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GOURMANDISE

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Mêmes opinions et mêmes raisons en ce qui concerne le deuxième cas. Est-il permis de boire jusqu’à l’ivresse pour échapper totalement ou partiellement, par ce moyen, à la douleur d’une opération chirurgicale ? Les théologiens qui regardent l’ivresse volontaire comme intrinsèquement mauvaise le nient. Saint Liguori se range à leur sentiment, parce que, selon lui, ce serait provoquer la perte de la raison pour arriver à l’inconscience et à l’insensibilité, donc faire le mal pour arriver au bien. Mais cette raison est loin d’être démonstrative. Ce que l’on cherche en réalité, c’est, avant tout, l’effet physiologique de l’alcool qui, absorbé à forte dose, peut diminuer ou détruire la sensibilité. Le reste n’est qu’indirectement voulu. Et il semble bien que la raison soit suffisante. On arrive au même résultat par l’emploi de substances pharmaceutiques produisant des effets analogues dont l’usage est universellement regardé comme licite. A ce point de vue, remarque Génicot, Theologia’moralis instilutiones, tr. IV, n. 185, iwltum discrimen morale vidclnr inter hoc médium et alia, ex. gr. chloroformium, quir adhiberi soient. Mais enivrer un moribond pour lui procurer l’avantage de mourir sans souffrance n’est point permis parce que, à ce moment surtout, l’homme a besoin de toute sa raison pour se préparer au jugement de Dieu.

Le dernier cas, plutôt théorique que pratique, est encore résolu de diverses manières. Un homme, menacé de mort s’il refuse de boire avec excès, est-il coupable si, pour échapper au danger, il consent à s’enivrer ? Les théologiens qui regardent comme intrinsèquement mauvaise toute ivresse volontaire l’affirment et saint Liguori, s’appuyant sur un passage très clair, mais non authentique de saint Augustin, se range à cette opinion et la juge plus probable. Mais, au sentiment de Lessius, les raisons pour lesquelles, d’après saint Thomas, l’excès dans le boire est moralement coupable, n’existent plus ici : ce n’est plus, en effet, le plaisir seul qui fait agir le buveur, mais la nécessité qui le contraint malgré lui, et si l’ivresse doit provoquer un résultat déplorable, il y a un motif grave qui autorise à le tolérer : c’est la vie qui est menacée et qu’il -s’agit de sauver. Cette manière de voir est acceptable dans le cas où la violence est destinée à provoquer un simple excès de boisson ; si elle avait pour but de porter a une violation formelle de la loi de Dieu, il serait toujours interdit d’y céder, dût-on y perdre la vie. Ce serait, en effet, consentir au péché formel.

b) Coopération à l’ivresse d’antrui. — Il y a, sans aucun doute, péché mortel dans le fait de provoquer sans raison l’ivresse chez autrui. On commet ce péché par imprudence, en fournissant largement au buveur les liqueurs fortes dont on sait qu’il abusera certainement, en l’excitant par des paris ou des provocations à boire le plus et le plus longtemps possible, ou encore en multipliant, sous prétexte d’amitié ou de politesse, ces instances obsédantes qui forcent les gens à boire plus que de raison. Autre chose est pourtant le fait de donner abondamment, dans un repas, des vins ou des liqueurs fortes, au risque d’occasionner par là certains abus et quelques ivresses. C’est un cas de coopération éloignée à la faute d’autrui : une raison légère suffit à la rendre licite, à condition que l’intention soit droite.

Mais s’il y a faute grave à provoquer sans raison l’ivresse chez autrui, est-il permis de la provoquer pour empêcher un mal, par exemple, pour empêcher l’ivrogne de commettre quelque crime, plus grave que le péché de l’ivresse ?

( lui, selon Lessius, dont l’opinion semble vere probabilis à saint Liguori, parce qu’il est juste, donc permis, de préférer un moindre mal à un plus grand ; or c’est le cas.

