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EUCHARISTIE D’APRES LA SAINTE ECRITURE

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Et d’une pareille parole qui signifierait en définitive : Je vous quitte, comment a-t-on pu tirer ces mots Je suis avec vous. D’une scène de congé, acte qui par hypothèse s’accompUt une fois, comment a-t-on fait un rite sans cesse répété ? C’est dans le royaume seulement que Jésus devait manger et boire avec ses disciples ; et c’est sur cette terre, que les premiers chrétiens placèrent la table du Seigneur 1 Ils ont commis un flagrant contresens et une audacieuse désobéissance. Ils n’ont retenu l’aflirmation de Jésus que pour croire le contraire de ce qu’il leur avait dit.

Spitta, op. cit., p. 282 sq., avaiL déjà proposé l’interprétation eschatologique. Mais comme il consentait à maintenir une plus grande partie des paroles rapportées par l’apôtre et les Synoptiques, son explication était un divertissement d’esprit. Le dernier repas fut, selon lui, une anticipation du festin messianique. Pour aboutir à cette conclusion, Spitta opère, lui aussi, une sélection. Il prend pour base le texte de Marc ; il omet, néglige tout ce qui rappelle la passion et la mort prochaine, par exemple, la mention de l’alliance, de l’effusion du sang pour beaucoup, de la trahison de Pierre et du reniement de Judas, de la manducation de la Pâque. Grâce à ce procédé, il peut soutenir qu’au moment de la cène, l’esprit de Jésus est hanté par la pensée du royaume, qu’il ne se porte sur aucun autre objet. Il conclut que la déclaration eschatologique est la parole importante, la clef de l’énigme. Or, au contraire, tout lecteur qui aborde les récits sans aucun préjugé est tenté de voir en elle une affirmation secondaire, accessoire. Expliquées à l’aide des mots : « Je ne boirai plus… » , les formules : « Ceci est mon corps… Ceci est mon sang « deviennent : « Dans le royaume, moi Messie, je serai l’aliment des élus, vous me mangerez, vous me boirez. » Op. cit., p. 276-277. Ainsi, l’affirmation « Ceci est » devient « Ceci sera » . Rien de plus naturel, explique Spitta. Jésus se voit déjà faisant fonction de Messie dans le royaume. Est-ce le Christ, n’est-ce pas plutôt l’auteur qui se l’imagine ? Une pareille exégèse viendrait à bout des textes les plus résistants. Et si l’on objecte à Spitta que la figure est bien insolite, qu’elle ne devait pas être comprise des disciples, que rien ne les préparait à admettre que le pain était l’image du corps, présageait la nourriture eschatologique qui serait Jésus lui-même, il répond en invoquant des textes bibliques où l’alliance nouvelle est présentée sous les traits d’un banquet. Op. cit., p. 270 sq. Mais nulle part il n’y est dit que le Messie y servira d’aliment aux fidèles. Spitta, op. cit., p. 274, ne découvre cette idée que chez les rabbins ; ils identifieraient le Messie à la manne, feraient de la gloire de la Schechina l’aliment lumineux des anges, de Moïse, des élus. De pareils textes, qui d’ailleurs doivent peut-être s’entendre au sens figuré et qui sont postérieurs aux récits évangéliques et pauliniens de la cène, ne peuvent qu’égarer le jugement de celui qui les consulte. Personne n’a suivi Spitta. Cf. Batifîol, op. cit., p. 59-63.

c. L’eucharistie, banquet fraternel et symbole de charité. — Beaucoup plus commune est la conception soutenue d’ailleurs depuis longtemps par certains protestants selon laquelle la cène fut une figure de communion fraternelle (Brandt) ; une alliance entre compagnons de table (Wellhausen) ; un acte destiné à associer en un groupe intime lié à la personne de Jésus tous ses amis (J. Hoffmann) ; l’attestation que le Christ et les disciples appartiennent à un même corps (J. Révifie). Assurément, et les Pères, les docteurs du moyen âge, l’Église catholique, ne l’ont jamais nié, l’eucharistie est un mystère de charité, un lien de paix, un sacrement qui signifie et accroît l’amour des fidèles pour Jésus et des chrétiens entre

