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EUCHARISTIE D’APRES LA SAINTE ECRITURE


tiennent à la lettre le même langage. S’il était établi que Matthieu et Marc, en toute circonstance, ont voulu dire tout ce qu’ils savaient, leur silence, si silence il y a, serait inquiétant. Mais cette thèse n’est rien moins que démontrée. Impossible donc de crier au désaccord proprement dit des quatre sources.

D’ailleurs, les deux premiers Évangiles indiquent peut-être à leur manière que la cène devait être réitérée ; ce point est admis même par des protestants et des incroyants. Si saint Matthieu et saint Marc, comme beaucoup de critiques et la plupart des catholiques le pensent, mettent un rapport entre la Pâque antique et la cène, ils laissent entendre que, comme la fête juive, le repas d’adieu pouvait et devait être renouvelé. Puisque ces deux évangélistes croient que Jésus a présenté le pain comme son corps et le vin comme son sang, corps qu’il faut manger et sang qu’il faut boire ; puisque, d’après eux, les actes et la mort du Christ ne doivent pas seulement servir aux Douze, ces écrivains insinuent que l’aliment devra être reproduit pour être de nouveau consommé. Les mots : « Prenez, mangez, buvez, » que seuls ils mettent sur les lèvres de Jésus, n’indiquent-ils pas au lecteur que, lui aussi, il doit prendre, manger, boirel Si on ne peut voir dans ces trois verbes et dans les mots : « il donna » , omis par l’apôtre, des synonymes exacts, une traduction littérale de l’ordre rapporté par Paul, du moins, n’est-il pas permis de conclure des verbes XiôsTï, csâ-j’ete, Tti’ctque, pour participer au corps du Christ et aux bienfaits de l’alliance, les fidèles doivent recommencer ce qu’ont fait les Douze ? Car pour Matthieu et Marc, aussi bien que pour Paul et Luc, le sang de la cène accomplie par Jésus est celui de l’alliance. Or, si un pacte, pour être conclu, n’exige qu’un instant, il est utile d’en commémorer parfois le souvenir. La cérémonie de Sinaï avait étéunique et valait pour l’avenir : Israël en célébrait pourtant la mémoire bien souvent. Le rapprochement visible dans Matthieu et Marc entre cette institution antique et l’alliance nouvelle, ne donnait-il pas à penser que, pour se consoler, se fortifier, oublier les fautes capables de rompre l’union avec Dieu, les contractants de l’union chrétienne étaient autorisés, invités à se rapproclier maintes fois du sang de Jésus, à rappeler l’acte qui avait scellé le traité ? Les mots des deux premiers évangélistes : « le sang est versé pour beaucoup » (en rémission des péchés, ajoute Matthieu) confirment ce sentiment. S’il en est ainsi, ftr « /jfO(ip doivent y participer. Paul et Luc disaient jwur vous : n’est-ce pas intentionnellement, parce qu’ils ne reproduisent pas le " Faites ceci… » , que les deux premiers Synoptiques ont préféré écTire " pour beaucoup » . Herning a essayé de montrer encore l’équivalent de l’ordre de réitérer la cène dans la déclaration eschatologiquc : « Je ne boirai plus. » A l’avenir, on ne consommera plus le fruit de la vigne parce que ce lireuvage de la fête mosaïque est remplacé chez les chrétiens par mon sang. Tel serait le sens de cette parole. Berning, op. cit., p. 153. La tentative est audacieuse ; ce qu’on peut retenir, c’est que, comme la coupe du rituel pascal, celle de l’eucharistie fait partie d’une institution permanente et caractéristique de la religion à laquelle elle appartient.

