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EUCHARISTIE AU XII » SIKGLE EN OCCIDENT


Hugues a eu lio]) de timidité pour sortir d’une réserve que nous appellerions volontiers excessive.

A ce moment, du reste, les avis étaient fort partagés, comme ou peut en juger par le court morceau cité plus haut : De /rdclionc voijMiis Christi, dû à la plume d’uH polémiste plus véhément qu’éclairé, P. L., t. cLxvi, col. 1.341-1348, l’abbé Abbaud, qui s’en prend à Abélard ou aux dialecticiens de la théologie. Il ne veut pas entendre parler d’autre chose que d’une réelle fraction dans le corps même du Christ ; pas question d’une fraction dans les espèces seulement, ibid., col. 1347 ; il a accumulé les textes (quelques-uns se retrouvent, pour être réfutés, dans les Sententim divinilatis, édit. Geyer, p. 134 -.scd opponitur. .. ; dans Pierre Lombard, voir plus loin, qui les interprète autrement, etc.), et les preuves de la toute-puissance divine, etc., pour établir que l’affirmation simultanée de la fraction et de l’intégrité ne doit pas être regardée comme absolument contradictoire : ne ipsa fractionis et integritatis assertio omnino absurde judicetur. Ibid., col. 1346. On peut en rapprocher ce que dira Zacharias au début de la seconde moitié de ce siècle : lui aussi rapproche les antithèses : corpus… franyilur… tolum suscipitur et intègre…, incorruptibile est… dentibus atleritur, etc., op. cit., P. L., t. cLxxxvi, col. 508, et plus tard le fougueux Gauthier de Saint-Victor qui sera loin de la sage modération de son illustre prédécesseur, Hugues ; la polémique de ce dernier sera aussi vive qu’injuste contre les « quatre labyrinthes de la France » , comme il les appelle, surtout contre Abélard et contre Pierre Lombard. C’est à celui-ci qu’il s’en prend, 1. III, c. XI, et non à Abélard, comme le voulait Mabillon, Vetcra analecta, Paris, 1723, p. 54 ; le texte est dans les extraits de du Boulay, reproduits par Migne, P. L., t. cxcix, col. 1153-1154.

La Sunvna sententiarum, vi, 8, P. L., t. clxxvi, col. 144, qui nous renseigne sur les divers avis en présence et les appuis bibliques ou patristiques qu’ils invoquent, ne peut évidemment admettre que a fraction s’opère dans le corps du Christ ; elle ne peut sympathiser non plus avec ceux qui affirment qu’il n’y a là aucune fraction, mais simple apparence : (dit dicunt non est ibi fraclio, sed videtur tantiim et non est ; rapprochez-en la lettre déjà citée de saint Anselme, P. L., t. eux, col. 256 ; un dernier avis appuj’é d’un texte de saint Paul, I Cor., x, 16, semble avoir ses préférences : alii dicunt… fraclio non alicujus rei quse ibi sil (id est, panis) : formule bien imprécise encore pour tlésigner, si elle a un sens, la fraction des espèces. Cf. Mignon, op. cit.., t. ii, p. 180. Les Sententiee divinilatis, si souvent tributaires de la Sunvna sententiaruni, marquent plutôt un recul ; elles affirment avec saint Augustin et en s’appuyant sur la comparaison de la réfraction et du miroir, que le corps du Christ n’est pas rompu : videtur frangi… atteri et non frangitur. .. L’opinion de ceux qui disent : il y a fraction réelle, mais le corps reste impassible, cdii dicunt quod vere frangitur et irrcfrigibile remanel, quod niiraculum est, cf. Abbaud et Zacharias, /oc. c ; 7., est franchement repoussée, édit. Geyer, p. 134, 135.

Lu réponse de Roland, qui rejette toute traction réelle dans le corps du Christ, édit. Gietl, p. 233, 234, est plus satisfaisante : id est, fil ut cum primo tantum sub una specie essel jam incipit esse sab diversis speciebus ; frangitur enirn sacramentaliter et non essentiuliler : plus haut il a aussi la comparaison de la réfraction du bâton plongé dans l’eau, p. 223.

