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EUCHARISTIE D’APRES LA SAINTE ECRITURE


en face d’une page d’histoire, mais d’une méditation religieuse sur l’eucharistie. C’est ce que confirment les heurts et les incohérences de la narration, les différences qui séparent la version johannique et la tradition synoptique. Quant au discours de Jésus, il n’a pu avoir de sens pour l’auditoire, et, par contre, il fait allusion à des événements postérieurs, il parle de l’eucharistie comme d’une institution établie, il essaie de donner une solution à des problèmes et à des objections que ne connaissaient pas les contemporains du Sauveur, mais ceux de l’Évangile. Un examen minutieux et loyal du c. vi permet au lecteur impartial de réduire à néant ces objections.

D’après J. Réville, Le quatrième Évangile, son origine et sa valeur historique, 2e édit., Paris, 1902, p. 176sq., et Loisy, op. cit., p. 420, le récit de la multiplication des pains est choisi, présenté, arrangé librement par l’auteur qui veut symboliser l’idée du Christ pain de vie. La scène se passe « de l’autre côté de la mer de Galilée, » c’est-à-dire sur la rive orientale. Loisy est obligé de convenir que le miracle est « maintenu dans son cadre primitif, y op. cit., p. 421, celui qu’indiquent les Synoptiques. Matth., xiv, 13-21 ; Marc, vi, 32-44 ; Luc, ix, 10-17. Si l’évangéliste n’entendait pas faire œuvre d’historien, pourquoi a-t-il conservé cette donnée topographique, qui l’oblige à introduire un épisode galiléen entre deux événements accomplis à Jérusalem (v, le paralytique de Bethesda ; vii, la fête des Tabernacles) ; pourquoi n’a-t-il pas choisi le récit de la seconde multiplication des pains rapportée par Matthieu, xv, 32, 39, et Marc, viii, 1-10, sans localisation précise ? Et ici en saint Jean, vi, 2, comme en plusieurs endroits des Synoptiques, les mêmes phénomènes sont reliés : à cause des miracles, la foule afflue et Jésus cherche la retraite. Le quatrième Évangile dit qu’il la trouva dans la montagne : d’après les autres évangélistes, les massifs accidentés que le Christ choisit pour s’y retirer, Matth., xiv, 23 ; Marc, vi, 46, semblent indiquer que la multiplication des pains eut lieu dans une région montagneuse. Loisy croit que. d’après saint.Jean, le miracle n’est pas placé là où l’ont mis les Synoptiques, mais sur le sommet même de la montagne, « endroit convenable au symbolisme de la multiplication des pains, » et il découvre une « parente mystique » entre la montagne de la tentation, la montagne du discours, la montagne de la résurrection. Op. cit., p. -131. Ces relations n’apparaissent guère. Et d’ailleurs, le quatrième Évangile en réalité suppose, comme les Synoptiques, que le prodige fut opéré, non sur la cime, mais auprès de la montagne : « Jésus, après avoir multiplié les pains, se retira de nouveau seul sur la montagne, » 15.. l’endroit du miracle, ’il y avait beaucoup d’herbe, » les gens « s’assirent au nombre d’environ cinq mille, » 10.

Saint Jean n’a donc pas abstrait l’épisode des circonstances de lieu, comme aurait pu être tenté de le faire un théologien symboliste. Il a aussi signalé une donnée chronologique : " On approchait de la Pàque, fête des Juifs.. Cette mention rappelle-t-elle la Pâque future, la cène eucharistique ? Des commentateurs catholiques et des protestants conservateurs l’ont admis, sans, pour ce motif, contester l’histoire du récit. Fillion, fù’angile selon.S. Jean, Paris, 1887, p. 118. Voir aussi Schanz, Goguel, Zahn, Westcolt. Doit-on dire, au contraire, que le quatrième Évangile signale cette date sans souci de la réalité, uniquement pour suggérer un rapport entre la promesse et le don du pain de vit ? Loisy, op. cit., p. 423. Rien ne le démontre. L’indication fournie ici ressemble à plusieurs autres du même auteur : On approchait de la Pàque des Juifs, » ii, 13 ; xi, .55 ; « la fête des Juifs, celle des labernacles était proche, > vii, 2. Ce renseignement s’accorde avec la donnée des Synoptiques :

