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GRACE

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et par conséquent l’effet d’une grâce proprement dite et intrinsèquement surnaturelle. Dieu, dit-il, en destinant la nature humaine à la fin surnaturelle et aux œuvres qui conduisent vers elle, a décidé de toute éternité qu’aucun effort pour accomplir un acte de vertu ne serait accordé, sans que la volonté créée ne soit prévenue par un secours intrinsèquement surnaturel. Op. cit., sect. xiii, n. 123, p. 556. L’auteur expose et défend longuement cette thèse. Op. cit., t. i, 1. I, disp. XX, sect. n. Elle est liée chez lui à une autre explication concernant la foi. Op. cit., t. iv, De virtutibus, sect. xvii. D’après Ripalda, comme nous venons de le voir, même chez les païens, tous les actes sont ou bien mauvais, ou bien surnaturellement bons. Dès lors, les actes par lesquels les païens s’efforcent de connaître Dieu sont aussi surnaturels. Ces actes sont méritoires de congruo et les païens peuvent ainsi arriver à l’amour de Dieu au-dessus de tout ; cet amour sera surnaturel et pourra ainsi obtenir la justification. L’homme serait ainsi justifié sans connaître la révélation et sans avoir la foi proprement dite. Op. cit., t. i, 1. I, disp. XX, sect. xii, xxii, xxiii. Nous n’avons pas à réfuter cette opinion concernant la foi. Voir Schifïini, De virtutibus in/usis, Fribourg-en-Brisgau, 1901, n. 168 sq. ; Pesch, op. cit., t. viii, De virtutibus, 1908, n. 468 sq.

Mais l’opinion de Ripalda, concernant la nécessité de la grâce surnaturelle, ne nous semble pas prouvée. Nous ne trouvons pas valides les arguments exposés pour établir que Dieu donnerait à chaque homme une grâce proprement dite chaque fois qu’il doit poser un acte moral ; nous pensons qu’il y a des actes moralement bons et simplement naturels. Cf. Palmieri, De gralia actuali, p. 254 ; Schifnni.De gralia divina, n. 105.

Mais nous considérons comme très probable le sentiment du cardinal Billot, De gratia, p. 79 sq., qui n’admet pas qu’il existe deux espèces de grâces : l’une naturelle, quoad modum, l’autre surnaturelle, quoad substantiam ; il enseigne que Dieu, dans l’ordre actuel, ne donne que des grâces intrinsèquement surnaturelles, de façon que tous les actes qui procèdent d’une grâce sont, dans leur entité, surnaturalisés. Cette thèse s’appuie sur les deux arguments suivants : a) les Pères et les conciles, en affirmant la nécessité de la grâce, ne parlent que d’une sorte de grâce, la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui est la grâce que nous devons au Christ en tant qu’il est notre rédempteur et sauveur, c’est la grâce qui nous conduit au salut ; or, la grâce, qui nous conduit au salut, est intrinsèquement surnaturelle, nous l’exposerons en parlant de l’essence de la grâce ; b) cet argument est confirmé par la considération suivante : la grâce actuelle est ordonnée à l’opération. Si la grâce, que certains auteurs appellent surnaturelle quant au mode seulement, faisait partie de ce que les conciles appellent la grâce de Notrc-Seigncur Jésus-Christ, il y aurait donc des actes salutaires, qui, dans leur entité, seraient naturels. Mais comment admettre cette assertion ? Si l’on dit que ces actes ne conduisent pas positivement au salut, mais négativement, alors surgit la question : que signifie conduire négativement ? Ce conduire négativement, par exemple, ne pas commettre un péché nouveau, peut obtenir un moyen positif de salut, c’est-à-dire la grâce intrinsèquement surnaturelle, ou il ne le peut pas. S’il ne le peut pas, il ne conduit donc pas au salut, et l’on devrait conclure que la grâce du Christ ne conduit pas

; u salut. Si, au contraire, il le peut, il faudra admettre

qu’un acte, naturel quant à sa substance, est le commencement de la vie éternelle. Cette conclusion ne semble pas conciliable avec les données de la foi.

