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GNOSTICISME


étaient élus. Ibid., col. 1104. Cela prouve que déjà le système du Basilide et d’Isidore se traduisait pratiquement en immoralité. Il ne restera plus qu’à justifier dogmatiquement l’immoralité : ce fut l’œuvre de Carpocrate.

3. Carpocrate.

Originaire d’Alexandrie et gnostique égyptien, Carpocrate, voir Cmipocrate, t. ii, col. 1880-1803, s’est beaucoup moins occupé de la partie métaphysique du gnosticisme que de son application pratique. Il reste apparenté avec la gnose syrienne, car c’est à Saturnin qu’il a emprunté cette haine du Dieu des juifs et de sa loi, qui est l’une des caractéristiques de son système. Il doit à Basilide les principes dont il tire rigoureusement les conséquences logiques sans reculer devant l’abîme d’immoralité où elles conduisent. Il s’empare, sauf à la dénaturer étrangement, de l’hypothèse pythagoricienne de la métempsycose pour pousser jusqu’à épuisement la série des actes immoraux que toute âme doit commettre avant d’être sauvée. Et il devient avec son fils Épiphane, mort à dix-sept ans et adoré comme un dieu dans l’île de Céphalénie, Clément d’Alexandrie, Slrom., III, 2, P. G., t. viii, col. 1105, un professeur systématique d’impudicité.

L’idée de rédemption n’est pas étrangère à son système, et on va voir comment il l’entend. Le Sauveur envoyé par le Père inconnu, qui ne pouvait supporter l’intolérante domination des anges, et notamment celle de Jéhovah, eut pour mission la défaite de ces tyrans : ce fut Jésus, vrai fils de Joseph et de Marie, né d’un père et d’une mère à la manière des autres hommes, simple mortel, qui, se rappelant ce qu’il avait vu dans une vie antérieure, s’éleva au-dessus des autres hommes grâce à la fermeté de son âme, et se prit d’un profond mépris pour la loi et les coutumes des juifs. Et ce mépris fut le salut du monde. Quiconque le professe à l’égard des fabricateurs du monde peut égaler et même surpasser Jésus et ses apôtres, Pierre et Paul. Philosoph., VII, 32, p. 386.

Le mépris des anges et de Jéhovah, auteurs de la loi qui règle l’ordre social et moral, entraîne le mépris nécessaire de cette loi. La violer est dès lors un devoir et un moyen de salut. Car la justice, d’après Épiphane, n’est qu’une scoivwviot [j.e-’îarJTrj-oç, un droit égal pour chacun de participer à tous les biens, particulièrement au nécessaire exercice des rapports sexuels. Clément d’Alexandrie, Strom., III, 2, P. G., t. viii, col. 11051108. La communauté des femmes s’impose. Ibid., col. 1112. Et c’est dans un sens d’une obscénité révoltante que Carprocate interprète ce mot de saint Luc, vi, 30 : -oevù Gcî-O’jvtt as SiSoj. Slrom., III, 6, P. G., t viii, col. 1157. De là, dans les réunions nocturnes, des scènes de promiscuité et de débauche qualifiées du mot chrétien d’àyâ-r ;. Slrom., III, 2, P. G., t. VIII, col. 1112. Et si par malheur une âme n’avait pas épuisé toute la série des turpitudes, elle était condamnée, après la mort, à habiter un autre corps pour satisfaire, par la révolte complète contre la loi, à la nécessité de son salut. Et c’est ainsi que Carpocrate entendait ce mot de l’Évangile : A’on exies inde donec reddas novissimum quadrantem.]M.atth., , 2&.S. Irénée, Cont. hær., i, 25, 4, P. G., t. vii, col. 682-683. Voilà où en était arrivé le gnosticisme égyptien à peine naissant. Et il n’est pas étonnant que, dans ce courant d’antinomisme outré, les sectes gnostiques se soient multipliées pour honorer tous les révoltés de l’Ancien Testament.

I. Valentin.

Bien au-dessus de Carpocrate, d’Isidore et de Basilide, se trouve l’un des chefs célèbres et les plus influents du gnosticisme, Valentin. Avec lui on touche à l’apogée de la gnose. Né dans la Basse-Egypte, Valentin suivit les cours des écoles d’Alexandrie, où il apprit la philosophie platonicienne et s’initia à toutes les doctrines de l’ancienne Egypte.

