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aux scrupules de plusieurs députés étrangers, qui refusaient de s’associer à ce débat supplémentaire. Le résultat de la nouvelle action fut une seconde sentence qui, clouant les insoumis au pilori, marquait les principaux d’entre eux comme victimes d’une prochaine et cruelle persécution : tous furent, sur la proposition de Bogermann, déclarés perturbateurs de l’Église et déchus de toute fonction ecclésiastique ; deux cents lurent destitués de leurs fonctions, quatre-vingts furent exilés. Ne parlons pas même de deux hommes illustres, Olden Barneveldt et Hugo Grotius, que le prince d’Orange parvint à faire condamner comme criminels politiques, mais qui expièrent surtout, le premier par sa mort sur l’échafaud, le second par un long emprisonnement, leur attachement à Farminianisme et aux franchises dont il était devenu le symbole. Il est à peine besoin de remarquer combien tous ces agissements sont en contradiction avec le principe qui est à la base du protestantisme et avec l’histoire de ses origines. Les arminiens n’ont pas manqué de souligner ce trait et d’en faire grief à leurs persécuteurs. La grande révolution religieuse du xvie siècle s’est accomplie au nom de la liberté des consciences individuelles : la Bible, que chacun, aidé ou non directement par l’Esprit-Saint, interprétera à sa guise et de son mieux, voilà pour tout protestant l’unique règle de foi, l’unique autorité. Et ici, où deux systèmes sont en présence, se réclamant l’un et l’autre de la Bible, nous voyons la faction dominante revendiquer pour elle le droit absolu d’imposer sa manière de voir et ne reconnaître aux membres de la minorité d’autre droit que celui de se soumettre. Il y a plus. Luther et les siens avaient-ils assez déclamé contre Borne et contre le concile de Trente, sous prétexte qu’on n’y admettait point la discussion contradictoire, que les mêmes personnes y étaient juges et partie, qu’on y condamnait des absents sans avoir entendu leur défense, qu’on s’y prévalait de l’appui du bras séculier ! Ce qui précède nous montre comment tous ces reproches atteignent en plein les gomaristes de Dordrecht ; et ils n’atteignent qu’eux. L’Église catholique, et le concile de Trente en particulier, en rejetant les doctrines nouvelles, en exigeant des novateurs qu’ils se soumettent sans restriction à la sentence conciliaire, en frappant de peines ecclésiastiques les défenseurs obstinés de l’erreur, restent dans la logique de leurs principes : du point de vue catholique, la parole de Dieu, norme souveraine de la foi, se manifeste à nous par la tradition aussi bien que par l’Écriture ; ou plutôt l’Écriture n’est qu’un ? forme et une partie de la tradition, et la tradition trouve son expression authentique dans le magistère des pasteurs, c’est-à-dire du pape et des évêques. Quant au concours du pouvoir civil, si l’Église l’a utilisé, si elle l’a parfois réclamé comme un droit, jamais elle n’a renoncé à agir dans les affaires ecclésiastiques par son autorité propre, jamais elle n’a, comme nous avons vu le synode de Dordrecht le faire, demandé aux rois ou aux princes de lui tracer une ligne de conduite dans des matières relevant de sa juridiction et soumises à son tribunal, de manière à se réduire, en face de l’État, au rôle de servante ou, tout au plus, de pouvoir exécutif. Concluons que les gomaristes de Dordrecht n’ont pu défendre leur point de vue et leurs thèses calvinistes qu’en reniant les principes essentiels et générateurs du protestantisme et en tournant le dos à tout le passé de la Béforme. Que penser de gens qui déclament contre les idées et les méthodes de l’Église catholique, quand on les voit, au beau milieu de leurs déclamations, non seulement appliquer ces idées et ces méthodes, mais les exagérer au delà de toute mesure, les dépasser en les dénaturant de la façon la plus absurde ? L’assemblée de Dordrecht et ses meneurs pouvaient bien, après cela, se faire gloire de l’affran chissement des consciences par le protestantisme ; ils avaient sans doute le droit d’être pris au sérieux lorsqu’ils félicitaient « l’Église belgique d’être délivrée de la tyrannie de l’Antéchrist romain et de l’horrible idolâtrie du papisme. » Cf. Gomari opéra, Dedicat., p. 1, 2 ; Acla synodi nationalis Dordrechti habiUv, Præjat., p. 1 et passim.