c) Dans l’état actuel de l’humanité, l’homme (dans les conditions ordinaires et normales) est incapable, sans le secours de la grâce, d’observer tous les préceptes de la loi, mi d’éviter tout péché mortel. — Cette thèse appar tient à la doctrine catholique, mais quant à la note théologique qu’il faut lui assigner, le cardinal Billot fait une remarque importante, De gralia Christi, p. 69 sq. : certains théologiens distinguent les préceptes de la seuie loi naturelle et les préceptes ajoutés par la loi de la grâce (par exemple, le précepte de croire, de recevoir les sacrements), et établissent une différence entre ces deux catégories de préceptes au point de vue de la nécessité morale de la grâce. Cette distinction semble tirer son origine de l’opinion d’après laquelle les actes surnaturels, comme tels, auraient un objet formel différent ; il s’en suivrait que ces actes seraient surnaturels quant à la substance même de l’opération, et que, par conséquent, l’homme serait physiquement incapable, sans le secours de la grâce, d’accomplir les œuvres prescrites par la loi de la grâce. Dès lors, la question de la nécessité monde de la grâce a été restreinte à l’accomplissement de la seule loi naturelle. Mais, dans les documents ecclésiastiques, on ne trouve pas de définition explicite concernant la nécessité morale de la grâce pour l’observation des préceptes de la seule loi naturelle ; d’où les théologiens concluent que cette thèse est au moins théologiquement certaine. Mais si on n’adhère pas à l’opinion, qui assigne un objet formel spécifiquement différent aux actes surnaturels comme tels — et il semble bien que cette opinion doive être rejetée — il n’y a plus de raison de limiter la nécessité morale de la grâce à l’observation de la seule loi naturelle. Les déclarations de l’Église faites au temps de la controverse pélagienne ne contiennent pas la distinction susdite, et affirment, sans restriction, la nécessité de la grâce pour que l’homme puisse observer la loi et éviter le péché. En ce sens, la proposition est de foi.

Néanmoins, l’assertion restreinte à l’observation de la seule loi naturelle est vraie, et elle se déduit des arguments que nous indiquerons.

Les théologiens, qui considèrent uniquement l’incapacité morale de l’homme à observer la loi naturelle, ajoutent d’ordinaire, dans l’énoncé de leur thèse, les mots : du moins pendant un temps considérable. On ne peut pas préciser cette durée, mais il est certain que la difficulté d’éviter tout péché mortel devient plus forte avec le temps ; pour l’homme, privé du secours de la grâce, la lutte contre les tentations devient plus pénible, quand elle se prolonge, la probabilité d’être sujet à des tentations particulièrement difficiles à vaincre augmente, la persévérance exige des efforts continus, une vigueur d’âme croissante.

Enfin, pour nous rendre pleinement compte du sens de la thèse, il faut observer que, d’après le cardinal Billot et d’autres auteurs, il s’agit ici de l’homme qui connaît toute la loi ; on fait donc abstraction de ceux qui ne connaissent que les tout premiers principes de la loi naturelle, comme il en est beaucoup, semble-t-il, parmi les peuples non civilisés. Cf. card. Billot, De gratia Christi, p. 68.

Pour démontrer la thèse, l’argument principal est tiré de l’Épître de saint Paul aux Romains, vii, 7vm, 2. Nous supposons admis que le moi, dont saint Paul décrit la misère morale, représente l’homme aux prises avec la concupiscence sous le régime de la loi et succombant dans cette lutte inégale. Cf. Tobac, Le problème de la justification dans saint Paul, Louvain, 1908, p. 102 sq. ; Prat, La théologie de saint Paul, Paris, 1908, t. i, p. 316 sq. Voici donc renseignement de saint Paul : la loi mosaïque, bien qu’elle soit bonne en elle-même, est devenue occasion de péché et de mort ; le juif, constitué sous ce régime comme tel, est l’esclave du péché, vendu au péché ; la raison de cette captivité est la concupiscence, d’où résulte la lutte, décrite par saint Paul, qui a pour issue la défaite de l’homme et sa captivité ; c’est seulement par la grâce du Christ que le