L’explication donnée par Ognibene, par l’anonyme de Saint-Fiorlan, édit. Gietl, p. 233, par VEpitome, c. XXIX, P. L., t. CLxxviii, col. 1742, se borne à affirmer une fraction apparente, nullement réelle, et à rejeter toute illusion, parce que cette apparence a

pour but notre salut ; même négation de Villusio par les Sententiæ divinilatis, loc. cit.

La vraie réponse devait être fournie par le Magistcr Pierre Lombard, 1. IV, dist. XII, 5, qui, cette fois, n’a pas de modèle connu. Baltzcr, op. cit., p. 134, le fait trop peu remarquer ; Pierre Lombard se contente si souvent d’enregistrer qu’il vaut bien la peine de constater ses titres d’originalité ; il est, du reste, réservé dans son affirmation : sane dici potest. Après avoir longuement enregistré les divers avis, selon son habitude, il continue : serf quia corpus Christi incorruptibile est, sane dici potest fraclio illa et partitio non in subslantia corporis sed in ipsa forma panis sacramentaliter fieri, ut vera fraclio et partitio sil ibi quse fit non in subslantia sed in sacramrnlo, id est, in specie. Comme expression, on ne pouvait être plus heureux. De son côté, Robert Pulleyn, Sententiee, VIII, 5, P. L., t. CLxxxvi, col. 966, 967, était arrivé à une exacte notion des choses ; une étude minutieuse des rapports entre le Lombard et le cardinal anglais pourra dire si le Magister l’a eu ici pour modèle : Hœc qualitas (à savoir du pain et du vin) frangendo et conterendo cditer varicUur, res ipsa quee sub specie latel nullo modo alleratur. Op. cit., P. L., t.CLxxxvi, col. 967.

Pierre de Poitiers, le fidèle disciple du Magisler, répète en d’autres mots la même idée, tout en constatant le nombre encore imposant des partisans que comptait l’interprétation grossière de la confession de Bérenger. Op. cit., 1. V, 12, P. L., t. ccxi, col. 1250.

L’expression d’Innocent III qui rejette l’explication trop facile, mais condamnable, de ceux qui maintiennent la présence du pain et du vin après la consécration, op. cit., 1. IV, 9, P. L., t. ccxvii, col. 861-862, consacre désormais la même idée : dicamus ergo quod forma panis frangitur et atleritur, sed Christus sumitur et comeditur, col. 862 ; puis il explique dans ce sens la profession de foi de Bérenger. Op. cit., 1. IV, 10, col. 862-863.

Alain de Lille répond de la même façon à l’objection des hérétiques tirée de la fraction du pain, op. cit., I, 57, P. L., t. ccx, col. 350 : potius ad formam panis refertur quam ad corpus Christi ; et plus loin : fraclio enim… non est in corpore Christi, sed in forma panis, 58, col. 361.

Chez les canonistes, Rufln, entre autres, avait donné la vraie solution à la difficulté suscitée par la profession de foi de Bérenger. Op. cit., De consecratione, dist., II, c. 42, 58, édit. Singer, p. 561.

5. Permanence de la présence réelle après la communion et en cas d’outrage. — Ce n’était pas en ces termes que se posait la question qu’il nous reste à examiner en ce moment. On lui donnait souvent un nom dont l’étymologie seule en dit assez : c’était celui de stercoranisme ; ou bien encore, l’on formulait en termes fort nets les interrogations suivantes : Que devient le corps du Christ après que le fidèle a communié ? Est-il soumis, comme les autres aliments, aux processus ordinaires de la digestion, etc. ? Quæritur an corpus Christi vadat in secessum, comm ? s’exprime Etienne Langton (ms. cité de Bamberg, fol. 082).

Rappelée par Paschase Radbert, De corpore et sanguineDomini, xx, P. L., t. cxx, col. 1330, et avant lui par Hériger de Lobbes, op.c17., /’. L., .. cxxxix, col. 179, pour être aussitôt écartée, et par Amalaire, Epist., VI, P. L., t. cv, col. 1338, qui se contente d’émettre trois solutions hypothétiques, soulevée de nouveau par Héribald d’Auxerre et Raban, P. L., t. ccx, col. 492, qu’accusera à tort Guillaume de Malmesbury, préface citée, op. cit., p. 82-83, la question formulée ci-dessus devait agiter tout le moyen âge à peu près et faire surgir, sous la plume des controversistes trop peu renseignés en histoire, un groupe d’hérétiques, les stercoranistes, dont l’existence est toujours bien problé-