Mais enfin, pourquoi Matthieu et Marc, si la parole a été prononcée par Jésus, ne la rapportent-ils pas ? Hcsch, Ausscrkanonixche l’nrallcllrxle zu den EvanqcUen, Aan% Texte und L’/i/ff.suc/iu/i<7cn, Leipzig, 189.5, t. x, fasc. 3, p. 63.5, supjjose que les phrases de Paul ont été supprimées par un judéa chrétien. I>'hypothèse est gratuite : que de mots et de faits ce hardi correcteur aurait dû retrancher de Marc ? D’ailleurs, les fidèles de.Jérusalem, alors même qu’ils n’avaient pas pleinement rompu avec le judaïsme, alors qu’ils fréfjuentaient le teniplc, rompaient le pain, réité raient la cène. L’explication de Haupt, op. cit., p. 6, n’est guère meilleure : les événements de la dernière nuit, du dernier jour ont été si nombreux, si tragiques, si imprévus que les apôtres ont pu ne pas souligner telle ou telle parole, ne pas en conserver le souvenir. Certains n’auraient pas retenu l’ordre de réitérer, ce sont ceux qu’a connus Marc. D’autres l’auraient noté, ce sont eux qui ont renseigné saint Paul. Schæfer, op. cit., p. 222. Mais rien ne prouve que les Douze aient, dès le commencement du repas, perdu la capacité d’apprécier les faits et la faculté de se les rappeler. Si, comme l’admet Haupt, Jésus a prononcé les paroles « Faites ceci… » , les apôtres ont dû faire attention à ce qui s’accomplissait. Et si, par hasard, l’un d’eux avait oublié teldétail, tel mot, les conversations postérieures à la passion le lui aurait réappris ou remémoré. Le recours à la discipline du secret n’est pas possible : rien ne prouve qu’elle existait, elle n’avait alors aucune raison d’être.

L’explication la plus simple semble être la suivante. Sur ce qui s’est passé à la dernière cène, c’est Luc et Jean qui nous renseignent le plus longuement. Matthieu et Marc se contentent de raconter deux épisodes : le signalement du traître et la double consécration. On ne doit donc pas chercher chez eux une description complète de tous les incidents du repas, une reproduction de toutes les paroles qui furent prononcées. Ils veulent mentionner dans leur Évangile cet important événement, cette dernière preuve d’amour donnée par Jésus, cette réalisation du festin pascal de la nouvelle alliance ; mais ils disent seulement ce qui est essentiel. Le Christ présenta à ses apôtres son corps et son sang, sang dans lequel était scellé le nouveau pacte. lit c’était la dernière fois qu’il mangeait sur cette terre. On sait, d’autre part, qu’on trouve chez ces deux Synoptiques, chez Marc surtout, des abréviations de la matière dont ils disposent. Berning, op. cit., p. 147. Les évangélistes étaient, au reste, d’autant plus autorisés à omettre les mots’: « Faites ceci… » que les chrétiens des premiers temps étaient mieux renseignés sur les événements de la dernière cène par la prédication orale et par la liturgie. Puisqu’à l’époque ou étaient composés les deux premiers Évangiles, partout on réitérait la cène, puisqu’en le faisant, on croyait obéir à un précepte du Christ, saint Matthieu et saint Marc pouvaient juger inutile de reproduire l’ordre de renouveler le dernier repas. Knixhenbuucr, Evangeliuni srcundum Lucani, Paris, 18()G, p. 576 ; llehn. Die Einsetzung des liciligen Abendmalils als Beweis fiir die Golthcil Cliristi, Wurzbourg, 1900, p. 79 ; Berning, op. cit., p. 148. A plus forte raison, ne faut-il pas s’étonner que Luc ne cite qu’une fois l’ordre de.lésus. Fst-ce pour se rapprocher de Matthieu ou de Marc ? list-ce parce que la formule « l-’aites ceci… » placée par lui après la consécration du pain lui paraissait suffire : mise entre les deux actes, ne semble-t-elle pas les dominer ? Est-ce parce que le sang ayant été présenté comme celui de l’alliance, il devenait inutile d’ajouter qu’il fallait rappeler souvent la pensée de cette union durable et universelle ? Ces hypothèses ont été émises. De Luc nous dirons ce que nous avons afiimié des deux premiers Évangiles. Il ne se croit pas obligé de faire connaître tout ce qui s’est passé. Ayant cité une fois la parole, il estime avoir assez fait.

(I. Sur les autres détails, les récits des quatre témoins concordent pleinement. — Les recherches qui ont été faitessur la déclaration eschatologique, les paroles <le la consécration et de l’institution, ont mis en relief les seules variantes iniporlanles. lit leur minutieux examen a démontré qu’il est impossible de trouver dans une source la contradiction de ce qu’on relève ailleurs. Les autres divergences sont insignifiantes et sans portée. Dans les paroles prononcées, si on laisse de