S’il ne fut pas le disciple de Basilide, il put entendre ses leçons ; il connaissait en tout cas son système ainsi que celui de ses prédécesseurs, et resta fidèle au cadre et à la méthode des gnostiques, en parant le tout d’images et de conceptions nouvelles, qui donnent à son enseignement un caractère à part. Sa réputation et son influence furent grandes. Après avoir enseigné à Alexandrie, il se transporta à Rome du temps du pape Ilygin, y séjourna longtemps et y forma de nombreux disciples, avant d’aller mourir en Chypre où, au dire de saint Épiphane, il aurait fait le dernier naufrage dans la foi. Ses disciples se partagèrent en deux écoles, l’école orientale et l’école italique, différentes d’opinion sur la nature du corps du Sauveur. Sa doctrine personnelle ne se trouve exposée nulle part, bien que l’auteur des Philosophoumena entende parler de son système qu’il dit emprunté, non aux Évangiles, mais à Pythagore et à Platon, et qu’il qualifie d’hérésie. Philosoph., VI, 29, p. 279. On ne peut que la reconstituer en étudiant celle de ses disciples, soit dans l’école orientale au moyen des Extraits de Théodote, des renseignements du pseudo-Tertullien, de Philastrius et des Philosophoumena, soit dans l’école italique au moyen du Contra hærcses de saint Irénée. Et l’on y retrouve, malgré la différence des détails, une économie semblable à celle de ses devanciers dans la théogonie, la cosmologie, l’anthropologie, la sotériologie et l’eschatologie.

a) École orientale de Valentin. — a. Théogonie. — Dans le monde supérieur du plérome se trouve le Dieu principe, le Un, le Père, seul d’après les uns, avec Eifij pour compagne d’après les autres, doué de vertu prolifique ou susceptible de développement. Ne voulant pas rester seul, il engendre une dyade, le couple vouç et àlr’fiv.y., d’où sort un second couple, Àoyoc et Çtorj, qui lui-même produit avOpw-oç et i/.y.r t ai<x. En action de grâces envers le Père incréé, l’Esprit et la Vérité produisent dix nouveaux éons, la décade. A cette vue, le couple Verbe et Vie voulant honorer la dyade d’où il émane, produit douze éons, la dodécade. Pourquoi dix éons d’abord et douze ensuite’? Ce choix est dû à une influence pythagoricienne. Voilà donc 28 éons ou 30 si l’on y comprend le Père et le Silence, qui constituent le plérome, le monde supérieur. Au dernier degré de la dodécade se trouve l’éon femelle aoiia à l’esprit curieux et au désir ardent. A la vue des merveilles du plérome, de la série des émanations et de la puissance des éons, elle voudrait connaître les mystères qui lui restent cachés et devenir à son tour principe d’émanation. Constatant que le Père seul a procréé sans épouse, elle désire imiter le Père et engendrer seule. Mais n’étant pas incréée comme le Père, elle ne réussit qu’à produire un être informe, kV.tpwpi*, qui est le fruit de son péché d’ignorance et d’orgueil. Un tel être n’est pas de nature à réjouir les éons du plérome ; ceux-ci craignent de devenir générateurs d’êtres difformes et imparfaits et supplient le Père de secourir l’audacieuse et infortunée aoiia, qui se lamente d’avoir produit un avorton. Philosoph., VI, 29-31, p. 279-285.

Le Père exauce leur prière ; il a pitié de croiia et confie à vouç et à akr’fîivx le soin de tout arranger. L’Esprit et la Vérité produisentalors un nouveau couple d’éons, le Christ et l’Esprit-Saint, Xptordç et IIvîùux ayiov, qui sont chargés de parfaire la forme incomplète d’k'*Tp(D[j.a et de consoler aoçia. Le Christ et l’Esprit-Saint commencent par séparer kV.tpwpia, afin que les autres éons ne soient plus troublés par la vue de sa difformité. Et pour rendre définitive cette séparation nécessaire, le Père produit un nouvel éon, nommé Limite, ô’poç, parce qu’il doit limiter le plérome ; Croix. crraupû’ç, parce qu’il ne laisse approcher du plérome rien d’imparfait ; et Participation, <j.£to/£jç, parce qu’il participe à la fois du plérome et de la partie extérieure.