Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 5.djvu/562

Cette page n’a pas encore été corrigée

-1095

EUCHARISTIE D’APRES LA SAINTE ÉCRITURE

1096

côté les variantes de pure forme, il ne reste qu’une difTércnce dij^ne d’être signalée. Matthieu dit : « Prenez, mangez, …buvez-en tous. >- Marc écrit : « Prenez i et ajoute : « Ils en burent tous. » Luc et Paul omettent cetteinvitation. L’idée exprimée dans les deux premiers Synoptiques à propos de la consécration du paln est la même ; pour le viii, on est tenté de donner la jjrétérence à saint Matthieu, son texte semble plus satisfaisant. Mais il n’y a aucune contradiction entre Marc et Matthieu. L’omission de l’invitation par Paul et Luc semble sans importance. Sjntta, np. cit., p. 304, prétend que, pour le troisième évangéliste et l’apôtre, le pain et le vin sont tout le symbole, que, pour les deux autres témoins, l’action de manger et de boire est au premier plan. Mais il se trouve précisément que Luc et Paul ajoutent aux mots : « Ceci est mon corps » une finale : « pour vous » , « donné pour vous » . Si ce corps a été offert pour les Douze, il faut qu’ils y participent. D’ailleurs, selon le troisième évangéliste et l’apôtre, Jésus rompit le pain ; c’était évidemment pour qu’il fût mangé. L’ordre de réitérer la cène montre encore que ce qui est essentiel, ce n’est pas l’aliment isolé de l’action, c’est l’action portant sur l’aliment : « Faites ceci. » Il ne faut pas s’étonner si les mots : « Mangez, buvez » sont passés sous silence en deux sources : ils sont sous-entendus. L’apôtre d’ailleurs a moins l’intention de décrire par le détail la cène que d’en montrer la signification.

Le récit qui encadre les formules de la consécration est le même dans saint Matthieu et saint Marc, le même dans saint Luc et saint Paul : les nuances sont sans intérêt et presque imperceptibles. Berning, op. cit., p. 65 sq. ; Goguel, op. cit., p. 120. Que si l’on compare ensuite les deux types (Paul et Luc d’une part, Matthieu et Marc d’autre part), on nerelève quedes différences légères. Les deux premiers Synoptiques portent : « Pendant qu’ils mangeaient, » Jésus prit du pain, etc. ; l’apôtre et le troisième évangéliste écrivent : « Après le souper, » le Clu-ist consacra la coupe. Ces affirmations ne se contredisent pas ; sur la manière dont on les a harmonisées, voir Berning, op. cit., p. 76 sq. Dans le récit de la consécration du pain, Paul et Luc remplacent par les mots : « ayant fait l’action de grâces » l’expression dont se servent Marc et Matthieu : « ayant opéré la bénédiction. » La différence est purement verbale. Les deux termes sont pris indifféremment par les auteurs du Nouveau Testament. I Cor., xiv, 16. Aussi Matthieu et Marc eux-mêmes emploient, pour décrire le rite accompli sur le viii, le verbe « faire l’action de grâces » . Les deux mots paraissent correspondre à un même terme araméen iiz. Bénir Dieu, rendre grâces à Dieu, ce sont deux actes qui se confondent.

