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EUCHARISTIE AU XIP SIÈCLE EN OCCIDENT

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On retrouve ces textes de Paschase et d’Hériger un peu partout, dans les traités particuliers, dans les collections canoniques, chez les Sommistes, parfois avec des attributions différentes qui hésitent entre Eusèbe d’Émèse et saint Augustin. Ils reparaîtront encore au xive siècle dans les Quodlibeta de Guillaume Occam et ailleurs.

Il va sans dire que l’authenticité de tous ces textes qui constituent le dossier patristique de l’eucharistie n’est pas à l’abri de soupçon, pour ne pas dire davantage : telle la citation de saint Jérôme dans le Tractalus contra amaurianos sur la présence de Jésus-Christ dans toutes les parties. Op. cit., p. 59, c. XI. Cf. aussi De consecratione, dist. II, c. 77, et la note des correctores romani. Il serait prématuré de vouloir retrouver au xiie siècle l’acribie dont se pique le xix^ ou le xxe siècle. A propos de la documentation patristique, notons aussi l’insistance à écarter les contrahetates entre les expressions ; elle dénote le trouble des esprits devant certaines formules qu’à première vue ils ne pouvaient harmoniser : Videat quomodo se expédiât de sententiis Patrum quas subjicimus. On peut voir, par exemple, Guillaume de Saint-Thierry, De sacramento altaris, xii, P. L., t. cLxxx, col. 362 : considerare libet… cur super hac re in sanctorum Patrum tractatibus reperiuntur tam dubiæ sententiæ et tam scrupulosæ et quse… contrariée videantur. Cf. c. xi, col. 359. Cette insistance s’étend, du reste, à toutes les matières théologiques ou canoniques et fait créer la formule : non sunt adversi, sed diversi. Hugues Métel, Gerhoch deReichersberg, Arno de Reichersberg, Robert de Melun dans la préface du manuscrit de Bruges, etc. Alger avait dit, op. cit., I, 17, P. L., t. cLxxx, col. 790 : varie loquuntur sed non contrarie. Certains procédés d’exégèse sont à noter aussi, dont la formule, souvent exacte, donne occasion, cependant, à des applications maladroites : tels les axiomes sur le double ou le triple corps du Christ, qui se ressentent des règles de Tyconius jamais ou rarement nommé (par exemple, dans Innocent III, op. cit., 1. IV, c. xvii, P.L., t. ccxvii, col. 869), ou des idées d’Amalaire (désormais Sergius râpe). Enfin, les textes d’Augustin sur la double manducation du corps du Christ ont une interprctalion qu’on peut appeler classique et qui se retrouve chez la majorité ou la totalité des auteurs théologiques.

Dans le grand effort de systématisation qui caractérise les deux derniers tiers du xiie siècle, les recherches sur la définition du sacramentum et son application à nos sept rites attirent tout de suite l’attention. Outre les attaques soulevées par les bércngaricns et leurs successeurs, qui tous abusaient du mot sacramentum, figura ou mysterium, pour nier la vérité de la présence du corps de Jésus-tLhrist, cf. Guitmond, op. cit., ii, P.L., L cxLix, col. 1454, 1455, 1461 ; Alger, op. c//., I, 4, P. L., t. CLXXX, col. 751 ; Grégoire de Bergamc, etc., c. xi, p. 43, les difficultés d’une systématisation poussée avec logique jusqu’au bout du classement se faisaient spécialement sentir, surtout pour la pénitence, le mariage et l’eucharistie, par exemple, Alger, I, 8, P. L., t. clxxx, col. 760 sq., sur l’eucharistie et ses rapports avec les autres sacrements, Guillaume de Saint-Thierni-, op. cit., ix, xii, P. L., t. clxxx, col. 355, 362, sur le corpus triplex et allusion à la règle de Tyconius. Sans doute, les préoccupations trop exclusivement dialecticiennes de ces Sommistes provoquent à bon droit le reproche d’une subtilité à courte vue ; néanmoins, la chose n’allait pas sans soulever un probU’me : tout sacrement étant le signe de quelque chose, la forma visihilis d’une autre chose invisible, de quoi le corps du Christ tst-il la figure ? Comment est-il signe, puisqu’il est invisible ? Voir, par exemple, Alger, op. cit., I, 4, 5, ibid.,

