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GOUVERNEMENT EGGLÉSI ASTIQUE

Les mêmes auteurs font remarquer avec raison que si l’oligarchie est déjà une cause de ruine, puisque la pluralité des chefs engendre la division, et que, selon le mot du Sauveur, omne regnum in seipsum divisum desolabitur, Luc, xi, 17 ; Matth., xii, 25 ; la démocratie, qui plus encore multiplie le nombre des chefs, divise la société davantage, et l’expose aux pires dangers. En outre, un monarque, de qui dépend tout un royaume, que, dans son ensemble, il est porté à considérer comme sien, recherchera et procurera plus le bien de la société entière, que ne le fera une réunion de chefs, plus ou moins nombreux, dont chacun croira devoir s’occuper plus spécialement de la province, de la circonscription, ou de la ville dont il est chargé, et mettra au second plan, et peut-être au dernier rang de ses soucis, le ; questions d’intérêt général. A fortiori, si la multitude commande, comme cela est dans le régime démocratique : alors, chaque individu, l’expérience ne le démontre que trop, cherchera avant tout son avantage personnel, ou celui de ses amis et de ses proches, sans s’inquiéter beaucoup du reste, si tant est qu’il s’en inquiète.

2° La monarchie, cependant, est de plusieurs sortes. Elle est simple, ou mixte et tempérée, suivant que le monarque a ou n’a pas la plénitude de la puissance suprême, soit législative, soit judiciaire, soit executive, indépendamment de tout autre individu ou assemblée. Il est évident que si, en théorie, le gouvernement d’un seul est chose préférable dans l’intérêt général de la communauté, et pour les raisons alléguées plus haut néanmoins, en pratique, vu la corruption de la nature humaine, ou même son infirmité native, des inconvénients graves et nombreux peuvent en résulter. N’est-il pas à craindre que le pouvoir suprême ainsi concentré dans les mains d’un seul, dont les caprices ne rencontreront aucun obstacle, ne dégénère en tyrannie, en égoïsme démesuré, et, par conséquent, n’entraîne de très graves dommages pour le corps social ? A cette omnipotence, ne faut-il pas un contrepoids ? Où le trouver, si ce n’est dans l’aristocratie et la démocratie, quoique à des degrés divers ? Il semblerait donc opportun de donner à l’une ou à l’autre, ou peut-être à l’une et à l’autre, un rôle à jouer dans le gouvernement de la société. Ce serait, en un certain sens, limiter l’autorité du monarque ; mais ce serait, tout en conservant les avantages de la monarchie, poser une salutaire barrière devant elle, pour l’empêcher de tomber dans de regrettables excès, et de conduire le royaume aux abîmes. En quoi consisterait ce rôle concédé à l’aristocratie et à la démocratie ? Cela dépend, en principe, des circonstances et des milieux ; mais on pourrait, par exemple, tout en laissant au monarque le rôle prépondérant, demander pour la confection des lois, ou du moins, de quelques-unes, les plus importantes, le consentement des citoyens les plus haut placés, et celui des délégués du peuple. Par cette division des pouvoirs, il ne resterait plus au monarque que la plénitude du pouvoir exécutif. Ce serait bien pour lui une diminution d’autorité — un tempérament ; — - mais aussi une nécessité pour l’intérêt de tous. Cf. Suarez, Defensio fldei calholicee adversus anglic. secl. errores, 1. III, c. ni, n. 3, Opéra omnia, t. xxiv, p. 213. Nos itaque B. Thomam aliosque theologos catholicos scquuti, ex tribus simplicibus formis gubernationis, monarchiam cœteris anteponimus, quamquam propler naturæ humetnæ corruptionem, utiliorem censemus hominibus hoc tempore monarchiam lemperatam ex aristocratie ! et dimocralia quam simpliciter monarchiam : modo tamen primæ partes monarchise sinl, secundas habeal arislocratia, postremo loco sil dimocralia. Bellarmin, op. cit., t. i, p. 311. Si, cependant, il existait une monarchie dans laquelle, en vertu de l’assistance divine, le prince ne pourrait abuser de sa puissance, cette diminution d’au torité ne paraîtrait nullement nécessaire, ni même convenable, et la monarchie retiendrait, alors, en pratique, toute sa perfection intrinsèque et ses avantages, tels qu’elle les a en théorie.