Non, disent Ltolzmann, Arsdekin et le continuateur

de Tournély, parce que pousser quelqu’un à l’ivresse, c’est le porter directement au péché, ce qui est toujours interdit.

On peut du moins le penser pour le cas où le buveur s’enivre sciemment et volontairement ; car on le pousse directement au péché formel. Mais en serait-il de même au cas où le buveur serait surpris sans qu’il s’en doute ? Alors il n’y aurait plus que péché matériel et il y aurait, dans le fait qu’on évite par ce moyen un crime ou un mal grave, une raison suffisante de le permettre (Laymann, Bonacina, Salmanticenses).

Serait-il permis d’enivrer quelqu’un pour procurer un bien, par exemple, pour lui arracher un secret, pour échapper à sa surveillance et recouvrer sa liberté, ou pour quelque motif analogue ?

Non, évidemment, si l’on n’a pas le droit d’exter quer le secret que l’on veut arracher ou si l’on n’a pas le droit de prendre la fuite.

Dans le cas contraire, si, par exemple, on a le droit de faire parler le dépositaire du secret, ou le droit d’échapper par la fuite à une injuste détention, les moralistes distinguent encore. Ou bien on peut user et provoquer l’ivresse sans que le buveur s’en aperçoive : en ce cas, il n’y a que faute matérielle et une raison sérieuse permettra de la provoquer, ou bien il faut provoquer une ivresse volontaire et coupable. Il serait encore permis de la provoquer, selon Lessius, du moins si par là on empêche un mal plus grand. Laymann le nie, parce que ce serait porter directement quelqu’un au péché.

4. Dans quelle mesure l’homme est-il moralement responsable des péchés commis en état d’ébriété parfaite ? — Dans la mesure où il les a prévus et voulus en en posant la cause. En cas d’ivresse involontaire, rien n’est voulu ni prévu ; donc rien d’imputable. En cas d’ivresse volontaire, les fautes sont imputables dans la mesure où elles sont prévues et dès l’instant où elles le sont.

Toutefois quelques théologiens remarquent nue l’homme en état d’ivresse ne sachant plus ce qu’il dit, des paroles qu’il profère nul ne tient compte. Par conséquent, ses insultes et ses injures n’atteignent personne, du moins généralement parlant, parce que chacun les dédaigne. On ne lui imputera donc pas comme une faute les expressions grossières qui chez un autre seraient coupables, parce qu’en fait elles ne constituent pas une injure efficace. Il n’en est pas de même des paroles obscènes ou des blasphèmes et des impiétés qui lui échapperaient, qui gardent leur malice propre.

III. Péchés dérivés.

Saint Grégoire, Moral., 1. XXXI, c. xlv, P. L., t. lxxvi, col. 621, attribue cinq fdles à la gourmandise : de venlris ingluvie inepta kvlitia, scurrililas, immunditia, multiloquium, hebeludo sensus propagantur. Très sensible au plaisir du manger et du boire, le gourmand apprécie trop ces jouissances vulgaires quand il les possède et laisse alors paraître, dans ses paroles et son attitude, une joie niaise et déplacée (inepta leetiiia) ; trop gai pour surveiller ses discours et ses actes, il se laisse aller à des paroles irréfléchies, à un verbiage ridicule (stulliloquium), auquel se joint souvent le burlesque des gestes ou des manières (scurrilitas). Cependant l’estomac se charge outre mesure et l’on est menacé de ses révoltes, comme aussi des révoltes de la chair surexcitée (immunditia). Les excès de table alourdissent le corps, rendent difficile le travail de l’esprit, en diminuent la facilité et le goût et finissent par émousser l’intelligence (hebetudo sensus).

Ces conséquences fâcheuses de la gourmandise, déjà fort sensibles en celui qui mange immodérément, sont plus fortement accentuées chez quiconque abuse des liqueurs enivrantes. Une lamentable expérience, sur laquelle il serait superflu d’insister ici, l’a démontré avec une triste évidence. Lorsque l’excès dégénère en