c) Les dépositions en faveur de l’institution de l’eucluirisiie par Jésus émanent de témoins irrécusables. — Paul écrit aux Corinthiens, en 55-58. Ce qu’il leur dit, il le leur avait déjà enseigné auparavant vers 50-52. Et à coup sûr, il l’avait prêché dans les autres villes où il était passé ; donc, depuis l’an 45 probablement, cette doctrine était adoptée dans toutes les communautés qu’il avait évangéÛsées. Elle lui semble indiscutable, liée au dogme fondamental de la passion, apte à diriger la vie morale, assez communément reçue pour servir de preuve à l’appui d’autres vérités, assez chère à Dieu pour que la providence punisse d’une manière terrible le mépris qu’on en fait. L’apôtre parle comme si personne ne pouvait la rejeter. D’où la tenait-il ? De ses visions, selon plusieurs interprètes, ce qui n’infirmerait nullement la valeur de son enseignement : le Seigneur aurait pris la peine de lui révéler le fait ou du moins le sens de la cène. D’intermédiaires sûrs qui lui avaient transmis la pensée de Jésus, d’après de nombreux exégètes. Ce qui est cer tain, c’est que Paul avait reçu les leçons d’Ananic, avait été en rapport avec les chrétiens de Damas, jugé capable par eux de parler aux Juifs ; c’est qui) s’était rendu à Jérusalem voir Pierre et que, grâce à l’intervention de Barnabe, il avait été admis dans l’intimité des disciples de la ville sainte ; c’est qu’il avait fréquenté les chrétientés de Césarée et de Tarse, avait fait un long séjour dans la communauté d’Antioche : que de fois, il avait été admis à la fraction du pain I Dans cette dernière ville, il avait été choisi sans doute en raison non seulement de son éducation, de ses talents, de son zèle et de ses vertus, mais aussi de sa doctrine et de sa connaissance de l’Évangile, pour être spécialement affecté le premier, avec Barnabe, à une grande tentative de propagande dans le monde païen. Alors avait commencé sa vie de missionnaire. Il aait pour compagnon Barnabe, pour aide Jean surnommé Marc. Le premier, « homme bon, plein de foi et du Saint-Esprit, « avait été un des plus anciens etdes plus notables disciples de la communauté naissante de Jérusalem ; le jugement porté sur son orthodoxie était tel qu’il avait été choisi pour décider de l’opportunité de l’admission des gentils, investi plus tard d’un apostolat illimité. Jean Marc était le fils de cette Marie dans la maison de laquelle se réunissaient bon nombre de chrétiens de Jérusalem. Sa mère était une chrétienne dévouée à Pierre qui peut-être avait lui-même converti et baptisé son fils. Et les adversaires acharnés que Paul rencontrait partout à Antioche, en Galatie, à Éphèse, à Corinthe, à Jérusalem, ne garantissent pas moins la pureté de son enseignement au sujet de la cène. On lui repiochait tout ce qui paraissait s’écarter de la doctrine des apôtres. Paul s’était justifié d’ailleurs, à la conférence de Jérusalem où se trouvaient Pierre et Jacques ; son apostolat avait été confirme, son orthodoxie reconnue, son œuvre approuvée. S’il est une doctrine qu’il ne pouvait dissimuler, c’est celle de l’eucharistie, puisqu’elle était liée à l’usage de la fraction du pain, et qu’elle est de celles sur lesquelles Pierre et Jacques n’auraient pu admettre aucune innovation : un changement essentiel dans les paroles ou les rites eût déconcerté les fidèles, transformé le dogme de la rédemption et démenti les souvenirs qui devaient être les plus chers aux témoins de la cène. On peut donc affirmer que le témoignage de Paul est hors de pair, qu’il est celui de toute l’Église, des chrétiens venus du judaïsme ou convertis de la gentilité, qu’il se confond avec les dépositions des premiers disciples et des Douze ; qu’enfin un intervalle de temps trop peu considérable sépare l’Épître aux Corinthiens de la mort de Jésus pour laisser place à une évolution qui entraînerait l’oubli définitif de la pensée du Christ et la création d’un rite auquel il n’aurait pas pensé.

Quant au témoignage desSynoptiques, même si l’on se place dans l’hypothèse des critiques qui s’écartent des conclusions traditionnelles, on est obligé de leur reconnaître une très grande valeur. Les trois premiers Évangiles auraient été composés entre 76-94 (Renan), 70-100 (H. J. Holtzmann), 60-85 (Harnack), 70-120 (Julichcr), 80-110 (Schmiedel), 70-110 (von Soden), 75-100 (Loisy), 60-100 (S. Reinach). Donc, à cette époque, les fidèles croj^aient que Jésus avait institué l’eucharistie, donné son corps et son sang aux Douze. Et ces critiques reconnaissent qu’il faut remonter plus haut, puisqu’ils croient à l’existence d’une catéclièse orale ou écrite antérieure aux Synoptiques. Ils avouent même qu’il y a dans les trois Évangiles un indice d’une très haute antiquité, la déclaration eschatologique d’une saveur très antique et d’une authenticité incontestée. Ainsi, on ne peut le nier, avant le dernier quart du iie siècle, les communautés chrétiennes con-