eux. Mais, elle l’est, d’après eux, parce que précisément elle contient le corps et le sang du Christ. Sa personneet sa grâce deviennent la nourriture des âmes, noului sommes donc intimement unis et nous communions tous en lui, il verse dans les cœurs ou plutôt il augmente la charité envers Dieu et envers les hommes. Au contraire, pour les critiques cités plus haut et plusieurs autres, l’eucharistie ne donne pas le corps et le sang de Jésus ; elle n’est que la figure ou tout au plus l’établissement d’une alhance fraternelle autour du Sauveur et avec lui.

Pour soutenir cette thèse, il faut négliger tout ce qui se trouve dans les Synoptiques et saint Paul, le remplacer par ce qui ne s’y trouve pas expressément affirmé. Aucun des quatre récits ne signale en termes explicites cet effet spécial de l’eucharistie : l’apôtre le mentionne, il est vrai, mais ailleurs que dans la narration de la cène et comme en passant, par manière de parenthèse : « Puisqu’il y a un seul pain, nous formons un seul corps. » I Cor., x, 17. Sans doute, un repas est un moyen efficace de lier ou d’entretenir l’amitié, de sceller une alliance, d’affirmer ou de symboliser la communion des esprits et des cœurs. S’appuyant donc sur le choix fait par Jésus d’un banquet pour cadre de l’institution eucharistique, l’exégète et le théologien pourront conclure que le Christ donne une marque, un symbole, un sacrement d’amour. Mais il y a pourtant quelque chose de spécial dans ce dernier repas. Cent fois et plus Jésus avait mangé avec les disciples ; jamais il n’avait distribué de pain en prononçant les mots : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang. » Pourquoi cette formule ? Que signifie la consommation du pain par les Douze ? Il faut ou supprimer les textes ou les expliquer.

Le dernier partisan de cette interprétation, J. Réville, op. cit., p. 143 sq., a essayé un véritable tour de force. Il rapproche la théorie de saint Paul sur le corps mystique et la coupe de l’alliance, l’affirmation de la Didaché sur les fidèles de toute la terre qui doivent être réunis dans le royaume de la même manière que les grains de blé du pain eucharistique sont devenus un seul tout, enfin le témoignage des Actes sur les repas fraternels des premiers chrétiens. On peut donc supposer, conclut-il, « qu’en parlant à ses apôtres de la grande délivrance prochaine, à l’avènement du roj^aume de Dieu, il [Jésus] leur dit, en leur distribuant le pain, des paroles telles que celles-ci : « Voici le corps de notre alliance, » « Voici « notre corps ; » et en leur passant la coupe : « Voici la « coupe de l’alhance. » La valeur de l’opération exécutée par J. Réville apparaît au premier regard : il met dans le texte le mot qu’il désire y trouver et il l’y découvre. A l’aide d’un pareil procédé, on peut faire dire tout ce qu’on veut par qui on veut. Une parole de la Didaché, qui d’ailleurs ne synthétise pas toutes les affirmations de cet écrit sur l’eucharistie, est arbitrairement consultée sur le sens du texte évangéhque. Les affirmations de Paul sur le corps mystique du Christ sont bien connues, elles sont particulièrement chères à l’apôtre, il les rappelle à propos de l’unité de foi, de baptême, de Seigneur, I Cor., xii, 13 ; il enseigne que les chrétiens sont un même organisme parce qu’ils mangent un même pain eucharistique. I Cor., x, 17. Pourquoi donc, lorsqu’il rapporte les paroles de Jésus à la cène, reproduit-il seulement les mots : Ceci est mon corpsl Si Jésus a dit : Ceci est le corps de l’alliance, la formule n’a pas dû être oubliée. Si elle l’a été, quelle est la valeur de la restitution tentée par M. Réville ? Si elle ne l’a pas été, le silence de Paul est inexpUcable. Au reste, que signifient ces mots : « Voici le corps de l’alliance ? » La parole correspondante prononcée sur la coupe se