la foule s’assit sur l’herbe, Matth., xiv, 19, sur l’herbe verte, Marc, vi, 39 ; le miracle a donc lieu au printemps. Enfin cette préoccupation de faire connaître le temps et le lieu atteste chez l’écrivain le souci de montrer qu’il entend bien raconter un fait réel. Sans doute, Matthieu, Marc et Luc font connaître d’autres détails omis par Jean : l’heure est avancée et Jésus pendant le jour a guéri des malades, prêché le royaume. Mais précisément si le quatrième Évangile ne retenait du récit des Synoptiques que ce qui prépare le discours sur le pain de vie, que n’a-t-il exploité ces traits : leChrist institua la cène dans la nuit, sa journée finie, après avoir enseigné, guéri les hommes, et comme pour leur donner une suprême leçon, un remède unique et merveilleux ?

Le dialogue ne prouve pas mieux que le cadre l’intention exclusivement symbolique de l’auteur. Jésus s’adresse à Philippe, 5..

dré a aussi un rôle parti culier : il fait connaître le jeune homme qui possède les pains d’orge et les poissons, 8. Les Synoptiques parlaient de disciples sans en désigner aucun. André, frère de Simon, aurait donc arbitrairement été choisi par saint Jean « à cause de l’importance de l’incident. » Loisy, op. cit., p. 427. S’il en était ainsi, pourquoi Pierre lui-même n’aurait-il pas été désigné ? Philippe comme André pouvait, a-t-on supposé encore, être particulièrement connu dans le milieu où le quatrième Évangile fut écrit. Loisy, op. cit., p. 246, 425. Il ne s’agit ici que d’une hypothèse, hypothèse gratuite et à laquelle il n’est pas nécessaire de recourir : Philippe et.

dré sont de Bethsaide, xii, 21 ; i, 44, c’est-à-dire du pays même : on comprend que le premier soit interrogé sur l’endroit où il faudra chercher du pain et que le second connaisse le jeune homme qui possède quelques vivres.

A Philippe, Jésus dit : « Où achèterons-nous des pains pour que ces gens mangent ? » 5. La question est-elle « moins bien amenée que dans les Synoptiques, où le peuple, ayant passé la journée près du Sauveur, se trouve le soir au dépourvu, » Lois>', op. cit., p. 425, et montrc-t-clie que Jean se préoccujje moins de ce qui s’est jiassé que de son discours sur le pain de vie ? Aucun indice ne permet de le dire ; la foule dont parle saint Jean peut avoir faim, aussi bien que celle des Synoptiques : « elle a suivi Jésus, » 2. Elle a d’ailleurs été très satisfaite d’être rassasiée, 26 ; elle est préoccupée de la nourriture matérielle, 27.

Philippe répond : < Deux cents deniers de juiin ne suffiraient pas pour que chacun d’eux pût en avoir un peu, n 8. Le « nombre imparfait » aurait été choisi, selon Loisy, p. 426, note 1, pour figurer l’impuissance de l’homme à mériter le pain de vie. Qui le prouve ? Philippe indique une somme qui lui paraît considérable : telle est la meilleure explication de son langage. D’ailleurs, Marc parle lui aussi de deux cents deniers, VI, 37. Le quatrième Évangile conserve de même les chiffres de cinq pains et de deux poissons qui se trouvent dans les trois récits synoptiques et derrière lesquels Loisy lui-même ne peut découvrir aucune intention symbolique, alors que sept, nombre par/oit d’après ce critique, eût clairement manifesté l’excellence de l’eucharistie.

Ces cinq pains d’orge et la réflexion : " Qu’est-ce que cela pour tant de monde ? « prouveraient que l’évangéliste introduit les particularités du récit, sans aucun souci de faire œuvre d’historien, par imitation littéraire : « Dans le récit des Rois, IV Reg., iv, 12-44, où l’on voit Elisée nourrir cent hommes avec ingt pains d’orge, le serviteur du prophète dit : Qu’est-ce que cela pour cent hommes ? Loisy, op. cit., p. 427. r.es rcssemhlanccs ne doivent pas surpren<lre : dans l’un et l’autre cas, il s’agit d’une multiplication des pains.. côté des similitudes, que d’ailleurs on