3° On divise la monarchie en absolue et non absolue. Quoique cette dernière semble, au premier abord, se confondre avec la précédente, elle en diffère, néanmoins, sensiblement. Toute monarchie absolue, en effet, est une monarchie dans le sens strict du mot ; mais non réciproquement. Le mot absolue implique quelque chose de plus que la monarchie simple ou pure : c’est-à-dire l’exclusion de tout autre cogouvernement, même subordonné, comme le serait, par exemple, celui de princes inférieurs, qui. sous la suzeraineté du monarque suprême, gouverneraient des provinces, des circonscriptions, ou des villes, par une autorité qui leur serait propre et ordinaire. Dans la monarchie absolue, le monarque a non seulement l’autorité suprême, mais totale, et tous ceux qui gouvernent, sous lui, des étendues de territoire plus ou moins considérables, ne sont que ses délégués, ses commissaires, ou ses représentants, en un mot, ses vicaires qu’il peu 1’, révoquer à volonté. Cf. Palmieri, De romano ponlifice, part. II, c. i, a. 1, thés, xviii, in-3°, Rome, 1377, p. 437 sq.

Cette plénitude de puissance dans la monarchie pure, ou non tempérée par les limites dont nous avons énuméré quelques-unes, n’implique pas, cependant, chez le monarque, le pouvoir de faire dans le royaume tout ce qu’il veut, au point de changer même la constitution du pays. Si, par exemple, la constitution statuait que, sous l’autorité pleine et complètement indépendante du chef suprême, existât une hiérarchie dont les membres, quoique nommés par le chef lui-même, auraient la charge d’administrer certaines parties de territoire avec une autorité qui leur serait propre et ordinaire, cette clause ne pourrait être détruite par le monarque. La monarchie n’en resterait pas moins vraie monarchie, quoique non absolue. Elle ne serait pas, en effet, une monarchie tempérée par l’aristocratie, mais plutôt une monarchie pure unie à l’aristocratie : monarchie, car elle en aurait le décorum, la souveraine indépendance, la prééminence et la stabilité ; mais unie à l’aristocratie, pour éviter l’inconvénient qui est le plus à redouter dans une monarchie absolue : une centralisation exagérée qui enlève à chaque province ou à chaque ville son caractère propre, rend impossible toute initiative individuelle, et détruit presque entièrement l’activité régionale, en s’opposant à la diffusion égale de la vie dans tous les organismes du corps social. Avec de véritables princes à la tête des provinces, chacune de cellesci, quoique toujours dépendante du pouvoir suprême, conserve son caractère spécial, et, pour ainsi dire, sa personnalité, de sorte que, sans détriment pour l’unité de l’ensemble, chaque province devient également un centre de vie qui rayonne dans toutes les directions.

4° C’est cette forme de gouvernement que le Christ a donnée à son Église : monarchie, non pas absolue, ni tempérée par une aristocratie, mais unie à une aristocratie, puisque, comme nous le rappellerons plus bas, les évêques ne sont pas de simples vicaires du pape, mais de vrais princes de l’Église, avec puissance propre et ordinaire. En outre, non seulement la monarchie ecclésiastique est unie à l’aristocratie, mais aussi, en un certain sens, à la démocratie, puisque le suprême monarque et les autres princes de la hiérarchie sacrée n’obtiennent pas leur charge et leurs dignités par un héritage qui en fasse comme l’apanage de certaines familles privilégiées, mais par une élection qui n’exclut de ces dignités aucune classe de citoyens. Cf. Pesch, Prœlectiones dogmalicæ, De Ecclesia Christi, part. II, sect. ii, prop. 34, schol. i, n. 376, 9 in-8°, Fribourg-en-Brisgau, 1897-1903, t. i, p. 235.