col. 751, 752 sq. Comment peut-il être signe, puisqu’il

I est mysteriuml N’est-il qu’un sacrum secretuml La ! difficulté grossissait encore par suite des idées régnantes chez les canonistes, dont la plupart, à un moment donné (et Hugues de Saint-Victor, en parlant du baptême, ou dans sa définition même du sacrement. De sacramentis, 1. I, part. IX, 2, P. L., t. clxxvi, col. 317, est dans ce courant d’opinion ; voir aussi la Summa sententiarum, V, 4, ibid., col. 129), voient dans l’objet matériel lui-même le sacramentum. On peut consulter utilement à ce sujet Pourrai, La théologie sacramentaire, Paris, 1907, p. 36, etc.

On peut voir dans Roland, édit. Gietl, p. 215, 216, l’application de la triple définition du sacrement à l’eucharistie : 1. sacrée rei signum, le pain et le vin sont le sacrement du corps et du sang de Jésus-Christ ; la res sacramenti est son corps ou aussi l’Église ; 2. visibile signum invisibilis gratiæ, ceci se rapporte à l’union entre le Christ et l’Église p ; ir la sainte communion ; le sacramentum est la visibilis Christi corporis assumptio, la res sacramenti est l’invisibilis unio entre le Christ et son Église, ou la grâce, ou la rémission des péchés ; 3. sacrum secrelum, cette définition ne comporte que la res sacramenti, c’est-à-dire le corps du Christ.

Des idées analogues se rencontrent chez Hugues de Saint-Victor qui, en restant fidèle à sa définition et à sa théorie des éléments sacramentels, De sacramentis, 1. I, part. IX, 2, P. L., t. clxxvi, col. 317, distingue trois choses dans l’eucharistie : species yis/èiVes, c’est-à-dire le pain et le vin ; veritas corporis, c’est-à-dire le corps invisible du Christ ; virlus gratiæ spiritualis, la grâce que nous recevons avec ce corps. Ce que nous voyons est le sacramentum et imago illius quod crcditur secundum corporis veritatem et qund creditur secundum corporis veritatem sacramentum est illius quod percipitur secundum gratiam spiritualem, et plus loin : in primo… signum secundi, in secundo causa tertii, in tertio viilus secundi et veritas primi. De sacramentis, 1. II, part. VIII, 7, P. L., t. ccxxvi, col. 466-467.

La Summa donne à ces idées une expression plus nette, en désignant ces trois éléments sous le nom de sacramentum et non res, res et sacramentum, res lantum. Celle-ci est Vunitas capilis et membrorum qui s’aj)pelle aussi virlus ou spirilucdis caro Christi, Summa sententiarum, VI, 3, P. L., t. clxxvi, col. 140 ; elle est suivie ou même copiée par les Sententiæ divinitatis, édit. Gcyer, p. 135.

Pierre Lombard, après avoir distingué une double res sous les species, à savoir, le corps du Christ (res contenta et significala) et l’unité de l’Église (res significata et non contenta), adopte la même terminologie que la Summa sententiarum et lui donne pour l’avenir une consécration à peu près ofîlcielle. Dist. VIII, n. 4. Pierre de Poitiers répète, ici comme souvent ailleurs, le Magisler, I. V, disl. X, t. ccxi, col. 1241-1242. Alain de Lille ne s’étend pas sur cette division, cf. ce qu’il dit incidemment dans son Scrm., iii, P. L., l. ccx, col. 204 ; par contre, Innocent III emprunte largement l’idée et l’expression à Hugues et à Pierre Lombard. Op. cit., I. IV, c. xxxvi, P. L., t. ccxvii, col. 879. Plus loin, il a un paragraphe sur le sens du mot sacramentum : active et passive dicitur, qu’il applique à l’eucharistie. Op.fi/., 1. IV, c. xxix, col. 881. On peut voir aussi les déflnilions des dictionnaires théologiques déjà cités, par exemple, parmi ceux qui sont imprimés, Alain de Lille, /’. L., t. ccx, col. 929 030, ou la définition de Gandulphe de Bologne (ms. de Turin, A S7 et A 115) et des autres abréviateurs du Lombard, ou des polémistes comme Gerhoch de Reichersberg. Hpistola ad Jnnoccnlium. Monumenta Germaniw historien, ibid., p. 223, 267, etc.'