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EUCHARISTIE AU XIP SIÈCLE EN OCCIDENT


corpore Christi sua lineamenta et suam speciem habeal sicut aliacorporahumana. Species vero istse, sciliceipanis et vini, fiunt in ore ad celandum et oblegendum corpus Christi (ne serait-ce pas in aère, au lieu de in ore ?). Cette explication aboutirait donc à dire que l’air apparaît coloré, etc., à la façon du corps du Christ. Telle qu’elle est exposée par certains disciples ou relatée par les théologiens suivants, voir jjIus loin, elle se contente d’affu-mer une simple succession de la substance du corps à la place de la substance du pain ; elle devait survivre un demi-siècle environ à son auteur, jusque dans les gloses du Dccrelum. Voir plus loin, à propos de la transsubstantiation chez Pierre Lombard. Mais si l’explication prête à des interprétations qui ne s’harmonisent pas avec le dogme, remarquons que le groupe abélardien est en général fort correct dans l’affirmation même de la doctrine de la conucrsio ; ce qui constitue une forte présomption en faveur de l’orthodoxie du Maqisler Pcirus sur ce point. Il serait pertnis d’en conclure que les idées du maitre ne péchaient que dans l’explication qu’il espérait pouvoir donner de la doctrine.

La Summa sententiarum, vi, 4, P. L., t. clxxvi, col. 141, qui présente, en maint endroit, des accointances avec le maître du Pallet, cf. Clæys-Bouiiært, dans la Revue d’histoire eecicsiastique, Louvain, 1909, t. X, p. 278, 710 sq., est fort brève et discrète sur ce point ; ce qu’elle doit, sans doute, à Hugues de SaintVictor, un de ses principaux modèles. A part la ques^tion in quo sit illa species et sapor, nous n’y trouvons rien de spécial. Dans l’Epitome, c. xxix, P. L., t. cLxxviii, col. 1740-1744, il est à peine question de la conversion, ibid., col. 1741. En dehors d’une objection, les Sentences du manuscrit anonyme de Saint-P’lorian n’en disent guère davantage. Cf. Gietl, op. cit., p. 228, 10. Par contre, Roland Bandinelli, édit. Gietl, p. 223, Ognibene, ibid., et les Sententiæ diuiniialis, édit. Geyer, p. 128-142, lui donnent beaucoup plus d’extension. Roland, plus subtil que le Lombard dans son argumentation, prouve d’abord que la substance du pain et du vin est changée au corps et au sang de Jésus-Christ ; à cet effet, il fait appel au texte d’Eusèbe d'Émèse (Fauste de Riez), classique depuis Paschase et Hériger, et à deux textes de saint Ambroise. Puis il accumule les objections dont plusieurs ont pour objet l’augmentation quantitative du corps du Clirist et sa formation en dehors du sein de Marie.

Les réponses se rangent en deux catégories : la première veut que la substance, qui était, avant la consécration, pain et viii, soit ensuite corps et sang ; la seconde qui a les préférences de Roland : que senlencia noslris pocius quam alia /icre/pec/or/ii/s, p. 226, sacrifie en fin de compte, bien qu’elle conserve le mot, p. 231, la notion de transsubstantiation, puisque, si elle admet la substance du corps et du sang sous les mêmes espèces qui recouvraient la substance du pain et viii, elle adopte une explication inconciliable avec le changement de l’un en l’antre : sul>stanli<i punis et vini dicuni quonium dissolvitur et redit ad elementa (c’est la troisième des explications rappelées par le Magister Sententiarum, I. IV, dist. XI, 4, édit. Quaracchi, p.2.39).

Les Sententiie dioinitatis ne tombent pas sous le même reproche ; la pensée y est correcte ; on ne peut relever chez leur auteur qu’une terminologie inexacte qui confond les changements formel et accidentel. Il y a, dit-elle, deux espèces de changements de sulv stance : mutât io su bstantiarwn quandoquc fit secundum accidentia tantum (femme de Loth changée en sel, .'eau en viii, la glace en cristal, etc.), quandoquc secundum utrumquc ; c’est cette seconde espèce qui se produit dans la conversion eucharistique : le pain cesse d’exister ainsi que le vin ; leur goût, couleur, etc., subsistent, mais plus en eux et pas non plus dans le

corps du Christ, el iia hic fit commulalio secundum ulramque, édit. Geyer, p. 131-132.

