au moyen d’autres biens naturels qu’il confère. Cette remarque est encore confirmée par Sylvestre le Ferrarais, Commenturius in Summum contra gentiles, 1. III, c. clix, Lyon, 1586, p. 600, qui, parlant du pécheur, dit qu’il doit attribuer à lui-même de rester privé de la grâce (sanctifiante), même s’il n’a pas le secours divin requis pour se préparer à la grâce (sanctifiante) : eliam déficiente sibi divino auxilio ad gralise pra’paralioncm necessario. Cet auteur admet, donc que le pécheur puisse, en raison de sa culpabilité, rester privé de grâces actuelles ordonnées à la préparation à la justification ; ne peut-on pas dire la même chose du païen, dont il est question ?

Quoi qu’il en soit, il est une doctrine de saint Thomas, Suni. theol., I il If, q. lxxxix, a. 61, dont il faut tenir compte. Il y enseigne que tout homme, même le païen, quand il est arrivé au plein usage de la raison et est par conséquent capable de délibérer, doit ou bien s’ordonner lui-même à sa véritable fin qui est Dieu, ou bien s’en détourner en plaçant sa fin dernière ou son bonheur définitif en des biens créés ; dans le premier cas, l’homme, d’après saint Thomas, est justifié, c’est-à-dire qu’il a la grâce sanctifiante ; dans le second cas, il commet un péché mortel. Cf. Pègues, Commentaire français littéral de la Somme théologique de saint Thomas, Toulouse, 1913, t. viii, p. 816 sq. De cette doctrine, il résulte que tout homme, au moment où il doit poser l’acte décrit ci-dessus, est ]>révenu d’une grâce proprement dite, qu’il peut, au moins, par inspiration divine interne, faire un acte de foi surnaturelle ; il faut donc, d’après cette opinion, admettre que Dieu accorde de fait à tous les hommes les grâces actuelles suffisantes à l’acte de foi et à l’acte de charité par lequel ils puissent s’ordonner vers leur fin dernière surnaturelle. D’après cette donnée le secours suffisant au salut comprendrait donc toujours des grâces actuelles proprement dites, c’est-à-dire des illuminations et des inspirations surnaturelles. Tous les commentateurs n’interprètent pas de même façon la pensée de saint Thomas. Le cardinal Billot, par exemple. De virtutibus infusis, Rome, 1901, thés. vu, p. 172, admet aussi que, pour l’adulte, il n’y a pas de milieu entre l’état de grâce et l’état de péché mortel personnel, mais avec cette restriction régulariter saltem loquendo, et par cela il entend le cas de l’adulte auquel est parvenue déjà la connaissance de la révélation et de la fin surnaturelle. D’autres auteurs entendent la doctrine exposée d’une façon absolue, en ce sens qu’elle concerne tout adulte sans exception. Voir aussi Schifflni, De gratia divina, n. 310, 315. Mais alors à l’enseignement de saint Thomas, on pourrait opposer ce que saint Thomas dit lui-même, De vcrilale, q. xiv,

aH, ad 1 : Il n’a aucun inconvénient à admettre

que tout homme doit croire explicitement certaines vérités, même s’il s’agit de quelqu’un qui est élevé dans DICT. DE THÉOL. C.VIHOL.

les bois ou au milieu des animaux : car c’est une fonction de la providence divine de procurer à chacun les moyens nécessaires au salut, pourvu qu’il n’y mette pas obstacle. Si quelqu’un, élevé comme nous l’avons dit, se conforme à ce que dicte sa raison naturelle dans la poursuite du bien et la fuite du mal, il faut tenir absolument que Dieu, ou bien par une inspiration interne révélerait à cet homme les vérités qu’il doit croire, ou bien lui enverrait un prédicateur de la foi, comme il a envoyé Pierre à Corneille. » Ce qui attire ici notre attention, c’est l’assertion : si quelqu’un, élevé comme nous l’avons dit, se conforme à ce que dicte sa raison naturelle ; il semblerait, à première vue, que saint Thomas veut dire : si un homme, éclairé par sa raison naturelle, observe pendant un certain temps la loi naturelle et évite tout péché mortel, Dieu lui accordera d’arriver à la foi proprement dite et surnaturelle. Si telle était la pensée de saint Thomas, elle ne s’accorderait pas avec la thèse qu’il défend dans la Somme et où il dit que tout homme, arrivé à l’âge de discrétion proprement dite, se trouve dans la nécessité de s’orienter dans la recherche de son bonheur, et d’être justifié ou de commettre le péché mortel. Voici une solution qu’on nou, a proposée : dans la réponse du livre De vcritale, les paroles : si ductum naturalis ralionis scquereliir in appelitu boni et fuga mali, peuvent s’entendre du premier moment où la raison naturelle s’éveille et où l’homme délibère. C’est alors même que Dieu intervient, et cet homme, allant à Dieu, conduit par sa raison naturelle, atteint, par l’inspiration intérieure et par la foi, Dieu sous sa raison de fin surnaturelle. Tout en suivant les préceptes que dicte la raison naturelle, cet homme aurait cependant de Dieu une connaissance surnaturelle, la foi suivie d’un amour surnaturel, et serait justifié par l’infusion de la grâce sanctifiante. On pourrait encore proposer une autre interprétation : cet homme, à supposer même que dans son premier acte il n’eût pas été à Dieu comme il devrait et que par suite il se trouvât en état de péché mortel, pourrait cependant, dans la suite de sa vie, observer les préceptes de la loi naturelle, et, sous le coup de grâces actuelles suffisantes que Dieu accorde à tout homme, s’orienter vers Dieu au moins tel qu’il peut le connaître par sa raison ; s’il fait cela, Dieu complétera dans ce mouvement (soit par inspiration interne, soit par un prédicateur) tout ce qu’il faudra pour que ce mouvement soit surnaturel et puisse aboutir à la sanctification du sujet. Nous croyons donc que la réponse de saint Thomas ne s’oppose pas à sa doctrine exposée plus haut. L’interprétation que donne de cette réponse M. Capéran, op. cit., Essai théologique, p. 49, semble difficile à admettre : « Estimant que la foi explicite à l’incarnation, à la rédemption et à la trinité est indispensable à partir de la promulgation de l’Évangile, Thomas d’Aquin enseigne que tout infidèle qui fait de son mieux ne mourra pas sans avoir connu ces mystères, cela ne veut pas dire que l’infidèle n’obtienne la grâce de la justification qu’après les avoir connus. » Mais si l’homme est déjà sanctifié, il peut donc être sauvé : il n’encourra donc pas nécessairement la damnation, comme le disait l’objection à laquelle répond saint Thomas. Sur la doctrine de saint Thomas, concernant le point qui nous occupe on lira aussi avec utilité un article de M. de Guibert, dans le Bulletin de tittérature ecclésiastique, Toulouse, 1913, p. 337 sq.

Le P. Schifflni, op. cit., n. 313, indique ainsi les étapes par lesquelles le païen adulte peut parvenir à la foi et à la conversion : quand l’infidèle arrive à l’usage de la raison, son intelligence lui dicte l’existence de Dieu. Dieu alors, par des grâces actuelles, l’illumine et l’inspire pour qu’il reconnaisse l’existence de l’Être suprême et conçoive le désir d’une connaissance plus parfaite de la vraie religion et de la morale. Si l’infidèle

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