Ajoutons que le gomarisme, ainsi établi historiquement sur une suite d’inconséquences flagrantes, ayant sacrifié toute logique, et l’on peut dire toute raison et toute pudeur, au désir de triompher de l’arminianisme, n’eut pas même l’honneur d’atteindre ce but. Mosheim constate que les décrets de Dordrecht, loin de détruire le système d’Arminius, ne servirent qu’à le répandre davantage et à indisposer les esprits contre les opinions rigides de Calvin. Les arminiens, dit-il, attaquèrent leurs adversaires avec tant d’habileté, de courage et d’éloquence qu’une multitude de gens demeura persuadée de la justice de leur cause. Assurément, les fameux décrets furent reçus officiellement par les États généraux des Pays-Bas et par les Églises calvinistes de Suisse, de France et d’autres pays étrangers. Mais, en Hollande même, quatre provinces refusèrent d’y souscrire ; ils furent mal accueillis par l’opinion publique en Angleterre, où l’on restait attaché à la doctrine unanime des Pères, qui n’ont jamais mis des bornes à la miséricorde divine ; et, au bout de quelques années, à la mort de Maurice de Nassau, le protecteur et promoteur officiel du gomarisme, les arminiens reprirent pied dans leur pays d’origine, s’y reconstituèrent en corps et y bâtirent des églises. D’ailleurs leurs idées se répandirent insensiblement. C’est un fait constant qu’elles ont fini par s’implanter dans les meilleurs esprits du calvinisme et par s’y développer, au point qu’aujourd’hui elles y sont souvent poussées jusqu’au pélagianisme et au socinianisme, voire jusqu’au rationalisme le plus franc. Ce qu’est devenue, au milieu de tout cela, l’interprétation du c. ix de l’Épître aux Bomains, sur laquelle Gomar et les siens fondaient principalement leur système, on pourra s’en rendre compte en parcourant le tableau, très long et très bigarré, des dissentiments actuels, tel qu’il est esquissé par J. Holtzmann, Lehrbuch der neustestamentlichen Théologie, 2e édit., Tubingne, 1911, t. ii, p. 188 sq.

Sur Gomar, voir surtout Van der Aa, Biographiseh Woordenboek van Nederlanden, Harlem, 1862, t. vii, p. 281285 ; Foppens, Bibliotheca belgica, Bruxelles, 1739, p. 293294 ; J. Hegenboog, Historié van de Remonslranten, Amsterdam, 1774 ; trad. allemande, Lengo, 1781 ; Realencyclopàdie iiir prolestantische Théologie und Kirclie, 3e édit., Leipzig, 1899, t. vi, p. 763-764 ; The encyclopsedia brilannica, 11e édit., Cambridge, 1910, t. xii, p. 228 ; Vitæ et effigies professorum Groningensium, p. 76 sq.

Sur le gomarisme, outre les ouvrages indiqués ci-dessus, Francisci Gomari Brugensis Opéra theologica ornnia, maximum portera posthuma, suprema authoris voluntate a discipulis édita, Amsterdam, 1644 ; 2e édit., Amsterdam, 1664 ; Acla synodi nationalis Dordrechti habitée, Dordrecht, 1620 ; trad. hollandaise, Dordrecht, 1621 ; trad. française, Lcyde, 1624 ; Bossuet, Histoire des variations protestantes, 1. XIV, c. xvii-cxiv ; Haselius, Historia concilii Dordraccni, 1724 ; G. Brandt, Historia reformalionis belgica ; La Haye, 1726 ; Upey et Dermont, Gescbiedenis der Nederl. herv. Kerk, Breda, 1819 ; Graf, Beitrag zur Geschicbte der Synode von Dordrecht, Bâle, 1825 ; Mosheim, De auctoritate concilii Dordrechtani, paci sacræ noxia, Helmstædt, 1726 ; Schaff, A history of the creeds of christendom, New York, 1884, t. iii, p. 551 sq. ; Augusti, Corpus librorum symbolicorum, p. 198-240 ; Bergier, Dictionnaire de théologie, aux mots Arminius et Gomar ; Lichtenberger, Encyclopédie des sciences religieuses, Paris, 1878, t. v, p. 626-628 ; Mcehler, La symbolique, trad. franc., Besançon, 1836, t. ii, p. 387-402 ; Hergenrother, Histoire de l’Église, trad. franc., Paris, 1891, t. v,

J. Forget.