Après avoir nettement établi le fait de la conversion, cf. les derniers mots du 1. IV, dist. X, n. 2, édit. Quaracchi, p. 215, Pierre Lombard, dist. XI, n. 1, ibid., p. 238, pose le problème de la nature de cette conversion (le mot de « transsubstantiation » ne se rencontre pas sous sa plume) ; est-elle formelle, demandel-il, substantielle, ou de quelque autre genre ? vel allerius generis ? Elle n’est pas formelle, car la persistance des accidents (species rerum) s’y oppose ; il penche pour la conversion substantielle ; mais une objection de ses adversaires, fréquente alors encore, sur l’augmentation du corps du Christ qui en serait la conséquence, ne provoque dans son esprit qu’une réponse peu ferme : qui bus… respondcri potest. Elle se borne à nier que la conversion se fasse de la même manière que la formation du corps du Christ dans le sein de Marie et, pour l’explication, il en appelle à la toutepuissance divine, en s’abritant, pour cacher sa fuite, derrière une formule attribuée à saint Augustin, Lifter Sententiarum Prosperi.u : Si vero quwris modum… breviler respondeo : myslerium… investigari salubriter non potest, 1. IV, dist. XII, 2, que lui procurait Alger de Liège, op. cit., i, 9, P. L., t. clxxx, col. 767. Vient ensuite, ibid., 2, édit. Quaracchi, p. 239, l’examen d’une question corollaire qui, chez Roland et d’autres, n'était pas assez franchement distincte du problème principal. Le Mrtf/Z.s/er a fort bien vu qu’il fallait séparer les deux questions, dont la seconde se réduisait chez beaucoup à un véritable exercice de dialectique d'école. La voici : la substance du pain est-elle ù un moment donné le corps du Christ ? Ici plusieurs opinions sont passées en revue avec l’explication de quelques expressions rencontrées incidemment chez les Pères et les auteurs antérieurs. Cf. Alger, par exemple, op. cit., i, 6, 7, P. L., t. clxxx, col. 755 sq. La discussion dans les milieux scolaires doit avoir été vive et prolongée, à en juger par quelques citations ; elle se manifeste pendant toute la durée du siècle et saint Thomas en a encore l'écho.

Cf. Robert Pulleyn, op. c//., V III, 5, P. L., i. clxxxvi, col. 965-967 ; Etienne de Tournai, op. cit., I. III, dist. II, c. XL, p. 273-274, qui cite les avis de Robert de Melun, Adam du Petit-Pont, Richard de SaintVictor, etc. ; Alain de Lille, Regulæ theologicæ, 107, et Contra hærcticos, i, 58, P.L., t. ccx, col. 678, 360-361 ; Innocent III, op. Cl/., I. IV, 20, AL., t. ccxvii, col. 870sq., dit avec une sage réserve de toutes ces questions qui défrayaient la fécondité dialectique des écoles : circa prœscntem arliculum subtiliter magis quam utiliter possunt inquiri, ibid., col. 870. Giraud le Cambrien, après avoir enregistre les divers avis, en dit autant. Gemma ccclesiastica, i, 8, édit. citée, p. 28. Mêmes questions chez Prévostin, Simon de Tournai, Etienne Langton, nis. cité, fol. 67, etc. Voir aussi dans les gloses imprimées du Décret, à défaut « les inédites, l'écho de ces discussions dialcctico-tliéologiques chez les canonistes, par exemple, De consecrat., dist. II, c. 1, 2, 71, 72, etc.

L’on comprend que Pierre le Lombard n’ait pu se dispenser de faire le relevé dos diverses solutions apportées de son temps et dont la dernière seule est nettement rejetée par lui. La première répond négativement, bien qu’elle admette quo le pain devienne le corps du Christ. La seconde, qui a les syiupathies du Magister, i{ voir la manière dont il la défend :  ; iec tamen dicimus, admet que ce qui était le pain et le vin est, après la consécration, le corps et le sang ; mais la substance du pain n’est pas la substance du corps, ni celle du vin n’est la substance du sang. Les deux modes d’explication qui suivent remettent en lin de compte en question la vraie notion do la transsubstantiation :